Visites importantes



La Dauphine Marie-Josèphe de Saxe à Troyes


Le dauphin fils de Louis XV épousa à l’âge de 16 ans une infante d’Espagne, qu’il eut le malheur de perdre après 18 mois de mariage. Bien qu’il la regrettât profondément, la politique ne lui permit pas de la pleurer longtemps.  

 

         Mort avant son père, il ne fut jamais roi, mais il est le père des trois derniers rois de France : Louis XVI, Louis XVIII et Charles X.

 

         D’après la « Gazette » du 28 janvier 1747, moins de 3 mois après la mort de la dauphine, le mariage du dauphin avec la princesse Marie-Josèphe de Saxe, fille du roi de Pologne était décidé, et le 10 janvier 1747, le prince électoral de Saxe, son frère, l’épousa à Dresde au nom du dauphin, en présence du nonce du pape. Elle partit peu de jours après pour Strasbourg, où sa dame d’honneur, la duchesse de Brancas et son chevalier d’honneur, le maréchal de La Fare, devaient aller la recevoir au nom du roi.

 

         Des les premiers jours de janvier, les équipages de la Cour furent envoyés au devant d’elle. L’itinéraire fut tracé par Troyes et par Belfort, pour éviter la traversée de la Lorraine, où régnait Stanislas Leczinski, à qui Auguste de Saxe, père de la nouvelle dauphine, avait enlevé le trône de Pologne. Le 7 janvier, 30 « charrettes d’équipage » arrivèrent à Troyes, où elles furent mises en 2 rangs sur la place Saint-Pierre, et où elles restèrent le dimanche qui suit. Elles en repartirent le lundi pour Strasbourg.

 

         On commença dès lors à faire dans Troyes, les préparatifs nécessaires pour la réception de la dauphine, qui devait s’y arrêter en se rendant à Versailles. Plusieurs fourriers des logis de roi vinrent y préparer les logements, principalement dans les maisons des chanoines de Saint-Pierre, de Saint-Etienne et de Saint-Urbain, pour désigner celles qui pourraient recevoir la duchesse de Brancas et les dames de la suite de la dauphine. Le fourrier du roi avait le privilège de marquer les maisons avec de la craie blanche à l’extérieur des portes, tandis que les fourriers de la reine et des princes ne pouvaient les marquer qu’avec de la craie jaune et à l’intérieur. La craie blanche, la craie du roi, inspirait un grand respect : personne ne pouvait l’effacer ou la changer sans s’exposer aux peines les plus sévères : plusieurs ordonnances menaçaient même de couper le poing à l’audacieux qui oserait y porter la main !

 

         Le 16 janvier, la duchesse de Brancas, la duchesse de Lauraguais, dame d’atour, et d’autres « dames pour accompagner », arrivèrent à Troyes dans  les carrosses du roi et logèrent dans les maisons canoniales, elles se rendaient à Strasbourg. Chacune de ces dames devait recevoir 1.000 écus pour l’indemniser du voyage dont tous les frais étaient d’ailleurs acquittés par le roi.

 

         On était au cœur de l’hiver, il gelait fortement depuis 8 jours. La municipalité n’en fit pas moins élever 2 arcs de triomphe, l’un devant la porte Saint-Jacques, l’autre auprès de la porte du Beffroy, à l’entrée de la rue de la Monnaie. Les pères de l’Oratoire, experts en versification, furent chargés de rédiger des inscriptions en faveur de la dauphine.

 

         Ce fut le 4 février, à 4 heures du soir, que Marie-Josèphe de Saxe, partie le matin de Bar-sur-Aube, arriva à la porte Saint-Jacques.

 

         A défaut de canons, on la salua par l’explosion de 50 pièces d’artifice. Les arquebusiers, en bas de soie, l’attendaient. Dans les rues, les compagnies de la milice bourgeoise formaient la haie, comme c’était l’usage à l’entrée des princes et même des gouverneurs. Les nombreuses cloches des églises sonnaient à toute volée.

 

         Le carrosse de la princesse, escorté de gardes-du-corps et de cent-suisses (compagnie d'infanterie d'élite composée de mercenaires suisses au service du roi de France), était suivi du carrosse des écuyers et de ceux des dames, qui, pour entrer dans la ville avaient revêtu le costume de grande cérémonie appelé grand habit. Les rues avaient été couvertes de grève pour la circonstance. Sur tout le parcours du cortège les maisons étaient tendues des plus belles tapisseries qu’on put trouver, et la foule se pressait pour entrevoir la jeune princesse qui un jour pouvait être reine de France.

 

         Elle descendit à l’évêché, dont les vastes appartements avaient été préparés pour la recevoir. L’évêque était alors Mgr Poncet de la Rivière (voir ce chapitre), ardent adversaire des jansénistes qui dominaient Troyes, prélat distingué, orateur renommé et bien vu à la Cour. Quelques mois auparavant, il avait prononcé dans l’église de Saint-Denis l’oraison funèbre de l’infante d’Espagne, que la mort avait enlevée au dauphin.  L’évêque attendait la Dauphine au bas du perron de l’évêché, les membres des chapitres de la Cathédrale et de Saint-Etienne se tenant derrière lui. Il monta à ses côtés le grand escalier, et la conduisit jusqu’à la grande salle. Le duc de Fleury, premier gentilhomme de la chambre arrivait de Versailles, il apportait une lettre du roi, et le premier soin de la dauphine fut d’y répondre. Les autorités furent ensuite admises auprès d’elle. Le maire, les échevins, les conseillers de ville furent les premiers admis, puis le clergé. L’évêque fit « un compliment des plus éloquents, auquel toute la cour applaudit ».

 

         On introduisit alors le cloîtrier du chapitre de Saint-Pierre, qui offrit 36 bouteilles du meilleur vin rouge de Bourgogne, portées par des musiciens du chœur. La municipalité offrit 3 corbeilles de fruits et 4 grandes corbeilles remplies de confitures, de dragées, d’oranges et de citrons. La duchesse de Brancas reçut 3 corbeilles de fruits et de confitures. 300 bouteilles de « vin de distinction », des hures, des langues de porc et de mouton furent distribuées aux personnages qui formaient l’escorte de la princesse.

 

         Les Oratoriens présentèrent leurs élèves qui interprétèrent des éloges en vers. Les élèves du collège, costumés en bergers, déclamèrent « assez joliment leurs rôles », expliquant que Madame la Dauphine parlait 5 langues différentes, le latin, le français, l’italien, l’allemand et le polonais, et elle reçut avec plaisir les présents qu’ils vinrent lui offrir l’un après l’autre.

 

         Marie-Josèphe de Saxe se rendit ensuite dans le vaste salon où le souper avait été préparé. La foule affluait de toutes parts aux abords de l’évêché et dans les appartements. La place et la façade de la cathédrale étaient brillamment illuminées, ainsi que les rues voisines et la cour de l’évêché. Un feu d’artifice était préparé dans le jardin. Le peuple était admis à voir souper la princesse, et la foule était incroyable.

 

         Tandis qu’on se pressait dans la salle pour mieux la contempler, on vit tout-à-coup la duchesse de Brancas recevoir et décacheter une lettre, et la dauphine la prendre de sa main. Bientôt, elle parut changer de visage, des larmes s’échappèrent de ses yeux, et à la surprise générale, avant que le souper ne fut terminé, elle se leva, et suivie de ses dames, se retira précipitamment dans ses appartements. La lettre était une lettre du dauphin, qui, resté fidèle à la mémoire de sa première femme, voyait arriver avec une sorte de répugnance l’épouse que la raison d’Etat lui imposait, et que, malgré le charme qu’elle put avoir, elle ne lui ferait jamais oublier la femme qu’il venait de perdre.

 

         On conçoit l’impression ressentie par Marie-Josèphe de Saxe, appelée à s’asseoir un jour sur un trône qu’on appelait alors « le plus beau de l’univers », qui pouvait, comme lui avait dit l’évêque, « occuper le premier rang dans une cour qui était le centre de tous les agréments ». Mais cette ambition ne pouvait satisfaire son cœur, elle épousait un prince jeune, agréable et vertueux, elle avait rêvée d’obtenir son affection sans partage.

 

         Elle se tint toute la soirée dans ses appartements. L’assistance attribua à la fatigue ou à une indisposition subite cette retraite précipitée. On l’attendit vainement au bal que l’on avait préparé en son honneur, dans la grande salle de l’hôtel de ville, décorée avec un luxe inusité, de tentures, de lustres et de girandoles, où les rafraichissements étaient nombreux, où une collation fut servie… Le bal se prolongea quand même jusqu’à 7 heures du matin.

 

         2 heures après, la dauphine et sa suite montaient en voiture pour se diriger vers Nangis. Elle traversa les rues situées dans le centre de la ville, tapissées comme la veille, et encombrées d’une foule sympathique et curieuse. Un enfant fut blessé par une de ses voitures. Elle lui fit donner 2 louis, et commanda qu’on pourvût aux dépenses de son traitement.

 

         La magnificence des carrosses et des harnais dorés, ornés des armes de France, le luxe et le nombre des piqueurs, des valets de pied et des pages revêtus de la livrée du roi, dans l’étincelant costume des gardes-du-corps, des mousquetaires et des cent-suisses, était un spectacle auquel Versailles et Paris étaient accoutumés, mais toujours d’une rareté dans une ville de province. On comprendra l’intérêt qu’il excitait, en se représentant le prestige qu’exerçaient la royauté et la cour, à une époque où la monarchie française était encore sans rivale en Europe.

 

         La dauphine partie, les cloches de la ville cessèrent de résonner en son honneur.    


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