Le département



La Saint Trinquet


Comme la Saint-Glin-Glin, la Saint-Trinquet ne figure pas au calendrier.

 

Nos villages, jadis, comptaient de joyeux drilles ne dédaignant pas la farce.

 

A Landreville, « Bobèche », de joyeuse mémoire, était de ceux-là.

 

Un créancier peu patient et des difficultés chroniques de trésorerie le conduisirent un jour à la justice de paix d’Essoyes.

 

Un brave homme de juge, M. Trombert, en tenait le fléau.  Ce fut devant un bel auditoire que l’huissier appela l’affaire. On était venu à Landreville pour rire un brin. On ne fut pas déçu, mais cela ne se passa pas comme prévu.

 

A l’appel de son vrai nom, le débiteur « Bobèche » s’avança. Il écouta d’un air soumis la plainte justifiée de son créancier. Il avait promis de s’acquitter pour la vendange et il n’en avait rien fait. Las, le plaignant en appelait à la loi. A l’interpellation sévère du juge : « Qu’avez-vous à dire ? », il répondit docile : « Mais rien M. le juge ». Et, candide, d’une voix douce, il énonça : « La Saint-Martin est trop près. Je vous promets de payer à la Saint-Trinquet » ». Devant l’énormité de la farce, le public retenait son souffle : les uns prêts à éclater, les autres s’attendant aux foudres de la loi. Tous avaient les yeux fixés sur le juge. Qu’allait-il faire ? Le gendarme de service n’attendait qu’un signe (outrage à magistrat), pour mettre la main au collet de « Bobèche ». Celui-ci, tranquille, le cœur soulagé de sa dette attendait la ratification officielle de son engagement. Le juge ne bondit pas devant l’énormité de la farce dont on voulait le faire complice. Il ne ratifia pas non plus en citadin distrait peu au courant des saints à échéances du calendrier local. Mais, d’une voix calme, il admonesta notre « Bobèche » et conclut : « J’accepte votre proposition. Vous paierez à la Saint-Trinquet, mais comme Saint-Trinquet ne figure pas au calendrier, vous paierez au 1er novembre, c’est la Toussaint, la fête de tous les saints, celle également de votre Saint-Trinquet, et c’est sans appel. Huissier, appelez l’affaire suivante».

 

Le sourire qui se dessinait sur les lèvres de « Bobèche » se figea.

 

Un large éclat de rire emplit le prétoire que « Bobèche », l’oreille basse, traversa.

 

Pour une fois, il venait de trouver son maître.

 

Personne ne peut dire si ce jugement fit jurisprudence, mais à Landreville, il est resté dans les annales de la bonne humeur.    

 

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