Religion



Le chanoine Pénard, curé de Saint-Martin


 

Monseigneur Maurice Feltin, Archevêque de Bordeaux, ancien évêque de Troyes, écrivait le 6 septembre 1938 à M. l‘Abbé Vidal, directeur de l’école Urbain IV : «… La lecture de présentation de M. le Chanoine Pénard m’a donné de bien douces émotions… Elles m’ont remis pendant quelques instants, dans ce milieu troyen, dont je garde un inaltérable souvenir. Elles ont fait revivre aussi, en mon cœur, la figure si attachante du cher curé de Saint-Martin… ».

 

         Monseigneur Joseph Heintz, évêque de Metz, ancien évêque de Troyes écrivait à ce même chanoine le 9 octobre 1938 : « … M. le Chanoine Pénard représente l’une des figures les plus marquantes du Clergé de Troyes dans ce dernier demi-siècle. Une foule de prêtres et de fidèles ont été en contact avec son âme sacerdotale… Votre amitié pour le cher défunt trouvera sa récompense dans le prolongement que vous aurez donné de son action pastorale… Soyez donc chaudement félicité…>>.

 

         Le 6 juin 1860, naît à Poligny, petite commune de l’Aube de 50 habitants (à l’époque), Jules-Léon-Casimir Pénard. « Sa chaumière était peut-être la plus humble et la plus pauvre du village ». Son père Nicolas exerçait à Poligny le métier de maréchal-ferrant. Il est baptisé le 17 juin à l’église de Marolles-les-Bailly, paroisse à laquelle était rattachée la commune de Poligny. « L’enfant était d’un naturel calme et tranquille… ses goûts le portaient à l’étude…il lisait en faisant 4 fois par jour le trajet de Poligny à Marolles. Cette passion de s’instruire fut celle de toute sa vie… ». En 1871, au début de l’année, eurent lieu les élections pour l’Assemblée nationale. L’Aube fut longtemps de fief électoral des Périer. Casimir Périer, fils du célèbre ministre de Louis-Philippe, et futur Président de la République, était candidat. Au cours de sa tournée électorale, il remarqua le petit Casimir Pénard. Frappé par l’intelligence du jeune bambin et désireux sans doute de s’assurer le suffrage du père Pénard, il voulut laisser un souvenir… retentissant : il lui offrit un tambour. Quand vint pour Casimir l’heure d’affronter les épreuves du Certificat d’études, il se défiait tellement de lui-même, qu’il ne voulait pas se rendre à Vendeuvre où devait avoir lieu l’examen. Le père, qui prétendait être obéi, dut s’armer d’une trique pour vaincre les hésitations du candidat récalcitrant. En face de cet argument sans réplique, Casimir se décida à partir. Il revint le soir, il était reçu, premier du canton ! M. l’Abbé Gillier, curé de Marolles-les-Bailly avait remarqué de bonne heure Casimir Pénard et avait discerné en lui des signes de vocation ecclésiastique. Il entre au séminaire en 1874. On relève dans « La Revue Catholique du Diocèse de l’Aube », les progrès de Casimir : 1875, classe de 6° : 4 prix dont le prix d’excellence ; 1877, classe de 4° : 9 prix, dont excellence ; 1878, classe de 3° : 10 prix dont excellence ; 1879, classe de 2° : 10 prix dont excellence ; 1880, classe de Rhétorique, 12 prix dont excellence. En octobre 1880, Casimir entre au Grand Séminaire, rue de l’Isle. Il est ordonné prêtre, le 21 mars 1885, par Mgr Cortet. Ensuite, il devient préfet d’études au Petit Séminaire, puis prend la chaire de professeur de 7°, et est nommé vicaire de Saint-Remy. Le curé, l’Abbé Mercier lui accorda la plus entière confiance. Casimir visitait les malades, faisait le catéchisme, et surtout, à côté de la salle de catéchisme, il fonda un bureau de placement et devint un agent de recrutement des ouvriers et employés de la maison Vachette. Les candidats qu'il présentait n'étaient pas tous également recommandables, et il arriva de temps à autre que l'administration de l'usine, après quelques semaines d'essai, lui renvoyait ses protégés. Alors il demandait un supplément d'enquête, plaidait les circonstances atténuantes, faisait la morale à l'inculpé, tâchait de discerner ses aptitudes et, mieux renseigné, suppliait qu'on tentât une nouvelle expérience dans un autre service. Et l'administration se laissait presque toujours convaincre par l'abbé.  Mme Vachette a toujours été sa bienfaitrice, et on la voyait souvent accompagner l'Abbé Pénard dans sa tournée de visites chez les pauvres. Il aidait l’aumônier du Lycée, il collaborait à la rédaction de la « Croix de l’Aube », qui était alors un journal hebdomadaire. En novembre 1894, Casimir est nommé professeur de seconde au Petit Séminaire, et 1895, professeur de rhétorique. Tous les candidats qu’il présentait au baccalauréat étaient reçus. Il alla plusieurs fois à Rome, prier dans les Catacombes, s’agenouiller sur le sol du Colisée tant de fois arrosé du sang des martyrs, pour assister à la canonisation de Saint-Antoine Marie Zaccaria.

 

En juin 1897, juste avant sa mort, Mgr Cortet nomme l’Abbé Pénard chanoine honoraire. Le 29 janvier 1905, Casimir est installé curé de Saint-Martin. Il crée un groupe d’enfants de chœur qu’il forme avec soin aux cérémonies, « si bien qu’aux jours solennels, on pouvait se croire dans une cathédrale ». Tous les ans, de 1910 à 1914, sur sa demande, les « Petits Chanteurs à la Croix de Bois » se firent entendre à l’Eglise Saint-Martin, pour la fête de l’Adoration. Casimir fonda une chorale. Le Chanoine Pénard devint aussi architecte et entrepreneur : réfection de la toiture, consolidation des contreforts, réparation du clocher, remise en état des vitraux (classés monument historique), remise en état des vitraux après un violent orage ou après les entreprises nocturnes de hardis cambrioleurs. Il fut le premier des curés de Troyes à appliquer l’électricité à la sonnerie des cloches, à la soufflerie des 2 orgues (moyen de remédier au manque de personnel), à l’éclairage  et au chauffage de toute l’église. La sacristie de Saint-Martin n’était pas pour M. le Curé simplement l’endroit où l’on s’habille pour dire la messe. C’était son bureau de la matinée : il y avait installé le téléphone, il y prenait son petit déjeuner, il mettait une dernière main à une de ces allocutions de mariage dont il avait le secret, il y recevait des confidences, il donnait des conseils, il distribuait des aumônes, il prêchait la résignation, il consolait, il encourageait. Dès les premiers jours de son arrivée, il avait résolu de visiter sa paroisse, une des plus étendues de la ville, de prendre contact avec tous les fidèles (ils étaient 11.053 en 1913, 13.778 en 1937)., non point pour contrôler leurs opinions, mais pour connaître leurs besoins, pour partager leurs joies et plus encore leurs peines, pour porter Dieu à tous, particulièrement à ceux qui ne venaient pas le chercher dans son temple, pour apprendre à bien placer ses aumônes… Mais à côté des pauvres qui sollicitent la charité du prêtre, qui assiègent obstinément le passant dans la rue, il y en a d’autres, non moins dignes de pitié, qui n’osent pas, qui ne peuvent pas demander, même s’ils connaissent la gêne, les privations, la détresse parfois. Il frappait à toutes les portes : à la porte des fortunés de ce monde, qui pouvaient garnir sa bourse, à la porte de l’ouvrier qu’un travail régulier mettait à l’abri du besoin, à moins que la maladie, un accident imprévu, la charge d’une nombreuse famille ne plaça l’un ou l’autre au moins transitoirement, dans cet état de « misère imméritée » dont parlent les Encycliques de Léon XIII, à la porte des malheureux qui étaient réduits à l’indigence la plus complète. La charité du curé de Saint-Martin aimait à se couvrir du voile de la discrétion. Mais parfois la charité est contrainte de s’exercer au grand jour. L’année 1910 a connu le fléau de l’inondation : un quartier important de la paroisse, situé entre le Canal et la Seine, se trouva envahi par les eaux. Le curé fut tout de suite à la hauteur de la situation. M. Pénard en arrivant chez les sinistrés dit « Pour l’instant, il n’y a ni curé, ni fidèles, il n’y a qu’un père au milieu de ses enfants ». Et il distribua 500 f en pièces de 100 sous qu’un brave homme venait de lui donner, en disant : « Allons ! Sauvez-vous, les hommes et les garçons au Foyer, les femmes et les petites filles chez les Soeurs de Charité ». Mais il ne suffisait pas d’abriter tous ces pauvres gens, il fallait les nourrir. Les Sœurs préparent une soupe, et le soir, 60 à 80 lits permettent aux victimes de la catastrophe de se reposer. En août 1914, ce fut les horreurs de la guerre et de l’invasion. La marche foudroyante de l’armée allemande pendant le mois d’août 1914, amena l’exode en masse des habitants du Nord et de l’Est. Le Foyer des jeunes offrit un asile aux réfugiés pendant plusieurs semaines. Il créa « l’œuvre du lait des blessés ». Après la guerre, le curé de Saint-Martin fonda ce qu’il appelait le « Bouillon des Pauvres », et en même temps le « Vestiaire des Pauvres ». Les Sœurs de la Charité furent naturellement chargées d’en assurer le fonctionnement. Casimir continua et développa l’œuvre florissante des patronages de filles et des patronages de garçons (L’Avant Garde), pour environ 600 enfants (sections de gymnastique, théâtrale, de Cercles d’étude, ateliers de couture puis de bonneterie…). Pendant les années de la guerre, il dut se passer de ses 2 vicaires et du directeur du Foyer.

 

Dès la première année de son ministère, il ouvrit une école de filles, car les Sœurs de la Charité et les Sœurs de la Providence n’avaient plus le droit de faire la classe, même à leurs orphelines (loi de la séparation des Eglises et de l’Etat de 1905). L’école libre Sainte Jule commença à fonctionner, et il est décidé que la gratuité serait absolue. Mais la question d’argent pèse lourdement sur les épaules du Curé de Saint-Martin  qui, pour alimenter le budget fait des quêtes à domicile et à l’église, des tarifs de mariages ou d’enterrements de première classe… Jusqu’en 1920, la caisse centrale diocésaine de l’enseignement libre assurait le fonctionnement des écoles libres de garçons dans toute la ville de Troyes. Pendant cette période, M. Pénard ouvrit en 1912, une école maternelle, qui fut ensuite rattachée à l’école Sainte-Jule. Les 2 écoles (Saint-Martin et Sainte-Jule) enregistrèrent les mêmes succès dans la présentation aux examens. Il y avait 625 élèves, dont 101 ne figuraient pas sur les registres de la paroisse.

 

Au cours de ses 32 ans de ministère pastoral, il a exposé toute la doctrine catholique dans ses instructions dominicales, dans ses conférences aux hommes et aux jeunes gens, dans ses différentes allocutions… Il vouait un culte particulier pour Sainte Jeanne d’Arc, et il érigea en son honneur une statue de marbre dans la chapelle de la Sainte-Vierge, et il fit de nombreux pèlerinages à Domrémy. Il raviva la confiance de ses paroissiens en la protection de Sainte-Jule, patronne secondaire de la paroisse.

 

Pendant la guerre, le patriotisme eut sa part dans la prédication du Curé de Saint-Martin. D’abord, à la requête des pouvoirs publics, il usa de son influence pour encourager les versements d’or, et plusieurs centaines de mille francs furent déposés par lui à la Banque de France, les reçus étant affichés aux portes de l’église. Mais aussi, il crut de son devoir d’entretenir la confiance de ses paroissiens, il stigmatisa les cruautés, les violences, les crimes de l’ennemi, pour implorer sur nos armes la protection miséricordieuse du ciel, pour conserver l’espérance en une victoire qu’il fallait mériter par la résignation dans la souffrance et la persévérance dans la prière.

 

En 1920, à 60 ans, il voulut donner sa démission, dans la crainte de n’avoir plus les forces physiques pour supporter le fardeau de la direction d’une paroisse de plus en plus importante. Sa démarche s’était alourdie, ses pas étaient devenus traînants, sa voix faiblissait, mais « l’âme restait maîtresse du corps qu’elle animait ». En avril 1936, il fit les offices de la semaine sainte, mais le lundi de Pâques, il eut une première attaque de congestion. Il fallut s’arrêter. Il fut décidé qu’il irait prendre du repos à Fribourg où, depuis plusieurs années, il passait 2 ou 3 semaines de vacances. Pourtant, il ajourna quelque peu son départ pour remplir son devoir d’électeur. Il ne se résignait pas volontiers à prendre des précautions. Le jour de la Fête-Dieu, il voulut faire une dernière fois la procession. Les fêtes terminées, il repartit pour Fribourg, mais la situation s’aggrava, il revint brusquement dans son presbytère, et c’est là qu’il traversa la période la plus violente, la plus pénible de sa maladie. On le conduisit à Nancy, dans une maison de retraite destinée spécialement au clergé. Il y reçut quelques visites de paroissiens, de ses vicaires, puis donna sa démission : «… Je l’ai fait l’âme brisée, dans l’intérêt supérieur de la paroisse. Il lui faut un pasteur, dans toute la force de l’âge, qui veuille, qui puisse et qui sache payer en tout, partout et toujours de sa personne… Le sacrifice est accompli, il est consommé. J’ai de la peine, mais j’ai la paix ». En mai 1937, pour sa retraite, il s’installa 27 rue Mitantier. Mais bientôt la souffrance reparut, la souffrance morale surtout : il se trouvait trop loin de sa chère église de Saint-Martin. Il eut la consolation, le bonheur de célébrer de temps à autre la sainte messe. Le Samedi-Saint 1938, il eut une seconde attaque de congestion. Il demanda l’Extrême Onction et appela la mort comme une délivrance. Le samedi 11 juin il rendait le dernier soupir. Le lundi 13 eut lieu la mise en bière et le corbillard prit le chemin de l’église Saint-Martin. Je lis dans le « Trait d’Union » : « Quand la dépouille du Père fut ramenée dans l’église de sa paroisse, où il avait été pendant 32 ans si magnifiquement prêtre et hostie, la foule de ses amis, de ses enfants, ne cessa, jour et nuit, de venir à ses côtés pour prier, réveiller les souvenirs de sa charité et y puiser des résolutions de fidélité au Christ ». Dans « L’Express de l’Aube » du 15 juin : « La journée d’hier a été pour la paroisse Saint-Martin une journée de deuil universel. L’église contenait à peine l’affluence des paroissiens et des amis venus rendre un dernier hommage à M. le Chanoine Pénard. … Mgr Heintz était venu présider cette douloureuse cérémonie… Il retraça la vie du défunt avec éloquencePlus de 60 prêtres avaient pris place au chœur…Nous ne pourrions nommer le grand nombre des personnalités présentes… Mgr donna l’absoute et toute la foule défila silencieuse et les larmes aux yeux devant le catafalque. Dans l’après-midi, le corps fut transféré à Marolles où devait avoir lieu une dernière absoute et l’inhumation… ». Le 29 juillet eut lieu l’exhumation des restes mortels de M. et Mme Pénard, puis la translation au nouveau cimetière de Marolles, dans le caveau où fut descendu le cercueil de M. l’abbé Casimir Pénard, curé de Saint-Martin ».         

 

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