Pendant les Guerres




Plancy 1814



Après la pénible et douloureuse retraite de Russie, la Champagne fut le théâtre de combats épiques, l’Aube revit, comme au Moyen Âge, les envahisseurs étrangers, traverser son cours, Plancy devint même, un certain moment, le centre des opérations.

 

         Ce sont des faits historiques locaux puisés dans les cahiers du fils du Maire de Plancy de l’époque et retranscrits également dans les souvenirs du Comte de Plancy.

 

         Durant le mois de février 1814, Plancy eut à subir l’occupation et les déprédations des troupes ennemies. Le 4, entraient 6.000 hommes des armées coalisées russes, prussiennes, allemandes et bavaroises. Pendant le séjour de 48 heures qu’elles y firent, ces troupes pillèrent tout ce qu’elles trouvèrent à leur convenance dans les maisons.

 

         Le 7 février, nouvelle arrivée de 300 hommes, le 20 du même mois, de 10.000 autres et le 22 de 300. La conduite de ces troupes fut constamment la même, et les dernières venues allèrent brûler Méry après avoir pillé Plancy.

 

         Pendant le mois de mars, il ne se passa pas de jour sans que la ville, transformée en camps, ne vit des passages de troupes. Le château n’échappa pas plus que le village aux dévastations des envahisseurs : son mobilier de style ancien, ses boiseries, jusqu’aux rampes d’escalier servirent de bois de chauffage, ses porcelaines provenant de la Compagnie des Indes furent mises en miettes, de remarquables soieries ramenées d’Orient et offertes au Comte de Plancy par le roi Jérôme, frère de l’Empereur, furent lacérées.

 

         Pendant ce temps, Napoléon, après les foudroyantes victoires de Champaubert, Montmirail, Vauchamps, s’était jeté sur l’armée des Austro-Russes pour leur couper la route de Paris qui était leur objectif.

 

         Il les avait culbutés à Nangis et à Mormant. Frappés par ces coups répétés, les Alliés, un temps décontenancés, reprennent l’offensive. L’Empereur résolut alors de se porter en toute hâte vers l’Aube et la Seine le long desquelles l’ennemi progressait de nouveau.

 

         Le 18 mars, il arrivait à Fère-Champenoise où cantonna la Vieille Garde, tandis que la cavalerie de la garde et l’artillerie occupaient Semoine, Gourgançon, Herbisse et que le corps de Ney d’établissait autour de Mailly. De Fère-Champenoise l’Empereur envoya un officier d’ordonnance à Plancy afin de rapporter de précieux renseignements.

 

         Le maire, M. Hardouin, notaire, conseiller de sous-préfecture et juge suppléant reçut le message impérial. Les renseignements, il les fit parvenir aussitôt à travers les corps ennemis qui infestaient toutes les routes à Napoléon, qui, de nuit quitta Fère et par Boulages arriva à 7 h du matin le 19 mars, aux portes de Plancy. Le curé de Plancy, un très digne et respectable ecclésiastique se présenta à lui, presque sans culotte et sans soutane, parce que les cosaques l’avaient dévalisé, lui exprima ses vœux et ceux de ses paroissiens pour son succès, fit à l’Empereur l’éloge du Comte de Plancy « fidèle serviteur de la France et seconde providence de Plancy ».

 

         Devant pousser sa marche sur Méry, d’où il voulait à l’improviste rejeter sur Troyes les Autrichiens qui s’avançaient sur Paris. Napoléon, sans descendre de cheval, traversa Plancy, escorté du Maire et des notables. Durant ce trajet, si rapide qu’il fut, aucun des besoins de cette localité, dont quelques uns intéressaient la science, n’échappa à l’Empereur. Il posait coup sur coup d’innombrables questions au maire sur les objets les plus divers, avec cette pénétration et cette soudaineté du génie qui embrasse toutes les choses à la fois, répondant par des paroles pleines d’espoir : « A la paix, je donnerai satisfaction à vos vœux ». Le soleil brillait d’un splendide éclat. « Ce sera un autre soleil d’Austerlitz » s’écria quelqu’un. « Qui a dit cela ? » dit l’empereur. « Le fils du maire » lui répondit-on. « Ah, c’est vous jeune homme, qui avez remporté en 1809 un premier prix à mon lycée Napoléon ? ». Et l’Empereur jeta sur le jeune lauréat de 1809 « un de ces regards qui fixaient la fortune de celui qui en était l’objet, en allumant à jamais dans son âme de feu de l’énergie et du dévouement ». Tout en causant, Napoléon était arrivé à un bras de la rivière Aube. Il la franchit pour se porter sur la Seine à Méry encore occupé par l’arrière-garde de l’ennemi, en retraite sur Troyes. Il passa au gué de Charny où tous les habitants rassemblés s’inclinèrent avec respect devant leur Empereur. Dans l’après-midi du 19 mars, la division de cavalerie de la Garde vint sabrer les Wurtembourgeois et à 5 heures du soir l’ennemi battait en retraite sur tous les points. L’Empereur, content, décida de revenir coucher à Plancy au château. Ce séjour ne fut pas sans dommage pour le mobilier, car lorsque l’Empereur passait la nuit dans une pièce, les fourriers chargés de faire son logement jetaient par la fenêtre tous les meubles qui s’y trouvaient, jusqu’à ce que la pièce fut mise complètement à nu, et y disposaient en place le légendaire petit mobilier dont la simplicité était devenue légendaire. Dans la soirée, Napoléon eut encore 2 entretiens avec le Maire, se renseignant sur les besoins de la commune, sur l’utilité du canal. Ce canal destiné à faciliter la navigation en lui permettant de tourner le barrage des moulins de Plancy, avait été ordonné par Napoléon, dont le vaste génie s’étendait aux plus petits détails. L’entretien dura très tard. L’Empereur prononça des paroles mêlées d’espérance et d’amertume : « Vous serez bientôt débarrassés des hordes qui infestent ma fidèle Champagne. Vous le serez malgré les traîtres dont vous me parlez et que je connais comme vous ».  Une dépêche vint alors qu’il prononçait ces paroles. Il la lut rapidement, puis se dressant d’un bond il dut sur un ton qui n’admettait pas de réplique : « Je ne traite pas avec des vaincus ». Le lendemain, dès le matin, Napoléon quitta Plancy en témoignant toute sa satisfaction. Le ministre secrétaire d’Etat, duc de Bassano qui occupait avec son personnel et sa suite la maison de M. Hardouin dit à celui-ci : « L’intention de l’Empereur est de vous donner un témoignage de satisfaction. Comment désirez-vous être récompensé ? ». « Dans la personne de mon fils aîné », répondit le maire. Quelques instants avant de partir, le duc de Bassano lui remit de la part de l’Empereur un bijou pour sa fille et lui dit : « Par décret de ce jour, l’Empereur nomme votre fils sous-préfet d’Arcis ». Cette haute marque de faveur eut pour effet de susciter, contre le maire et sa famille, la haine du parti qui avait surgi à la suite d’une proclamation bourbonienne mystérieuse répandue par les alliés dans nos campagnes, et dont, par une lettre en date du 18 mars, M. Hardouin avait signalé l’existence à l’Empereur. Les 20 et 21 mars, l’armée française forte seulement de 8.000 sabres et de 13.000 baïonnettes soutint le choc contre un ennemi 5 fois supérieur, la ville d’Arcis en était le théâtre. Les 2 journées indécises d’Arcis étaient le prélude de la chute inéluctable de l’empire, pourtant elles eurent pour effet immédiat de jeter l’effroi et l’hésitation sur les armées de la coalition dispersées sur différents points. L’hetman des cosaques, Platoff, et ses hordes sauvages se replièrent sur la rive droite de l’Aube en direction de Plancy. Platoff n’y était pas encore arrivé que déjà il connaissait ce qui s’était passé, pendant le séjour de Napoléon dans cette ville et les révélations du maire à l’Empereur. Devant cette dénonciation, le maire n’eut plus d’autre parti à prendre que la fuite. A la lueur de l’incendie d’Arcis, il se réfugia avec sa femme et ses enfants dans les bois. Platoff, à peine à Plancy, mit au pillage l’habitation du maire, irrité de ne plus y trouver celui que cherchait sa vengeance, il fit saisir un parent dévoué qui avait voulu rester le gardien de la maison, et le supplice du knout (fouet utilisé dans l'Empire russe pour flageller les criminels et délinquants politique) administré à plusieurs reprises à ce malheureux ne suffit pas à arrêter la fureur du barbare. Conduit garrotté devant un conseil de guerre, cet ami de la famille Hardouin n’échappa à la mort que sur l’intervention absolument providentielle d’un officier français émigré, membre de ce conseil, qu’il avait connu à Coblence. Le 21 mars au soir, avec l’arrivée des cosaques, l’Empereur de Russie couchait lui aussi au château, pendant qu’alentour, les troupes vandales faisaient un systématique pillage.

 

Un mois plus tard l’Empire avait vécu. Les alliés, supérieurs en nombre étaient venus à bout de Napoléon. Celui-ci se réfugia à Fontainebleau, ville qui lui était restée, grâce au courage, à la volonté et à l’esprit de patriotisme dû au préfet de Seine-et-Marne, en l’occurrence le Comte Adrien de Plancy. La veille de l’abdication, l’Empereur le reçut et très amicalement lui dit : « Monsieur de Plancy, je viens de chez vous, il faut, que vous soyez un bien brave homme, car tous les habitants font votre éloge, mais votre château est vilain ! … ». « Sire, répondit le Comte, depuis que je suis dans les affaires publiques, j’ai dû forcément le délaisser ».

 

         Adrien Godard d’Aucourt de Plancy, préfet de Seine-et-Marne, vrai modèle de conscience professionnelle, fidèle à la France et à son Empereur mérite bien le surnom que lui décerna l’histoire de « dernier préfet de l’Empire ».   

 

Adrien Godard d’Aucourt
Adrien Godard d’Aucourt
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