La Révolution


Mission de Maure


La chute de Robespierre ne fut annoncée officiellement à Troyes que le 11 thermidor (29 juillet 1794). Ce fut le représentant Maure, arrivé l’avant-veille, qui vint en informer l’administration du département. Il lui apprit l’arrestation de Robespierre, qu’il qualifia de « nouveau Cromwell », et de ses « infâmes complices Couthon et Saint-Just », en annonçant « qu’avant peu ils subiraient la peine due à leurs forfaits ». Le complot que, selon lui, ils avaient tramé contre la République, devant avoir des ramifications jusque dans les départements, Maure engagea l’administration à redoubler de surveillance contre les ennemis du peuple. Le zèle des comités de section et de l’administration se borna à interroger les étrangers qui venaient d’arriver à Troyes, et à poursuivre un citoyen, parce qu’il s’était présenté au bureau municipal sans sa cocarde.

 

Maure tenait une boutique d’épicerie à Auxerre, lorsqu’il fut envoyé à la Convention par les électeurs de l’Yonne. Il avait voté la mort du roi, en s’écriant : « Quand il aurait mille vies, elles ne suffiraient pas pour expier ses forfaits ». Ami de Marat, qui l’appelait son fils, il appartenait au parti de la Montagne. Il fit dresser la guillotine à Sens, et envoya de nombreuses victimes au tribunal révolutionnaire. Cependant ses intentions valaient quelquefois mieux que ses actes. Il était accessible à certains sentiments d’humanité, surtout lorsqu’il n’agissait pas sous l’influence des déclamations révolutionnaires. Sa tête était exaltée, son caractère faible, et lorsqu’au 4 prairial les terroristes furent proscrits, il se fit sauter la cervelle, après avoir écrit ces mots pour apologie : « Je ne suis pas un méchant homme, je n’ai été qu’égaré ».

 

         Le comité de salut public avait donné à Maure les pouvoirs nécessaires pour procéder à l’épuration des autorités et de la Société Populaire. Ce fut par cette dernière qu’il commença. 8 membres pris dans son sein en choisirent 24 pour former le conseil du représentant. De concert avec eux, il épura les comités de surveillance et les administrations. Un certain esprit de conciliation présida au choix des nouveaux fonctionnaires, qui ne furent pris ni parmi les sectionnaires arrêtés par ordre de Bô, ni parmi les terroristes récemment acquittés par le tribunal révolutionnaire. On expulsa des administrations les partisans les plus ardents de Rousselin, on les remplaça par des patriotes sans notoriété, presque tous dépourvus de talents, mais qui s’étaient tenus en dehors des excès politiques. Truelle-Rambourgt fut nommé président du directoire départemental. Les fonctions de maire furent rétablies, et Louis Mignot, tanneur, fut appelé à les remplir. Les premières paroles de Maure, en arrivant, avaient été : « Paix et union entre les patriotes, et guerre aux aristocrates ». Il s’y conforma en écartant à la fois des emplois publics les créatures et les victimes de Rousselin. Les noms des nouveaux fonctionnaires furent proclamés le 23 thermidor par Maure, dans le temple de la Raison, et ils prêtèrent serment entre ses mains. Après avoir revu avec son conseil les tableaux des détenus, Maure signa l’élargissement de 70 d’entre eux. Il lui était en effet impossible de résister au mouvement généreux de l’opinion publique qui, dans toute la France, ouvrait les prisons et rendait les innocents à la liberté. Après avoir ordonné d’élargir d’abord les derniers sectionnaires enfermés à la maison d’arrêt, il fit un choix parmi les suspects du Grand Séminaire. Un certain nombre d’entre eux appartenait aux classes laborieuses, et beaucoup avaient été arrêtés pour des causes iniques ou puériles. Ainsi une femme Berlot « de classe des pauvres sans-culottes », avait été enfermée pour avoir dit qu’elle se moquait du décadi, un jour qu’on lui reprochait d’être parée un ci-devant dimanche. La citoyenne Sainte-Marie avait poussé jusqu’à l’exagération le patriotisme, et on avait trouvé cette exagération « ridicule chez une femme ». Le serrurier Royer avait eu une querelle à propos de fruits sauvages qu’il avait achetés. Ses vendeurs avaient été ses dénonciateurs. Un porte-faix n’avait commis d’autre crime que d’être le tambour de la compagnie de grenadiers « réputée ennemie du peuple ». Un tailleur avait seulement « tenu quelques propos dans le vin ». Un perruquier était resté 8 mois en prison pour « avoir témoigné des regrets sur les pertes que la Révolution lui avait fait éprouver ». Un domestique y était retenu depuis 8 mois « pour son attachement à des maîtres aristocrates ». Un autre, pour avoir manifesté le regret d’avoir perdu sa place chez des ci-devant. Enfin, il se trouvait parmi les détenus une enfant de 4 ans, Marie Damoiseau, fille d’émigré, que son âge ne soumettait pas à la loi. D’autres détenus, suspects d’aristocratie, furent relâchés pour des motifs divers : l’un d’eux, parce qu’il était regardé comme « un homme de toute nullité, incapable de faire le bien ou le mal », un autre parce que « son caractère était doux et tranquille ». Il restait cependant environ 150 détenus, dont quelques uns étaient encore à la maison d’arrêt. Maure ordonna qu’ils soient tous réunis au Grand Séminaire. Les règlements intérieurs de cette prison n’étaient plus observés depuis le 9 thermidor. On n’était plus au temps où Meunier réglait les heures de promenade, en craint dans les corridors : « Lâchez les hommes » ou « Lâchez les femmes ». Même alors, quelques détenus, en perçant une cloison, avaient pénétré dans le quartier des femmes. Après la chute de Robespierre, on supprima la séparation des hommes et des femmes, et, dans l’attente d’une libération prochaine, on se livrait aux jeux de carte et de société. Maure essaya de rétablir une discipline plus sévère, en défendant toute communication avec le dehors, en limitant les heures de promenade, et en réglant la nourriture qui resta la même pour les riches, comme pour les pauvres. Maure, qui, dans ses missions précédentes, avait été impitoyable pour les aristocrates, se trouvait dans une grande perplexité d’esprit. Son caractère le portait à céder aux sollicitations des amis des détenus, qui le pressaient de compléter son œuvre de justice en les rendant à la liberté. Le 7 septembre, Maure ordonna l’élargissement de 55 nouveaux suspects détenus au Grand-Séminaire, et il fut accusé par la Convention d’avoir fait mettre en liberté 26 prêtres et 18 femmes d’émigrés. Sur les 128 suspects dont il avait ordonné la délivrance, se trouvaient 26 sans-culottes, dont 5 femmes, 4 domestiques, 4 laboureurs, 8 hommes de loi, 7 militaires et 15 marchands. Il ne restait plus au Grand Séminaire que 101 suspects incarcérés. Les nobles, les prêtres, les femmes, filles, mères ou sœurs d’émigrés étaient en grande majorité. Ces détenus ne tardèrent pas à être élargis. Le 10 octobre, le rapport décadaire de la commune disait : «  La Terreur n’est plus à l’ordre du jour… la liberté, la confiance renaissent enfin ». Le 1er mars 1795, grâce aux décisions de comité de sûreté générale, les prisons étaient complètement évacuées, à l’exception de Saint-Loup, qui renfermait encore des prêtres âgés ou infirmes. Maure, voulait continuer de retenir en prison contre toutes les lois de la justice et de l’humanité. En effet, la Société populaire régénérée par lui, s’était donné la mission « d’exercer une surveillance active et révolutionnaire sur les aristocrates, les royalistes, les modérés, les fanatiques et tous les ennemis du peuple. Les comités de surveillance des sections ayant été supprimés par un décret du 7 fructidor, furent remplacés par un seul comité révolutionnaire pour chaque district. Ce fut Maure qui en désigna les membres au nombre de 12. Le comité siégea tous les jours, d’abord à 4 heures du soir, puis à 10 h du matin « par suite de la rareté des chandelles ». Travaux : se prononcer pour la continuation des mesures de rigueur, écarter les pétitions des détenus demandant à sortir pour leurs affaires, recevoir les dénonciations, prescrire des arrestations, prononcer des réprimandes ou des renvois devant un tribunal, surveillance du bureau de poste (1 de ses membres est désigné pour prendre connaissance des lettres venant des pays étrangers ou qui y étaient adressées), poursuivre les traîtres, les accapareurs, les traînards, les déserteurs et les prévaricateurs, prévenir les rassemblements religieux, entretenir l’esprit public par le chant des hymnes à l’Etre-Suprême, lecture des lois et des actes héroïques des volontaires… Maure disait : « Que les enfants assistent à ces fêtes, ils apprendront à devenir un peuple de héros ». Mais, l’action du comité révolutionnaire s’affaiblissait tous les jours. Le 30 vendémiaire, on inaugure les 2 statues de la liberté placées, l’une au-dessus de la porte de la maison commune, à la place de celle de Louis XIV, l’autre, dans la salle des séances du conseil général. La question des subsistances était toujours à l’ordre du jour. Maure avait blâmé les mesures prises par la municipalité pour y remédier. Au début de l’automne, il fallut à plusieurs reprises emprunter des grains aux magasins militaires, parce que le magasin municipal était vide, et « qu’il n’était pas possible de transiger avec la faim ». Les distributions de pain faisaient perdre un temps considérable aux indigents, qui recevaient leur ration par les soins des comités de subsistance. Dans certains secteurs, des citoyennes attendaient depuis 8 h du matin jusqu’à 5 ou 6 h du soir.

 

         Les administrations, telles qu’elles avaient été reconstituées par Maure, étaient incapables ou impuissantes. La majorité de leurs membres se rattachait au parti qui avait dominé pendant la Terreur, et contre lequel se soulevait l’indignation publique. L’œuvre de Maure demandait à être réformée et complétée : ce fut la tâche que la Convention, informée de l’état des choses et des esprits à Troyes, confia au représentant Albert, qui arriva à Troyes le 31 janvier 1795. La Convention ne pouvait faire un meilleur choix que celui d’Albert, député du Haut-Rhin, appartenant à la minorité qui avait voté contre la mort de Louis XVI, qui était animé d’intentions sages et justes, qu’il manifesta pendant toute la durée de la mission qu’il exerça dans le département de l’Aube.

 

 

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