Les Crimes



Elle ventait à son mari les mérites de son amant


En 1954, alors qu’il n’a que 7 ans, M. et Mme Kutz se séparent et Serge se retrouve en pension. Son père alcoolique, a abandonné le foyer. Sa mère se dévoue à ses six enfants, mais ne peut lui permettre de continuer ses études :" Il faut que tu trouves un bon métier ", lui répète-t-elle toujours.

 A la fin de son service militaire, il entre comme apprenti-imprimeur dans une usine de pots de yaourts. Le travail l’intéresse et il gagne bien sa vie. Le jeune homme loue un appartement rue des Terrasses.

 En novembre 1968, il est de la fête que donne un collègue. " Eh Kutz ! Viens que je te présente Françoise Didier, elle travaille dans la même boîte que toi." Je vis dans une pension, tenue par des religieuses, rue des Terrasses"explique-t-elle. " Une coïncidence, mon appartement est juste à côté ", s’exclame-t-il. Ils prennent l’habitude de faire le chemin ensemble, puis d’aller au cinéma, de dîner.

Un soir, Serge la prend dans ses bras :"Je croyais que tu ne te déciderais jamais ", chuchote-t-elle. Début 1969, elle s’installe chez lui. Ils se marient en octobre 1970 (Françoise est enceinte). La cérémonie achevée, ils s’engouffrent dans leur voiture, suivis par le cortège des amis. Direction un petit restaurant de campagne. Soudain, un bolide surgit devant le véhicule :" Que s’est-il passé ?". La tête de Serge est pleine du fracas des tôles, du hurlement de Françoise, quand il reprend connaissance à l’hôpital.

" Un chauffard ivre, lui explique un inspecteur. Votre épouse n’a pas grand chose et le bébé va bien". Fracture du pied et du bassin, section du canal de l’urètre entraînant une incapacité sexuelle temporaire. Le jeune homme est désespéré :"Dire que je ne peux même pas faire l’amour avec toi maintenant que tu es ma femme !"." Le docteur a dit qu’il suffisait d’attendre", le rassure-t-elle. La naissance de leur fille, Angélique, le 13 juin 1971, les aide à supporter cette abstinence forcée.

Serge retrouve sa virilité, mais il n’est plus comme avant. L’arrivée du chèque de 100.000 F (nouveaux) pour indemnité de l’accident le rend fou de joie :" Il y a un pavillon à vendre à Prugny, à 15 kms de Troyes. La gamine sera ravie ". " C’est loin pour les courses et le travail ", dit Françoise. Il réussit à la persuader.

 Le couple ne reçoit guère, à part les Terryn, des voisins, et la jeune épouse ne tarde pas à s‘ennuyer :" Je veux retourner vivre en ville ". En décembre 1975, il loue un appartement 75, rue Roger Salengro (aujourd’hui, rue de la Monnaie). Pas question de vendre Prugny. Françoise n’a pas eu de mal à se placer. Elle travaille dans une société de fabrication d’outillages de précision. Elle fait les " trois huit " comme lui, et le couple doit croiser ses horaires pour qu’Angélique ne soit pas mise en nourrice." 

Ce n’est pas cette existence là que j’imaginais pour nous deux ! Dire que nous serions si bien à Prugny, au lieu de vivre dans ce taudis ". "J’aime mon boulot, voir des gens, je ne veux pas m’enterrer dans ce trou ", se bute son épouse.

Le mercredi 11 février 1976, sa fille Angélique, 4 ans, lui dit :" Tu sais papa, je suis allée dans un café, avec maman et un monsieur. Il s’appelle Jean-Claude et il m’a acheté des croissants. Il a embrassé maman ". En quelques secondes, toute sa vie s’écroule :" Ce n’est pas possible ! La petite invente ". Dès l’arrivée de sa femme, il dit calmement " Qui est Jean-Claude ? ". "Je ne sais pas moi, j’en connais beaucoup ". " Celui qui offre des croissants à ma fille et t’embrasse ! ".

Oui, Jean-Claude est mon amant ! je l’aime et je crois que je vais bientôt te quitter ! ". La gifle part d’instinct :" Nous en reparlerons demain. Je dois partir au boulot" grimace-t-il. La jeune femme est déjà partie lorsqu’il revient. Il fixe le manteau de son épouse, pendu dans l’entrée. Il fouille les poches. Une lettre signée Jean-Claude :"Je serai heureux le jour où tu seras mon épouse...".

Dès son retour, il brandit la missive. " Rends-la moi ! Tu fouilles dans mes affaires, tu me dégoûtes ! ", crache-t-elle, méprisante. Françoise ne se prive pas de vanter les mérites de son amant " qui la caresse dans les vestiaires de l’usine, qui est gai, lui, qui aime s’amuser ".

Le vendredi 13 février, Serge se lève à 5 heures. Une intuition lui dit que sa femme va voir son amant. A 6 h 30, enfin, elle se glisse dehors. Sur le trottoir, elle se jette dans les bras d’un homme. Il braque sa lampe de poche sur leurs visages : " C’est vous mon remplaçant ? Je veux vous parler ". L’autre acquiesce. " J’espère que vous gagnez suffisamment pour entretenir Françoise " dit-il. Des paroles idiotes.

L’amant part, le couple remonte dans l’appartement. Ils discutent des heures en vain, se blessant méchamment. A 13 h, Françoise va s’allonger sur le lit, épuisée, à bout de nerfs. Il se couche un instant à côté de la jeune femme. La fillette dort. " Reste avec moi ", demande-t-il. " Avec toi ? Un raté, un fils d’alcoolique presque impuissant ! " s’esclaffe-t-elle.

Jean-Claude se rue dans la cuisine, saisit le couteau qui traîne sur la table. La lame frappe au hasard, le sang jaillit, l’éclabousse. " Maman tu as mal ? " Soudain, il prend conscience de la présence d’Angélique qui pleure devant le spectacle affreux. Il se retourne vers elle. L’arme s’enfonce dans la poitrine enfantine. Il jette le couteau, puis sort. Il est 14 h 30, Serge prend sa voiture et fonce vers Prugny.

Oui, il va se suicider là-bas. A 18 h 20, les gendarmes d’Estissac sont alertés par le coup de téléphone d’un certain Monsieur Terryn : " Vite, mon voisin a essayé de se tuer ! Il prétend avoir tué se femme et sa fillette à Troyes. Le jeune homme a tenté de s’entailler la gorge. Ensuite, il a voulu s’empoisonner au gaz, après avoir écrit quatre lettres. Finalement, réalisant l’horreur de son geste, il s’est traîné, ensanglanté jusque chez nous, son voisin". Les policiers de Troyes, prévenus, enfoncent la porte de l’appartement de la rue Roger Salengro, découvrant le cadavre de Françoise. Près d’elle, la petite Angélique gît dans une mare de sang, mais vit toujours. Ses blessures ne sont pas mortelles. "Je les aimais plus que tout ! Je ne pouvais imaginer de les perdre " dit simplement Serge.

 Le procès s’ouvre le 15 novembre 1977, devant les assises de Troyes. La tâche de ses avocats, du barreau de Paris, Maîtres Roland Dumas et Hugo est rude. Car Troyes, il ne faut pas l’oublier, est la ville de Patrick Henry. Et l’homicide ou la tentative d’homicide, sur la personne d’un enfant, prend des résonances encore plus douloureuses peut-être qu’ailleurs.


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