Troyes et l'Aube précurseurs



Les Fous du Roi



La fonction de fou était connue des Grecs et des Romains, qui les employaient non seulement dans les festins pour amuser les convives, mais encore dans les pompes funèbres, sans doute pour égayer les parents et les amis des défunts.

Le fou est le spécialiste des mots. Son répertoire est large, des devinettes aux histoires en passant par les chansons et autres sarcasmes. Et sa liberté d’expression est immense : ne peut-on pas tout dire sous le déguisement du fou ? Il se distingue également par son accoutrement, et notamment sa " marotte " : un simulacre de sceptre surmonté d’une tête de roi hilare couverte de grelots. Il est aux côtés du monarque en permanence, en privé comme en public. Sa mission première reste la drôlerie : il se moque du roi, voire de ses visiteurs. Mais il est bien plus qu’un simple amuseur.

Le fou jouit d’une position privilégiée : sa folie, réelle ou supposée, l’autorise à intégrer dans son discours les choses qui déplaisent et que les autres courtisans ne peuvent se permettre de dire. A la Cour, il prend le droit de dire impunément la vérité sans voile, de critiquer même les actes du souverain, pourvu qu’il le fasse avec esprit.

Sans atteindre le rôle de conseiller, il a le privilège de remettre le roi à sa place. Il exerce bien une influence... Le fou a donc au fond quelque chose d’un sage !

Le Moyen Age recherche de bonne heure ces étranges personnages et leur permet une telle licence que plusieurs conciles finissent par interdire aux ecclésiastiques d’avoir des farceurs ou des fous.

Troyes eut l’honneur de pourvoir la cour de France de fous inoffensifs qui, " portant marotte, se permirent plus d’une fois de donner de salutaires avis aux rois et à leurs courtisans ".

Le premier fou qui parait à la cour de France est Geoffroy, fou de Philippe V le Long, en 1316. Jean II le Bon en a aussi un, maistre Jehan le fol, qui le suit à Londres.

Mais le monarque qui les recherche le plus et qui se réjouit de leurs " paroles joyeuses et honnêtes ", est Charles V le Sage. Une lettre de ce monarque annonce aux Maire et Échevins de la Ville : " à la bonne cité de Troyes... que son Fou étant mort, ils aient à envoyer un autre Fou, suivant la coutume. "

P.J. Grosley écrit à ce propos : " Nous n’avons point à en rougir, cela donne une nouvelle preuve de l’ingénuité, de la candeur, de la franchise et de l’heureuse naïveté de nos ancêtres. L’emploi de cette espèce singulière de Fous, exigeait et supposait toutes ces qualités qui sont les plus solides, et en même temps les plus doux liens de la société. Chargés de dire la vérité à des hommes peu accoutumés à l’entendre, ils étaient auprès des Rois ce que furent Ésope auprès de Crésus, Platon auprès de Denis, Calistene auprès d’Alexandre, les Sages de la Grèce auprès de différents Souverains : ils étaient les Philosophes de leurs siècles. "

La ville de Troyes a donc coutume de fournir des fous aux rois de France.

En 1375, Charles V a à son service Grand Johan (né à Troyes vers 1350), qui sait se concilier si bien l’affection de son monarque, que celui-ci fait venir son père, l’héberge quelques temps et lui fait compter une assez belle somme " pour s’en retourner au pays ". Grand Johan, lors de son trépas " arracha quelques larmes à la cour qu’il réjouissait par ses bons mots ". Il est inhumé dans l’église royale de Saint-Germain-l’Auxerrois, sous un riche mausolée de divers marbres, surmonté de son effigie. Le jour de ses obsèques, outre les douze livres de cire qui sont brûlées en son honneur, messire Taupin de Chantemelle, maître d’hôtel, dépensa plus de quatre livres " par commandement du roy ".

Ce grand Johan est celui dont parle Rabelais, qui en a fait le héros d’une aventure curieuse, comme preuve de l’autorité qu’exerçaient autrefois ces officiers burlesques : "  Devant la boutique d’un rôtisseur du Petit-Châtelet, un faquin ou portefaix mangeait son pain à la fumée succulente du rôt; le rôtisseur le laissait faire sans mot dire. Mais quand tout le pain fut mangé, le rôtisseur happe au collet l’amateur de fumée et le somme de payer ce qu’il a pris. Grande altercation: le portefaix s’écrie que la fumée qui s’échappe dans la rue appartient à tout le monde; le rôtisseur réplique avec menaces que la fumée de son rôt n’appartient qu’à lui et qu’il est seul maître de la vendre ou de la donner. Le peuple de Paris accourt de toutes parts et avec lui Grand Johan le fol, citadin de Paris. "Faquin, dit le rôtisseur au portefaix, veux-tu dans notre différend accepter pour juge ce noble Grand Johan ?". Le portefaix y consent et Grand Johan, après avoir entendu les parties, ordonne au portefaix de tirer de son escarcelle quelques pièces d’argent. Celui-ci soupire d’abord et présente un tournoi de douze deniers. Grand Johan prend le tournoi, le pèse sur son épaule gauche pour juger s’il est de poids, le fait sonner dans la paume de sa main gauche pour vérifier s’il est de bon aloi et l’approche de la prunelle de son oeil droit pour voir s’il est bien marqué. Le peuple attendait en silence le résultat du jugement qui d’avance réjouissait le rôtisseur et désespérait le portefaix. Grand Johan tenant sa marotte au poing tousse deux ou trois fois et rend son arrêt en ces termes : " La Cour déclare que le portefaix qui a mangé son pain à la fumée du rôt a payé civilement le rôtisseur avec le son de l’argent. La dite Cour ordonne que chacun se retire en sa chaumine, sans dépens et pour cause. " Un immense éclat de rire accueillit cette sentence; le portefaix reprit son tournoi, tandis que le pauvre rôtisseur rentrait bien confus dans sa boutique. "

 

   

 


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