Pendant les Guerres




Maisons Blanches 1814


Nous devons à Fleurette Levesque, écrivain française, cette citation : « La vie étant un éternel recommencement, seule l'acceptation de la défaite signifie la fin de tout. Tant et aussi longtemps que l'on sait recommencer, rien n'est totalement perdu ».

 

        Cela s’applique bien aux habitants de Buchères. Savent-ils que leur tragédie de 1945, il y a 74 ans, s’était déjà produite il y a 205 ans, en 1814 ?

 

        La grande armée autrichienne, aux ordres du généralissime Schwartzenberg, s’avançait sur Troyes, divisée en 2 colonnes : l’une suivant la route de Chaumont, par Bar-sur-Aube et Vendeuvre, l’autre celle de Dijon, par Chatillon et Bar-sur-Seine. Ce prince apporta le plus grand soin à ce que ces 2 corps occupassent toujours la même direction, et se trouvassent en quelque sorte vis-à-vis l’un de l’autre, afin d’arriver en même temps sous les murs de Troyes, qu’il croyait remplie de troupes, et dont il craignait non seulement la résistance, mais encore la présence de Napoléon.

 

         Monsieur F-E. Pougiat, bachelier ès-lettres et chef d’institution à Troyes en 1833, adresse le récit qui va suivre, à M. Alexandre, Claude Payn, député de l’Aube (1815), maire de Troyes (1er adjoint 1809-1816, maire 1830-1835), cet homme de caractère et plein de fermeté, nullement susceptible de s’en laisser imposer, ayant conservé le plus grand sang-froid, pendant l’invasion de Troyes en 1814 :

 

         « … Les ordres du général Schwartzenberg furent exécutés avec tant de ponctualité, que, dès le 3 février, tandis que la colonne venue de Bar-sur-Aube quittait Vendeuvre et s’avançait sur Lusigny, celle qui suivait la route de Bar-sur-Seine, et dont une division sous les ordres du prince Maurice de Lichtenstein, formant l’avant-garde, était parvenue jusque aux Maisons-Blanches, où le maréchal duc de Trévise (Mortier), qui y fut envoyé 2 heures environ après le retour de l’empereur à Troyes, sortant de Brienne, la battit et la repoussa vivement jusqu’à Clérey, où elle prit position.

 

         Le 4 dans la matinée, Napoléon, voulant masquer sa retraite sur Nogent, se porta entre Bréviandes et les Maisons Blanches, où ayant rencontré les avant-postes ennemis, il les fit attaquer. Mais ceux-ci, le sachant devant eux, se retirèrent. Il n’y eut qu’un faible engagement, dans lequel nous fîmes environ 30 prisonniers, et nous emparâmes d’un caisson et d’une pièce de canon. Le 24, jour de la reprise de Troyes par l’armée française, le village des Maisons-Blanches entendit de nouveau gronder le canon, et fut, pour la troisième fois, témoin d’un nouvel engagement.

 

         Le colonel Lepic, officier distingué et d’une rare bravoure, à la tête du 10° de dragons, soutenu du 17° de la même arme, reçut l’ordre de se porter en avant de ce village, où se trouvaient les avant-postes de l’ennemi. Il y rencontra d’abord environ 200  chevaux qu’il attaque et poursuit avec une vigueur extrême, pendant une lieue et demie, jusqu’au hameau ou village de la Grande-Vacherie et Bas-de-Clérey. Parvenu à la Vacherie, il y rencontre 2 régiments d’infanterie formés en carré. Il n’hésite pas un instant, fond aussitôt dessus, les attaque, les culbute en un moment, et les force à prendre la fuite, ainsi que les 200 cavaliers que déjà il avait devant lui, et qui s’étaient réunis à ceux-ci. 2.000 prisonniers, infanterie et cavalerie, ainsi qu’un drapeau, furent les fruits de cette charge vigoureuse. L’ennemi, effrayé d’une attaque aussi vive, se retira en désordre, et brûla, pour se mettre à couvert dans sa retraite, partie du pont de Clerey, et en entier celui de Courcelles, qui en est pour ainsi dire dépendant…

 

         Tous les villages traversés depuis Bar-sur-Seine jusqu’à Troyes ont considérablement souffert. Ainsi, même le château de Villebertin, appartenant à la famille  d’un des écuyers de l’empereur, M. de Mesgrigny, ne fut pas épargné. Les Maisons-Blanches, outre le pillage des habitations et même de l’église, et les mauvais traitements exercés envers les habitants, virent, pour leur grande partie, plusieurs de leurs maisons consumées par les flammes.

 

         Je me dois de rapporter l’action, à la fois courageuse et hardie, d’un jeune domestique bucherois âgé d’environ 28 à 30 ans, action qui prouve combien l’ennemi craignait les partisans qui déjà commençaient à se multiplier dans les campagnes. Ceci se passait vers le milieu du mois de mars. Le jeune homme se trouvait embusqué dans le parc du château de Villebertin, appelé aussi de Mesgrigny, situé près les Maisons-Blanches, entre ce village et celui d’Isle-Aumont. Il avait aperçu dans le lointain un convoi de voitures étrangères se dirigeant vers Dijon, et faiblement escorté. Il décide aussitôt de l’attaquer et de s’en emparer, s’il peut être assez heureux pour en imposer et à l’escorte et aux conducteurs. Il ne put réfléchir longtemps, car les voitures sont en un instant parvenues à peu de distance de la chaussée qui de la route de Dijon conduit au château. Alors, sans s’occuper, bien qu’étant seul, du danger qu’il peut courir, il fond avec une impétuosité peu commune sur ce convoi, ayant seulement, dans son trajet du parc à la route et pour en imposer plus facilement, la précaution de se retourner différentes fois, faisant avec les bras des signaux en arrière, et criant avec force comme s’il y eût réellement un certain nombre de personnes qui eussent dû le suivre et lui prêter main-forte : c’est ainsi qu’il arrive jusqu’au convoi. 17 voitures ou chariots, escortés seulement par 7 ou 8 Autrichiens, le composaient. Il somme l’escorte, qui lui obéit tout de suite, de mettre bas les armes, qu’aussitôt il brise, fait prendre aux voitures le chemin du château, après avoir renvoyé libres, soldats et conducteurs, qui bien certainement ne s’attendaient pas à en être quittes à si bon compte et à recouvrer si promptement leur liberté. Les voitures étaient toutes chargées de sel. Elles passèrent le reste de la journée cachées dans le parc, et dans la nuit il les dirige par la traverse et au milieu des bois, sur les villages qu’il sait alors ne pas être fréquenté par l’ennemi, où il vend le chargement, voitures et chevaux. Le bruit de cette action audacieuse se répandit aussitôt dans toute la ville, mais avec des versions plus ou moins ampoulées, plus ou moins contradictoires. Je fus assez heureux, quelques jours après, de me trouver en présence avec l’acteur lui-même, et c’est de lui que je tiens ce que je viens de rapporter et ce qui va suivre, car ce n’est pas le seul trait hardi qu’il ait exécuté.

 

         Peu de jours après la reddition de Paris, le même jeune homme arrête, en s’en retournant de Troyes, entre Bréviandes et les Maisons- Blanches 2 princesses étrangères qui se rendaient à Paris, et dont la voiture était escortée  par 2 grenadiers de la garde de l’empereur d’Autriche. Il en agit auprès de ceux-ci comme auprès de l’escorte du convoi, et il éprouve le même bonheur, ils ne lui opposent aucune résistance. Il les déclare tous les 4 prisonniers, se fait donner 25 louis par les princesses, qu’il a la hardiesse encore d’amener jusqu’à la porte de la ville, où il les abandonne. En s’en retournant, un aide-de-camp autrichien, auquel probablement il avait été désigné ou par les dames ou par les lâches grenadiers, le rejoint aux deux tiers du faubourg Croncels, l’arrête et le menace fortement. Notre Jeune homme ne s’effraie pas, conserve sa tranquillité et répond avec fermeté. Pendant ce temps la foule se réunit et avec elle croissent la hardiesse et le courage de celui-ci. L’étranger, au contraire, voit d’un autre œil, il écarte la populace, s’ouvre un passage à travers, pique des deux et se dirige sur Bréviandes. Le jeune homme entre dans une maison, y prend quelques rafraichissements et repart un instant après. Ayant atteint son antagoniste à quelques pas plus loin que l’emplacement où se trouvait la muraille de l’ancien monastère des Chartreux, l’officier fait sur lui la décharge de ses pistolets, mais ne l’atteint pas. Alors la colère, la rage, l’indignation, s’emparent à la fois de l’audacieux jeune homme, il s’élance sur son adversaire, le saisit fortement, le secoue, le menace et le contraint à lui donner ce qu’il a d’argent, puis le laisse aller sans toutefois l’avoir frappé. L’étranger n’avait sur lui qu’environ 75 francs de monnaie étrangère.

 

         Certes ! Il n’eut pas fallu beaucoup de partisans du courage et de la hardiesse de celui-ci, pour inquiéter les onze cent mille esclaves de la coalition, leur embarras eût été grand au milieu de cette France qu’ils dévastaient, et surtout au milieu d’une population liguée pour les exterminer. Leur lâcheté eût égalé leur audace et commettre le crime, et peu, en nous servant d’une expression de notre bon Lafontaine, eussent regagné leurs chaumières enfumées...

 

         Monsieur le maire Payn, vous offrir cet hommage et l’offrir en même temps au pays qui m’a donné le jour, c’est acquitter envers ma patrie la dette de reconnaissance que je lui dois, et que s’honore de pouvoir déposer en vos mains. Votre très humble administré, Pougiat, Bachelier-ès-Lettres ».

         Je suis heureux d’avoir retrouvé ce document, que je fais parvenir à M. Philippe Gundall maire de Buchères, pour le cas où il n’en aurait jamais eu connaissance.

 


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