La vie à Troyes



La Pharmacie à Troyes


Le plus ancien document sur les apothicaires Troyens date de 1248. Jusqu’à ce jour, le seul document plus ancien existant, a été découvert sur le même sujet en France en 1207, à Perpignan.

         Ce document de 1248 nous apprend que sous le règne du comte Thibault IV le chansonnier, régnant sur la Champagne et la Navarre, il y avait à Troyes, sa capitale, un apothicaire sous la dépendance d’un couvent apothicaire, apothicaire qui exerçait en même temps le commerce d’épicerie.

Le 24 décembre 1431, Pierre Le Tartier, lieutenant-général du Baillage de Troyes, rédige une ordonnance réglant la fabrication et la vente des matières pharmaceutiques, des bougies et torches de cire. C’est le seul document qui ait été pris à Troyes jusqu’à ce jour. L’ordonnance s’adresse aux « apothicaires, espiciers et ouvriers de cire », mais aucun des articles ne concerne l’épicerie proprement dite. Il semble donc qu’à Troyes, dès 1431, le commerce des drogues et l’épicerie simple soient différenciés, la fabrication et la vente des ouvrages de cire soient plus ou moins distinctes. La vente des drogues doit être faite par des gens « prudents, honnêtes et savants. Aussi l’apothicaire ne sera reçu que s’il est reconnu capable et ne pourra exercer son art qu’après avoir prêté serment. Pour cette même raison, les employés clercs ou varlets devront savoir lire, écrire, entendre le latin et prêter serment ». L’apothicaire doit récolter lui-même toutes les herbes, racines, fleurs et semences qui poussent dans la campagne environnante et les renouveler tous les ans. Il doit les étiqueter et mentionner la date de la récolte. Le règlement spécifie que les sirops doivent être faits de bon sucre et de bon miel. Les poudres employées doivent être fines et obtenues à partir de drogues « d’espèces convenables »… Toutes drogues en mauvais état doivent être jetées et l’apothicaire n’a pas, sous quelque prétexte que ce soit, le droit de les employer ou de les vendre. Des amendes sont prévues pour punir toutes infractions à cette règle. Toutes les médecines que l’apothicaire peut avoir à préparer, en dehors des préparations magistrales doivent l’être « selon les règles données par Maître Nicolas ». Il s’agit évidemment de l’auteur de « l’Antidotaire », dont l’ouvrage a été le « Codex » du Moyen Age.

L’apothicaire ne peut délivrer de médicaments que sur l’ordonnance écrite des médecins. Il doit vérifier que le praticien qui a rédigé cette ordonnance est « sage et expert », qu’il n’y a pas d’erreur dans la prescription. Dans l’affirmative il retournera l’ordonnance au médecin qui l’a rédigée, ou à un autre, « expert et sage en ladite science ». L’ordonnance doit être scrupuleusement et consciencieusement exécutée : le respect des doses et de la nature des drogues est également recommandé, « en aucun cas le quiproquo n’est admis ». L’apothicaire n’a pas le droit de renouveler une ordonnance « sans licence du médecin ». Il ne peut non plus l’exécuter de son propre chef pour un autre malade. Il n’a d’ailleurs, en aucun cas, le droit de donner de sa « propre autorité aucune médecine ». Enfin, maîtres et employés ne doivent donner de poison « sans licence de justice ou d’aucun sage et expert médecin ». Ces poisons doivent être enfermés, hors de la portée du public et même de la famille de l’apothicaire. Le règlement se termine par l’établissement de l’inspection des boutiques d’apothicaires. 4 inspecteurs seront élus chaque année et 3 d’entre eux assisteront obligatoirement aux visites. Ils auront pour salaire la moitié des amandes infligées aux délinquants, et ne devront faire montre d’aucune complaisance pour leurs confrères sous peine d’être punis eux-mêmes.

Ces statuts de 1431 sont en bien des points, d’accord avec les décrets qui règlent l’exercice de la pharmacie actuelle.

La corporation des apothicaires de Troyes était organisée sur le type classique des corporations de l’Ancien Régime avec les 3 étapes qui permettaient d’y accéder : l’apprentissage, le compagnonnage et le brevet de maîtrise. L’apprentissage : il y a une double origine à ces jeunes apprentis : d’abord les fils de maîtres apothicaires, et puis les autres, qui sont fils de médecins, de bourgeois, mais le plus souvent les enfants de maîtres d’autres  corporations : épiciers simples, merciers, vinaigriers, fripiers… Les statuts mentionnent que les apprentis doivent être « de bonne vie et de parentage honorable. Les maîtres doivent les entretenir dans la crainte de Dieu, leur montrer la grandeur de la profession qu’ils ont choisie, les responsabilités qui leur incombent et les risques qu’ils encourent en n’exerçant pas loyalement et fidèlement leur état ». Ils auront un examen préalable de latin, qui leur permettra la lecture et la compréhension des ordonnances et des livres dans lesquels ils s’instruiront. La durée de l’apprentissage est de 4 ans à Troyes. L’apprentissage terminé, le jeune compagnon peut continuer ses études chez le même maître ou chez un autre apothicaire. Après environ 5 années de compagnonnage, le jeune aspirant, pourvu d’un parrain, va affirmer sa maîtrise. Le conducteur demande à ses confrères d’examiner les certificats du candidat, témoignant qu’il a « bien et dument fait et parfait son apprentissage en la ville de Troyes, et encore servi dans les boutiques de plusieurs maîtres du Royaume dans l’exercice dudit art », puis on « assigne » à l’aspirant un jour pour être examiné par les maîtres apothicaires, en présence d’un médecin. On lui présente « différentes drogues et simples » qu’il doit « nommer à première vue » et dont il doit savoir l’usage. Cet examen terminé, on indique à l’aspirant le chef-d’œuvre qu’il doit effectuer au cours d’un second examen, 4 à 5 jours plus tard, à la boutique du garde-juré. Si l’aspirant a satisfait à toutes les épreuves, il est conduit devant le bailli pour prêter serment. Vers 1750, la difficulté des examens s’accroit, la pharmacie chimique s’étant imposée en thérapeutique, va désormais figurer dans les examens concurremment avec les antiques recettes. N’oublions pas que certains apothicaires sont aussi épiciers et même ciriers. Les lettres de maîtrises remontent à Louis XI.

Comment était organisé, dans l’hôpital, le service de la pharmacie ? A l’époque de Louis XIII, l’hôpital avait 2 pharmaciens. Avant, ce sont les religieuses qui assuraient ce service. En 1796, on supprime cette charge en raison du trafic des remèdes que fait le pharmacien-chef, et qu’en plus, il a indûment touché de l’argent, et nourri sa famille aux frais de l’Hôtel-Dieu. Les pharmaciens de l’Hôtel Dieu étaient chargés en plus du service de cet hôpital,  des autres hôpitaux de la ville.

L’Hôtel-Dieu était aussi chargé de la distribution des boîtes de médicaments. Ces boîtes étaient, depuis 1721, envoyées régulièrement, sur l’ordre du roi. Elles étaient destinées aux malades pauvres des campagnes, pour pallier au défaut d’hôpital dans ces localités. Mais il y avait des médicaments de toute sorte, dont quelques-uns étaient dangereux et pouvaient être mal employés par erreur ou incompréhension, la plupart des malades ne sachant pas lire. D’autre part, la répartition était faite, non par des médecins, mais par des personnes charitables, et les remèdes n’étaient pas toujours ceux qui convenaient au malade. En 1787, les médecins de Troyes se plaignirent de ces distributions faites sans discernement et du petit nombre des boites envoyées annuellement par la Cour.

La pharmacie civile et la pharmacie hospitalière à Troyes furent longtemps en conflit. Un procès mit aux prises la Communauté avec les Administrateurs de l’Hôtel-Dieu (condamnés à 1.000 livres d’amende, en 1759), à propos de la vente de médicaments que l’Hôpital se permettait fort souvent. En 1777, le Roi fait une déclaration à Versailles, interdisant aux communautés religieuses et aux épiciers la vente des médicaments.

Lors des Etats Généraux de 1789, la corporation troyenne comprenait 4 maîtres dont Edme Gentil et son fils François, qui ont signé le cahier de leurs revendications. Parmi les principales revendications, les apothicaires demandent l’exclusivité de la vente des médicaments et protestent une fois de plus, contre les hôpitaux et les communautés religieuses avec lesquels ils ont eu si souvent maille à partir. 

 Voyez le chapitre « Charlatans » : les empiriques, marchands d’orviétan, opérateurs de toutes sortes étaient très nombreux à Troyes où l’affluence des foires les attirait. Leur venue n’allait pas sans jeter le trouble dans le commerce local honnête des drogues.      

Lignée d’apothicaires à Troyes : les Sorels, les Bourgeois et les Gentil.

La famille de mon épouse comptant environ 10 générations d’apothicaires et pharmaciens (ses arrières-arrières-grands-pères, grands pères, oncle, père, une de nos filles, une de nos petites filles), je ne parlerai que de la lignée de sa famille, les Gentil. Les plus anciens sont : Pierre Gentil, marié en 1596, ayant eu 8 enfants, dont 1 médecin, 1 chirurgien et un François Gentil apothicaire comme son père, né en 1609. Ce dernier, marié en 1634 et en deuxième noces en 1647, eut 9 enfants. L’aîné Pierre, né en 1635 (décédé en 1697), continue le métier paternel. Marié en 1661, il a eu au moins 7 enfants. En 1692, il fait partie de la Communauté des apothicaires. L’aîné de ses enfants, prénommé aussi Pierre succède à son père. Marié en 1694, il a 12 enfants de 1695 à 1716. Antoine devint chirurgien et l’aîné Pierre devint apothicaire à l’Hôtel-Dieu. Le plus jeune Edme, né en 1709, prend la succession de son père. Marié en 1738, il eut 7 enfants. Son fils François-Edme, né en 1740, fut reçu apothicaire en 1768, et est encore sur la liste des pharmaciens en 1821. Il y a également d’autres Gentil, apparentés à la lignée précédente : Pierre Gentil, apothicaire de la paroisse de Saint-Nicolas, qui doit être distingué du Pierre Gentil, apothicaire de la paroisse de Saint-Nizier, qui eut un fils François qui épousa la fille de l’apothicaire Pierre Devilliers en 1684, et eut 8 enfants. Il y a aussi un autre François Gentil apothicaire, marié à Marie-Charles Bourgeois en 1715 et un Claude Gentil apothicaire, marié vers 1728, à Magdeleine de Pains, fille de Jehan de Pains, également apothicaire.

Troyes tient une place exceptionnelle dans la littérature française du Moyen Age, ayant vu naître plusieurs auteurs de premier plan : au XII° siècle, Chrétien de Troyes, le chansonnier Thibault IV de Champagne, les chroniqueurs Geoffroy de Villehardouin et Jean de Joinville. Un peu moins connus sont Huon de Méry et Bertrand de Bar-sur-Aube qui contribuèrent aux premières chansons de gestes. A tous ces grands noms de la littérature moyenâgeuse, il faut adjoindre l’auteur anonyme de Renart le Contrefait. En effet, ce dernier est un apothicaire troyen. Les comtes de Renart étaient alors très populaires. Il y a aussi Claude Bourgeois, apothicaire troyen du XVII° siècle, qui a publié un éloge de l’alkermès. .

La chronique troyenne a retenu les noms de 2 apothicaires du XVI° siècle, en raison de la singularité des événements auxquels ils ont été mêlés.

Jean Moussey et le grand incendie de Troyes de 1524, qui aurait été alimenté par « comble de poix, de soufre, d’huile de pavot et de plusieurs autres semblables matières faciles à s’enflammer », entreposés dans sa boutique d’apothicaire.

Au mois d’août 1561, devant l’Hôtel de Ville, il y a la Belle-Croix qui a la réputation de faire des miracles (voir le site). Pendant 3 semaines,  elle se met à changer de couleur, tantôt elle devient « rouge comme le feu, tantôt elle est blanche comme la neige, ou bien bleue ou verte… ». Il y a de nombreuses guérisons et beaucoup de présents se convertissent à l’église catholique. Il y a un apothicaire nommé Gaulard qui habite sur la place de la Belle-Croix. Il émet des doutes sur la sincérité des miracles et pousse l’impudence jusqu’à placer devant sa boutique « l’anatomie d’un chat », en insinuant que le chat pourrait aussi bien être la cause des miracles. Le peuple indigné se précipite dans la maison de l’apothicaire, brise les vitres, rompt les fenêtres et met tout à sac. L’apothicaire s’étant caché est demeuré indemne.  

 

 

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