Les Crimes



La vengeance du forçat


En juillet 1951, tous les hommes de Laubressel profitent du beau temps, pour se livrer aux travaux des champs. Tous ? Non ! Un après-midi à 16 heures, un homme se dirige vers une cour, fouille dans un tas de foin, puis repart vers la ferme des Brelet. Il porte à l’épaule un fusil de chasse. Les villageois savent que René Longuépée a été jusqu’à présent, un ouvrier agricole courageux, auquel on ne peut faire d’autre reproche que de s’adonner parfois trop à la boisson, ils n’ignorent pas non plus son passé qui l’a conduit jusqu’au bagne. Ils constatent qu’un conflit l’oppose depuis quinze jours aux Brelet. On a ignoré les frasques antérieures de Longuépée quand il est arrivé dans le pays, en 1946. Mais un jour, les gendarmes de Lusigny reçoivent un mandat d’arrêt le concernant. Ils viennent lui mettre la main au collet. Déjà titulaire de neuf condamnations pour des délits divers allant du vol à l’abus de confiance, il est une nouvelle fois condamné par un tribunal.

Désormais, Longuépée ne peut plus échapper au châtiment qui le guette, il est relégable. Il quitte Laubressel pour le bagne de l’Ile de Ré. Quelques trois années plus tard, gracié pour raison de santé, il revient dans la région troyenne. Les paysans de Laubressel l’accueillent sans déplaisir, ils l’ont jugé à l’œuvre. Toujours aussi poli et affable, le forçat est, avant tout, un travailleur. Il connaît parfaitement la culture, et cela leur importe beaucoup. Au début de 1949, Longuépée se place chez un petit cultivateur, M. Georges Brelet. Il prend rapidement de l’importance dans la ferme. A la fin de l’année, il se considère comme un associé de son employeur. De bonnes âmes – et surtout de mauvaises langues – insinuent que la fermière a joué un rôle prépondérant dans cette promotion. Un rôle en tout cas, dont les effets s’éteignent après 18 mois car, en juin 1951, M. Brelet congédie Longuépée. Il lui reproche du blé volé et vendu afin de pouvoir s’enivrer. Est-ce la seule raison de sa rancune ? Les gendarmes eux-mêmes ne peuvent le savoir. Longuépée retrouve aussitôt une place chez M. Jacques Barret, le fils du maire. Mais il n’est plus le même. Pendant la première semaine, les pluies empêchent tout travail dans les champs. Désœuvré, Longuépée boit de plus en plus, et il rumine sa rancune contre le cultivateur qui l’a chassé. Il a aussi une autre obsession, chaque fois qu’il est ivre : " On ira bientôt tous les deux au cimetière ! " dit-il à son nouvel employeur. Tous les deux, c’étaient son ancienne patronne, Mme Brelet et lui-même. M. Barret lui répond : " Ne fais pas de bêtises, tu sais d’où tu reviens, cette fois tu y finiras tes jours". Mais l’ancien forçat n’écoute plus. Ses menaces deviennent si précises que M. Brelet, qui en est prévenu, fort inquiet, alerte par trois fois la gendarmerie. Quand le beau temps revient, Longuépée ne reprend pas son travail. En le voyant déambuler dans les deux rues du village, fréquenter les deux cafés locaux, ressasser éternellement les mêmes griefs, chacun commence bientôt à redouter le pire. Mme Brelet, en particulier, a peur. Elle confie un jour à Mme Barret : " Avec ce coco là, je ne me sens pas rassurée ! ". Le 4 juillet, M. Barret congédie à son tour, son inquiétant employé, auquel il dit : " Il va falloir que tu déménages tes affaires de chez moi avant 6 heures, ce soir, sinon, je préviens les gendarmes ". Tandis que tous les hommes sont aux champs, vers 11 heures, Longuépée se glisse dans la cour de la ferme de M. Lerat. Au-dessus du chambranle d’une porte d’écurie, il trouve la clef de la maison. Il y pénètre et, dans la cuisine, il décroche le fusil de chasse suspendu à une poutre. Dans la cartouchière, il prend la seule cartouche qu’il trouve, chargée à chevrotines. Il va ensuite cacher son arme dans un tas de foin, à proximité de la ferme des Brelet. A 16 heures, sûr de trouver chez elle son ancienne patronne, puisqu’on entend la machine à coudre sur laquelle elle montre à son amie, Mme Voisin, comment confectionner un tablier, le bagnard s’avise que l’heure de la vengeance est venue. Il ouvre la porte de la cuisine où travaillent les deux femmes. " Bonjour mesdames ! fait-il. Je veux de l’argent. Vous me devez 20.000 francs ". " Je n’en ai pas, rétorque Mme Brelet, et je ne peux quand même pas en voler ! ". Sans un mot de plus, Longuépée ressort dans le couloir où il a laissé le fusil de chasse, et reparaît, braquant l’arme sur la fermière. Mme Voisin est épouvantée, Mme Brelet se précipite vers la fenêtre et l’enjambe. Le coup de feu l’atteint au moment où elle passe la barre d’appui. Le bras droit horriblement déchiqueté, les poumons perforés par la charge de chevrotines, elle a pourtant la force de s’échapper, de traverser la rue et de grimper le raidillon conduisant à la maison de Mme Voisin, située en face de la sienne. Là, elle s’écroule sans vie, tandis que le meurtrier s’en va paisiblement, abandonnant son arme sur la route.

Les gendarmes de Lusigny commencent aussitôt les recherches et alertent la brigade de Troyes. Des barrages et des patrouilles sont mises en place, dans toute la région.Vers 18 h 30, un cultivateur qui rentre des champs, apprend le nom du criminel : " Longuépée ? Mais je l’ai vu gagner Bouranton à travers champs ". On retrouve sa trace dans deux cafés. Dans celui de Mme Constant, il a acheté un paquet de cigarettes. Au moment de cet achat, les deux filles de Mme Constant, rentrent à vélo de Troyes où elles travaillent, accompagnées d’une amie. Une patrouille de gendarmes les arrête : " Vous n’avez pas vu Longuépée, l’ancien bagnard de Laubressel ? Il vient de tuer une femme." Elles n’ont rencontré personne, et poursuivent leur route. Le lendemain, elles ont une frayeur rétrospective, apprenant que l’assassin était couché dans un bois, à quelques mètres d’elles, lorsqu’elles se sont reposées. C’est Longuépée lui-même qui raconte la scène aux enquêteurs, après son arrestation par deux gendarmes de Pont-Sainte-Marie. Cette capture du criminel est effectuée deux heures et demie après son forfait. D’ailleurs, Longuépée n’avait aucune chance d’échapper au châtiment, car la chienne policière troyenne Tasso, suivait sa piste depuis Laubressel et n’était plus qu’à deux kilomètres de lui.

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