C'est notre histoire



Le Père Ninoreille


C’est une gravure de 1840 qui immortalise le Père Ninoreille, circulant dans les rues de Troyes, à petite vitesse, un coffret de fer-blanc peint en noir, suspendu au cou de ce petit vieillard, précédé d’un petit épagneul à poil jaune.

 

         " Cette triade avait depuis longtemps mission de répandre en ville la nouvelle de tous les évènements, non pas seulement de la localité ni de l’empire, mais les faits récemment advenus en Europe, voire même dans toutes les parties du globe. Politique, morale, littérature, bibliographie, théâtre, rien n’est affranchi du monopole obligé. Il eut été, pour le moins, malséant à une nouvelle quelconque d’arriver à la connaissance du public, sans être passée par le coffret de fer-blanc, par la main du vieillard distributeur ou par la gueule du petit chien ".

 

Le coffret, c’était la boîte au Journal, l’épagneul, c’était Médor, qui connaissait le domicile de tous les abonnés et n’en aurait pas passé la porte, sans avoir remis le N° du jour, enfin, le vieillard, c’était le père Ninoreille, gérant-responsable de la société distributrice qui décède à 88 ans.

 

Nicolas Ninoreille naît à Troyes le 27 février 1776, sur le pont des Cailles, dans la paroisse de Saint-Nizier. Comme tous les enfants, Ninoireille passe ses premières années sans souci de l’avenir. Mis à 12 ans en apprentissage chez un maître tisserand, il montre de l’aptitude et un grand désir de bien faire. Son temps achevé, il va " aux grandes boutiques ", comme on disait alors. Un attrait vient le tenter : c’est d’être " porteur de quelque chose aux cérémonies de sa corporation ". Selon son vœu, son patron, le fait recevoir porte-torche pour la fête des tisserands. Au comble de sa joie, Ninoreille est " r’habillé tout clinquant neuf pour la solennité du 16 août, il est considéré dans sa confrérie, il a acquis la réputation de garçon paisible, de loyal compagnon et de bel ouvrier ".

 

En l’an 1 de la République (1796), la réquisition l’appelle au service de la patrie. Il quitte la navette du tisserand pour le mousquet républicain, et est incorporé dans l’armée de Sambre-et-Meuse, où il tient sa place. Il débute par la campagne d’Autriche en l’an IV, il fait celle d’Italie de l’an VI à l’an VIII, assiste à la bataille de Marengo, et tient longtemps garnison à Vérone. Il reçoit en 1801 les galons de caporal et en 1802, ceux de sergent. Son avancement s’arrête là, car un défaut naturel lui fait obstacle : il est incapable d’articuler les lettres R et S, sans provoquer le rire de tous ceux qui l’entendent.

Au camp de Boulogne en l’an XI et XII, il fait la campagne d’Autriche en l’an XIII, celle de Prusse en 1806, où il reçoit une blessure à l’épaule gauche, et une autre à l’épaule droite, en 1807 à Friedland. Il passe en Pologne en 1807, et part avec la grande armée pour l’Espagne, où il sert sous les ordres du général Victor. Il est devant Badajoz lors de la prise de cette ville par les Anglais, et est fait prisonnier en avril 1812. Conduit en septembre à Lisbonne, il est transféré à Porstmouth sur les pontons anglais. Il reste sur " l’Assistance " au service du capitaine Maurice jusqu’en 1814. Par suite de négociations, le prisonnier Ninoreille monte sur un brick anglais et débarque au Havre, puis est dirigé sur Longwy, puis rentre dans ses foyers, après 18 ans d’absence.      

 

De retour à Troyes, il reprend son métier pendant 18 ans.

 

A force de recherches et de recommandations, Ninoreille est employé à porter un journal. Il sert les abonnés du " Propagateur". A la suppression de cette feuille, l’existence de Ninoreille est remise en question.

 

Il reçoit, comme les soldats de l’Empire, la médaille de Sainte-Hélène.

 

Connu honorablement dans toute la ville, Ninoreille reçoit en 1861, un des prix fondés à Troyes par M. Jaillant-Deschainets, en faveur des ouvriers méritants.

 

Il remplit ensuite les fonctions de porteur du "Napoléonien" jusqu’en décembre 1863, " avec probité, intelligence et exactitude, malgré le poids des ans et des infirmités". Une chute l’arrête après 33 années de service.

 

Le vieux tisserand, le vieux sergent, le vieux distributeur de journaux, s’éteint en novembre 1864, laissant le coffret sans fonctions et Médor sans emploi.

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