La Révolution



Cérémonie funèbre Le Pelletier de Saint Fargeau


Le 20 janvier 1793, veille de l’exécution de Louis XVI, un ancien garde du corps, royaliste fanatique, nommé Pâris, frappait d’un coup de sabre, au restaurant Février, en plein Palais-Royal, le conventionnel Le Pelletier de Saint-Fargeau qui avait voté la mort du monarque et dont l’exemple avait entraîné beaucoup de ses collègues hésitants. La nouvelle de cet assassinat fit à Paris une profonde impression. Les obsèques furent célébrées en grande pompe le 24 janvier, et la Convention, après avoir adopté sa fille, une orpheline de 8 ans, décerna à Le Pelletier, les honneurs du Panthéon.

 

A Troyes, cet assassinat, aussitôt qu’il fut connu, excita, comme à Paris, une profonde émotion, et nous sommes sans doute la seule ville de France qui semble avoir porté un tel intérêt à ce fait.

 

La municipalité écrivit au District de Troyes le 9 février 1793 : « Citoyens, la douleur que tous les vrais Républicains ont ressenti à la nouvelle de l’assassinat du citoyen Le Pelletier, un de nos dignes représentants, nous a déterminé à faire célébrer dans notre commune, une fête funèbre en son honneur. Nous désirerions profiter de cette circonstance pour faire planter l’arbre de la fraternité devant l’hôtel de ville. Nous avons choisi un chêne… que nous ferions planter avec assez de précautions pour qu’il puisse prendre racine et faire un monument éternel de la réunion de tous les amis de la Patrie.

 

         Cette fête entraînera nécessairement quelques frais que nous vous prions de nous autoriser à employer dans nos comptes…».

 

         Le projet fut approuvé et la fête funèbre eut lieu le 10 mars 1793.      Voici le compte-rendu du « Journal du Département de l’Aube », du 13 mars 1793 : « Aujourd’hui, la cérémonie funèbre relative aux mânes du citoyen Pelletier-Saint-Fargeau, représentant du peuple Français, mort en défendant ses droits, a eu lieu en cette ville. Tous les corps administratifs se sont réunis à l’Hôtel Commun. Le Président du département a harangué l’assemblée sur le perron de l’Hôtel de Ville, d’où le cortège, accompagné des gardes nationaux et précédé d’une musique jouant des airs lugubres, s’est porté par la rue de la Chasse (rue Pithou), celle du Bois (Général de Gaulle), le Marché aux Blés (Place Jeau-Jaurès), au bas duquel le citoyen Laurent, officier municipal, a prononcé un discours assez  étendu.

 

         Arrivé sur la place de Saint-Pierre, le citoyen Bouquet, juge au Tribunal, y a fait un éloge historique des vertus civiques et des vertus privées de cet ancien magistrat, mort en faisant son devoir. Le citoyen Lefebvre-Dalichamp en a prononcé un dans lequel présentant toute l’horreur du crime de l’assassin de Lepelletier, il a rappelé aux citoyens combien l’effet des vengeances célestes avaient été prompt contre le meurtrier, puisqu’il avait péri lui-même avant que la loi eut prononcé sur son crime.

 

         Les corps administratifs arrivés devant l’Hôtel-de-Ville, l’urne portée pendant la marche sur un brancard décoré de différentes inscriptions analogues à la cérémonie, a été déposée au pied d’un chêne garni de ses racines, planté au milieu de l’ancienne Belle-Croix (voir ce chapitre) place de l’Hôtel de Ville.

 

         Après quoi, le citoyen Raverat, président du Département, au nom de tous, a prononcé le serment de l’égalité et de la liberté et de mourir en les défendant. Ensuite, tous les citoyens, après avoir répété : « Nous le jurons ! » ont chanté en chœur l’hymne des Marseillais, en l’honneur de la liberté et des défenseurs pour lesquels le chêne va porter des couronnes ».

 

         Le « Journal du Département de l’Aube » du 20 mars 1793, qui  avait conservé le texte du discours prononcé par le citoyen Bouquet, Président du Tribunal de District l’imprima : «… Dans cette enceinte lugubre, nous venons honorer les mânes de Michel Lepelletier. Ces chants de mort que vous venez d’entendre… tout vous rappelle les vertus d’un représentant de la nation et le crime d’un de ces satellites vendus à la tyrannie qu’ils protégeaient le poignard à la main et qu’ils tendent encore vainement de ressusciter avec le fer, la flamme et tous les mots que la guerre traîne à sa suite… Lepelletier vit écraser ce grand colosse, mais du milieu des débris, il sauva sa gloire, il devint citoyen… S’il resta encore juge, ce fut pour se juger lui-même, et sa propre sévérité le condamna à servir son pays, à fonder la liberté et à mourir pour elle… La vertu de Lepelletier força les vœux du peuple à le porter à la Convention nationale, président de l’Assemblée Constituante le 21 juin 1790… Invariable dans ses principes de discernement et de fermeté, Lepelletier n’apprit jamais à transiger avec sa conscience. Il s’interrogea quelques heures avant sa mort, il obéit à sa voix impérieuse et quelques heures après, la tombe avait couvert Lepelletier. Sous le fer même qui lui perça le flanc, Lepelletier fut lui. Que ses dernières paroles sont sublimes, que son âme, en s’envolant, laisse après elle un majestueux sillon de lumières ! « Es-tu Le Pelletier qui a voté la mort ? ». « Oui, c’est moi, répond Le Pelletier et ma conscience a prononcé mon vœu ! »… Citoyens, c’est pour nous qu’est mort Michel Lepelletier. Nous avons perdu un défenseur des droits imprescriptibles de l’homme. Nous lui devions un tribut de reconnaissance… Que les vêtements de Lepelletier soient notre signe de ralliement ! Marchons, sous ces restes infortunés, contre les hordes fanatiques dégradées par le despotisme. Déjà la trompette guerrière se fait entendre. Courons apaiser les mânes de Lepelletier et que cet être invincible qui nous créa libres, le Dieu terrible de vengeance, contemple ses enfants mourir en vengeant le martyr de la Liberté ! ». 


 

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