Coutumes et traditions



Fête du Pape des Fous


Au moyen-âge, quelques coutumes étranges ou burlesques, dont les mœurs expliquent seules l’existence, constitueraient aujourd’hui pour la plupart, un scandale du ressort de la police correctionnelle.

 

La plus curieuse est, sans contredit, la « Fête du Pape des Fous ».

 

La ville de Troyes semble avoir été, en France, la cité où cette fête fut célébrée la première, et eut le plus de durée, d’éclat et de retentissement. La fête des fous, cette bacchanale des temps catholiques, remonte au V° siècle, car Saint-Augustin se plaint déjà dans ses sermons des excès qu’elle occasionne sous ses yeux. Jusqu’en 1445, pendant l’octave et les fêtes de Noël, les vicaires de la cathédrale procèdent entre eux à l’élection d’un archevêque ou d’un pape des fous, qui est porté sur l’autel des reliques au bruit d’un Te Deum. Crossé et mitré, comme un évêque, cet élu, véritable caricature épiscopale, donne la bénédiction à la foule assemblée au bruit des cloches. L’église devient alors un pandémonium (lieu de réunion de personnages qui sont comme possédés par un démon), dont les plus excentriques folies du mardi-gras moderne ne sauraient donner une idée. Des gens déguisés en fous, en femmes, masqués, noircis, et dans des costumes qui ne se piquent guère de chasteté, chantent des couplets obscènes, exécutent des farces à étonner par leur licence, les pitres les plus aguerris du vieux Pont-neuf, et des foires en plein vent. On copie les allures et la figure des plus hauts placés dans toutes les hiérarchies, sans en excepter le véritable évêque lui-même. On n’ose pas dire ce qui se passe pendant la mascarade dont l’église est le théâtre. Toute cette folle bande mange dans l’église et jusque sur l’autel, et se livre à des jeux et des farces de la plus grande indécence et pornographie ! Ces réjouissances de la fête des fous ne sont sans doute qu’une réminiscence, que l’Église s’efforça toujours de faire disparaître, se prêtant cependant comme une bonne mère aux joies enfantines du peuple, jusqu’à ce que les naïvetés tournassent en dérision. A Troyes, elle est célébrée non seulement à la cathédrale, mais encore dans l’église Saint Etienne. Elle a pour acteurs, les diacres, sous-diacres et vicaires, car on voit agir, dans ce personnel turbulent et peu réglé, les clercs, les vicaires et autres gens de la cathédrale et des collégiales et aussi les religieux de Saint-Loup. Ceux-ci doivent même un droit annuel à l’archevêque des fous de la cathédrale. Un comte de Champagne, Henri le Libéral, lui aussi s’oblige à payer cinq sols à l’archevêque des fous de cette collégiale et l’acte de cette obligation est si authentique que le chapitre les reçoit encore en 1783. Vers le XII° siècle, cette fête se célèbre en principe, le jour de l’Épiphanie. On sonne alors les petites cloches, et, vers le soir, on sonne les grosses comme pour une grande cérémonie. Au XIV° siècle, la fête est célébrée avec une ardeur qui fait que ces saturnales mérite bien son nom. Le fait qui suit démontre qu’elle n’est pas seulement célébrée par les clercs et les vicaires de la Cathédrale et des autres églises, mais encore par des femmes. Ainsi, en 1380, le Chapitre de Saint-Pierre fait réparer la tige en fer de l’un des grands chandeliers de cuivre, brisée par « Marie la Folle », à la fête des fous. L’année suivante, ce n’est pas un chandelier qui est brisé dans ces orgies pratiquées dans les églises, mais une croix qu’il faut réparer et dorer. Et tout cela se passe malgré la défense du Chapitre ou avec son consentement, puisque le 10 janvier 1372, il est défendu à ses vicaires de célébrer cette fête sans sa permission. En 1415, les religieux de Saint-Loup ayant refusé quatre pintes de vin et quatre pains, le chapitre leur intente un procès, et ils sont obligés de payer. Cette fête devenant un divertissement ridicule, on commence à en restreindre les cérémonies en 1420. Mais, comme elle recommence ensuite avec encore plus de succès, elle n’est plus défendue. Le concile de Bâle, lors de sa vingt et unième session du 9 juin 1435, par le huitième et dernier décret, interdit expressément, dans les églises, la célébration de la fête des fous, défense confirmée en France par la pragmatique sanction, et enregistrée au parlement. La prohibition ne s’applique donc qu’au lieu de la fête et non à la fête elle-même. Les mœurs d’alors tendent à une réforme sérieuse, car les faits sont anciens et le public ne paraît pas s’en préoccuper. Ainsi, tel doyen de Saint-Pierre vit en état de concubinage public et reçoit plusieurs injonctions tendant à faire cesser cet état. Le scandale existe partout. La faculté de théologie de Paris rend, à cet égard, un décret dont elle envoie des copies aux évêques. Malgré cela, l’année suivante, le 5 décembre 1436, le chapitre de Saint-Pierre permet à ses vicaires et à ses enfants de chœur de célébrer cette fête, pourvu toutefois que ce soit « sans moquerie et avec révérence ». Le 3 janvier 1437, le même chapitre décide que, si un vicaire de leur église se retire de leur service ayant payé aux autres la bienvenue et après avoir été élu archevêque des fous, dans le cas où il reprendrait service dans l’église, il ne serait point obligé de payer une nouvelle bienvenue et pourrait se dispenser d’accepter l’élection au titre d’archevêque des fous. En 1439, le chapitre interdit à ses hauts et bas vicaires de faire « la fête des fous », dans l’église. Mais le 20 novembre 1443, il décide que la fête se fera selon la coutume, que les compagnons de l’église, petits et grands, feront cette bonne et joyeuse fête, « hors de l’église », qu’ils iront demander leurs rentes où ils ont coutume, que leur prélat « serait vêtu d’une belle robe longue et honnête, et dessus icelle un beau rochez, et en son chef un beau chaperon fourré, et choisiraient l’hôtel d’un des chanoines pour se réunir et non pas une taverne publique, où l’on faisait mille choses indignes de la majesté sacerdotale ». L’évêque ou archevêque des fous est choisi parmi les ecclésiastiques, et le cellérier doit lui donner dix sols ou un jambon ou une quarte (2 pintes) de vin. Malgré ces sages précautions, un chanoine est condamné par ses pairs à vingt sous d’amende, « pour les grandes sottises et les gestes extravagants qu’il s’était permis à la fête des fous ». L’année suivante, le scandale est plus grand encore. Chassée de l’église en 1435, 1439 et en 1443, la fête et tout son joyeux personnel y rentrent en 1444, puis cette fête est suivie, sur la place publique, d’une représentation scénique, où l’on met en jeu la pragmatique sanction, sur laquelle le clergé de Troyes est divisé. L’évêque et certains chanoines n’y sont pas épargnés. Jean de Meung a créé le personnage de « faux-semblant », qui monte sur les planches en compagnie de « Feintise »et d’ « Hypocrisie ». Ces noms représentent trois personnages dans lesquels on reconnaît l’évêque et deux chanoines, partisans des réformes et de la suppression de l’antique fête. Ce que je viens de dire n’est pas exagéré, car Jean Léguisé, évêque de Troyes, après avoir prohibé et flétrit cette coutume, rend une ordonnance en 1445, et écrit à Louis de Melun, archevêque de Sens, une lettre dans laquelle il condamne les mascarades et les ventes qui se font dans les églises et dans les cimetières à cette occasion. Il se plaint également au roi Charles VII qui, de Nancy, donne des Lettres-Patentes, le 17 avril 1445, ordonnant la cessation de ce scandale et condamne « la fête aux fols, de l’irrévérence et dérision qui s’y fait de Dieu et de l’office divin, au très-grand vitupère et diffame de l’état ecclésiastique et aussi des grandes insolences, dérisions, spectacles publics de leurs corps, déguisements en usant d’habits indécents, comme vêtements de fous, de gens d’armes et de femmes, avec faux visages et de l’apostasie par les chanoines de leur état et profession ». Puis, rappelant la lettre du 10 mars précédent, donnée par l’université, le roi ordonne au Bailli de Troyes, de prêter aide et main-forte à l’évêque et à « l’inquisiteur de la foi », pour empêcher dorénavant la représentation de la fête des fous. Ces lettres sont enregistrées au bailliage de Troyes, et les chanoines passent un acte authentique, par lequel « ils promettent qu’à l’avenir et à perpétuité ils ne permettraient plus à ceux qui leur sont soumis de faire la fête des fou».

 

Il faudra attendre 523 ans, après mai 1968, pour qu’il il y ait à Troyes un essai de récidive, avec la communauté gaie.

 

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