Les dessous de Troyes



Jolies pénitentes


Charles Brégnard 1886 :

« Sous la voûte de Saint-Jean, toute tiède encore des parfums sacrés, j’ai promené mes pas, m’arrêtant, de temps à autre, devant un tableau, devant une statue, devant un confessionnal.

 

J’avoue que cette vilaine boîte, par le guichet de laquelle s’écoulent pourtant parfois de si jolis péchés, me cause toujours une impression singulière, mêlée d’une répulsion que je ne puis m’expliquer.

 

Je trouve que cette sorte d’armoire qui contient un prêtre et un tas d’absolutions et de pénitences à son usage et à celui de ses pénitentes, ressemble à un sinistre instrument de l’Inquisition, à une sorte de piège à secret prêt à saisir la naïve victime qui se hasarde à s’en approcher. 

 

Il n’en est rien cependant. Le confessionnal est un endroit des mieux fréquentés aujourd’hui. Il est visité assidûment par des personnes bien pensantes, parmi lesquelles j’ai remarqué de jeunes et jolies demoiselles, de coquettes et séduisantes dames.

 

         Hier, en rôdant dans Saint-Jean, j’ai été à même de constater de visu, ce que j’avance ici. Certes, les pénitentes de MM. les curés ne sont pas à dédaigner. Ces dames sont mises, en général, à la dernière mode, parfumées au tout dernier parfum, et, si elles sont voilées décemment comme il convient à des pécheresses, le voile n’est pas si épais et ne peut se dérober aux regards indiscrets, comme les miens par exemple, les yeux brillants, les lèvres roses et la pureté angélique des fronts inclinés.

 

Une remarque que j’ai faite, c’est que le confessionnal du curé n’a guère à sa porte que d’estimables vieilles. Par contre, ceux de MM. les vicaires sont assaillis de jolis minois.

 

Il faut les voir les belles pénitentes agenouillées sur des chaises basses, à proximité du saint tribunal, le tête penchée sur la poitrine, le chapelet ou le livre d’heures à la main, les lèvres agitées par la prière mentale, silencieuses, troublées, inquiètes, attendant, non sans émotion, le moment de s’approcher, chacune à leur tour, du sombre guichet.

 

Il faut les observer regardant à la dérobée le profane qui passe en curieux ou le pénitent qui, l’âme en repos et l’absolution sur la tête, se dirige à petits pas vers la sortie de l’église. Pour elles, tout est sujet à regard, mais ce regard est sans curiosité, on voit que la pensée est ailleurs, à deux pas de là, au fond de la vilaine armoire où le confesseur est assis, écoutant les fautes confiées à sa discrétion, absolvant ou punissant suivant la gravité des péchés commis.

 

         Car il va falloir égrener tout à l’heure, à l’oreille de l’homme de Dieu, toutes les peccadilles commises. Il va falloir étaler à ses yeux toute la série des véniels et des mortels. Répondre à ses paternelles questions, développer le pourquoi et le parce que des fautes les plus secrètes, et répondre sans rougir à ce fatal et inexorable : « Combien de fois ? ».

 

         Il va falloir lui raconter la somme des plaisirs pris, lui expliquer les sensations qu’ils ont fait éprouver et parler enfin de l’inévitable masculin et des rapports qu’on a eus avec lui. Il faudra dire si c’est un blond ou un brun qui, à la dernière soirée de Mme V…, par exemple, vous a pris la main… ou la taille… et « combien de fois ? ».

 

Il faudra, avec un gros soupir au cœur, s’accuser du doux péché d’amour, entrer dans les charmants détails du ménage, répéter les propos familiers du mari, dire le nombre des baisers quotidiens, les folies du tête-à-tête aux premiers mois de la lune de miel, n’omettre rien, pas même les pensées de l’insomnie, les rêves mystérieux du gynécée, les songes qui naissent au lever de l’aurore, livrer, en un mot, au docte et sage confesseur, les plus intimes surprises de la chair, et attendre, de ses lèvres pâles et mouillées, son indiscret « Combien de fois ? ».

 

Puisque telle est la confession, je comprends fort bien pourquoi les femmes, en général, préfèrent les jeunes prêtres aux vieux.

 

De « combien de fois ? », dans la bouche d’un homme de 30 ans, me paraît moins cynique que sur les lèvres d’un vieillard. Et puis, ceux-là doivent le prononcer avec une intonation plus tremblante, plus captivante, pour faire avouer la coupable. Il doit y avoir mille façons différentes de le prononcer ce mot qui fait baisser les yeux à la plus hardie – je veux dire à la plus contrite – et il serait curieux d’entendre, à ce propos, quelque vieille habituée des confessionnaux, si elle voulait se donner la peine de nous renseigner sur ce point.

 

Mais n’attendons pas de révélations compromettantes de la part d’une dévote. Les choses du confessionnal sont comme les choses de l’alcôve, il faut savoir les respecter. Contentons-nous de constater la préférence que nous venons d’indiquer et dont il est aisé d’avoir la preuve, si on veut bien s’égarer quelques instants dans les églises de notre ville, aux heures de la confession.

 

Les prêtres les plus occupés, ce sont les jeunes, pas tous les jeunes, non : les jeunes qui ont des cheveux blonds et bouclés, avec des faux airs d’anges en bois – comme l’abbé C… -

 

Pensez donc, il s’agit de choisir le chérubin à tonsure qui saura le mieux vous roucouler, dans les moments scabreux de la pénitence : « Mon enfant, combien de fois ? ».


Sur le bandeau du  bas de chaque page, vous cliquez sur "Plan du site", qui est la table des matières, et vous choisissez le chapitre qui vous intéresse. 

Cliquez sur "Nouveaux chapitres"  vous accédez aux dernières pages mises en ligne.


Rechercher sur le site :