Pendant les guerres...



Drame à Troyes en 1814


Les historiens des mémorables événements de 1814 dans l’Aube, ne mentionnent qu’en quelques lignes ce drame. Il mérite cependant qu’on y portât un peu plus de lumière. Indépendamment de son caractère tragique, il nous révèle l’état d’âme des royalistes au moment où les souverains alliés, victorieux enfin après avoir été si longtemps vaincus, infligent à la France la honte et les fléaux de l’invasion. Il témoigne en même temps de l’exaspération de l’Empereur à l’heure des revers qui présageaient sa chute et, alors qu’il disputait à ses ennemis de l’extérieur son empire envahi, de sa volonté de terroriser ceux de l’intérieur qui s’étaient faits leurs complices.

 

         La grande armée alliée est composée d’Autrichiens, de Prussiens et de Russes. Le maréchal prince de Schwartzenberg en est le généralissime. Le 1er janvier 1814, les envahisseurs sont sur le territoire impérial. Leur dessein est d’aller à Paris. Les agents royalistes essaient de détourner les citoyens de s’armer, encouragent la désertion parmi les troupes, pour paralyser les levées en masse ordonnées par l’Empereur, ils arrêtent les élans patriotiques, affaiblissent les courages et ouvrent à l’ennemi tous les chemins. Il est ainsi au cœur du pays sans avoir rencontré de résistance. Dès ce moment, il ne se contiendra plus. Le pillage, l’incendie, le viol, toutes les horreurs d’une telle conquête témoigneront partout de sa présence, de la sauvage cruauté de ses soldats.

 

         La retraite de l’armée impériale s’opéra en bon ordre. Le 3 février, elle arrive à Troyes, où l’Empereur fait son entrée le même jour. Contrairement à son entrée en 1805, où il avait été reçu avec un enthousiasme qui tenait du délire (voir ce chapitre), il n’y eut pas d’accueil ni pour lui, ni pour ses troupes.

 

         A la suite du combat de la Rothière (voir ce chapitre), les alliés décident de marcher sur Paris, et une armée commandée par Schwartzenberg passerait par Troyes, pour aller dans la capitale. Le 7 février (voir ce chapitre), 1 escadron de cavalerie autrichienne se présente devant la porte Saint-Jacques. Le 8 février, arrivent les 3 souverains alliés : le Grand Duc Constantin, frère de l’empereur de Russie, le prince impérial d’Autriche et le prince royal de Prusse. Le zèle antipatriotique des royalistes se déploie sans mesure. Les 2 chefs du parti, croyant Napoléon définitivement vaincu, se compromettent à plaisir. L’un d’eux est le marquis de Widranges, l’autre le chevalier Jacques de Gouault ancien chef d’escadron. Ce dernier était né à Troyes le 20 juin 1759. Son père avait été échevin et anobli à la fin du règne de Louis XV. A l’entrée des alliés, le marquis de Widranges avait arboré un drapeau blanc sur sa maison, puis, décoré de la croix de Saint-Louis, distribuant dans les rues une proclamation de Louis XVIII, il s’était rapproché du petit groupe d’émigrés français attachés à l’état-major de l’empereur Alexandre II de Russie. Avec Gouault, il multiplièrent leurs efforts en vue de recruter des adhérents. Quelques royalistes adhérèrent au projet, ils prétendaient avoir reçu mandat de parler au nom des habitants de Troyes, et ils étaient 11 !

 

         Du 9 au 22 février, Napoléon fut constamment vainqueur, et il réapparait devant Troyes. Dès le 20, les souverains quittent la ville où ils ne se considèrent plus en sûreté. Le 23, les Troyens apprennent la prochaine arrivée de l’Empereur. A ce moment les royalistes s’éclipsent, se dispersent, à l’exception du chevalier Gouault. La ville se porte à la rencontre de l’avant-garde impériale qui arrive par Sainte-Savine et Saint-Martin et est acclamée. Mais les acclamations redoublent à l’entrée de l’Empereur qui s’avance à la tête de l’armée, et la foule l’escorte jusqu’à la rue du Temple (rue Général Saussier), où ses appartements étaient préparés dans la maison qu’il avait déjà habitée (Cours St- François-de-Sales). Il fait appeler le maire et le procureur impérial, et leur demande s’il est vrai que pendant le séjour des alliés, des habitants de Troyes, anciens émigrés ont frayé avec eux, abordé le drapeau blanc, porté la croix de Saint-Louis et fait une démarche auprès des souverains étrangers en faveur des Bourbons, et il s’informe des 2 complices Widranges et Gouault. Il parle d’eux avec colère, et entend qu’ils soient châtiés sans retard, et le 24 février, il dicte un décret en vertu duquel ces traîtres seront jugés, condamnés à mort, et leurs biens confisqués.

 

         Widranges, comme on l’a vu, était déjà loin. La police trouve Gouault chez lui, caché dans une armoire, et à 9 heures du matin, il est conduit à l’hôtel de ville, devant une commission militaire. Le peloton d’exécution était commandé avant que les débats ne s’ouvrissent. Il reconnut les entretiens et les relations qu’on lui imputait. Le jugement le condamna à être passé par les armes immédiatement, et fut affiché à 100 exemplaires dans le département de l’Aube avec l’en-tête : « Traître à la patrie ».

 

         Cependant, le jugement rendu, ses amis et sa femme s’étaient précipités pour essayer de parvenir à l’Empereur, afin de solliciter sa grâce.  Il y avait alors dans l’état-major impérial Adrien de Mesgrigny, dont la famille tenait depuis plusieurs siècles un rang considérable (voir ce chapitre). Il était tout naturel que la famille et les amis de Gouault s’adressassent à lui pour avoir accès auprès du souverain. Les solliciteurs se présentèrent à la résidence de l’Empereur, il leur fut répondu que Sa Majesté dormait et que défense était faite d’entrer dans sa chambre avant qu’elle appelât. Est-il vrai qu’en apprenant la présence à sa porte des proches du condamné, il ait regretté de n’avoir pas été réveillé plus tôt et que, saisi de pitié, il se soit laissé fléchir et arracher la grâce du condamné ? Il semble que la clémence de l’empereur se serait enfin exercée, mais trop tard. Lorsque l’aide de camp arriva sur la place du Marché au blé (place Jean Jaurès) où devait avoir l’exécution, porteur de l’ordre d’y surseoir, le chevalier n’existait plus. Son cadavre gisait au chevet de l’église Saint-Jean, contre laquelle il venait d’être fusillé, après avoir traversé la ville, vêtu d’un habit vert auquel était accrochée cette croix de Saint-Louis, qui lui coûtait la vie, la poitrine couverte d’un large écriteau sur lequel on lisait : « Traître à la patrie ». Il était mort bravement, en soldat et en royaliste. Il avait voulu commander le feu et on l’avait entendu crier : «  Vive le roi, vivent les Bourbons ! ». Si l’on veut se rappeler que l’empereur avait fait son entrée à Troyes à 7 h 30 et qu’à 10 h 30 le chevalier de Gouault expiait sa conduite inconsidérée et coupable, on reconnaîtra que jamais la justice impériale ne s’était montrée  plus expéditive qu’elle ne le fut ce jour-là.

 

         La municipalité ne mit pas le même empressement à faire disparaître le corps du supplicié. Dans l’acte daté du 25 février et conservé à l’état-civil de Troyes, il est dit que « le jour d’hier, heure de 2 du soir, Jacques Gouault, militaire retiré, âgé de 57 ans « a été trouvé mort sur la place du Marché au Blé, par 2 sergents de ville ». « Trouvé mort » est en la circonstance, un chef d’œuvre de discrétion administrative et policière, qui témoigne d’autre part que le cadavre resta exposé pendant près de 4 heures à l’endroit où il était tombé.

 

         Napoléon regretta-t-il, comme on s’est efforcé de le prouver, de n’avoir pas eu le temps de faire grâce ? Il est permis d'en douter. Ce qui autorise le doute, c’est la lettre que le 26 février, à la veille de son départ de Troyes, il écrivait au maréchal Augereau, qui se portait à Lyon sur Mâcon, afin de barrer la route à l’ennemi : « J’ai fait fusiller ici un nommé Gouault, ancien émigré, qui s’était avisé de porter la Croix de Saint-Louis. Si, à Mâcon et autres lieux, il est des individus qui aient fait la même faute et porté la cocarde blanche ou d’autres signes de rébellion, que 3 heures après votre arrivée, ils soient arrêtés, traduits à une commission militaire et fusillés. Sous quelque prétexte que ce soit, vous ne devez pas rester 24 heures sans que cette opération soit faite ».

 

          Le souvenir de la tragique aventure du chevalier de Gouault s’est conservé longtemps parmi les habitants de Troyes. Mais, elle y est bien ignorée aujourd’hui, comme un chapitre de l’histoire des émigrés.


Sur le bandeau du  bas de chaque page, vous cliquez sur "Plan du site", qui est la table des matières, et vous choisissez le chapitre qui vous intéresse. 

Cliquez sur "Nouveaux chapitres"  vous accédez aux dernières pages mises en ligne.


Rechercher sur le site :