Pendant les Guerres




Lusigny en 1814



 

Ce village fut célèbre dans les annales de notre département, car choisi en 1814 par les souverains alliés, pour lieu des conférences, qui d’abord devaient établir un armistice, et par suite conduire à la paix entre eux et la  France, n’en paya pas moins son tribut de souffrances et de maux.

 

         Dès le 27 janvier, et en même temps que Blucher entrait dans Brienne, une douzaine d’éclaireurs autrichiens parurent à Lusigny et villages circonvoisins, qu’ils parcoururent seuls en tous sens jusqu’au 5 février. La conduite de ces hommes, leurs exigences et leurs menaces suffirent pour indiquer aux malheureux villageois ce qu’ils devaient attendre de cette innombrable multitude d’ennemis, si peu éloignés d’eux, dont ceux-ci n’étaient que les avant-coureurs.

 

         Le 3 février fut le jour fatal : l’armée ennemie, composée d’Autrichiens, de Prussiens, de Russes, de Bavarois, de Saxons, de Würtembourgeois… entra, vers 13 h, à Lusigny, et l’occupa ainsi que ses environs. L’empereur de Russie Alexandre, accompagné de sa garde, arriva quelques instants après, et y établit son quartier-général, qui n’y resta que quelques heures. Ce prince voulait, dès ce jour même, se porter sur Troyes et y entrer. En conséquence, il avait ordonné à son armée de se porter sur les ponts de la Guillotière, d’en effectuer le passage, et de marcher sur cette ville. Mais, elle y rencontra une si grande résistance, que, dès le premier choc, elle fut contrainte de rétrograder avec perte. Alexandre ajourna son dessein, changea ses dispositions, surtout en apprenant de quelques cavaliers français, faits prisonniers, et amenés à son quartier-général, la présence de Napoléon à Troyes.  On sait qu’ils le redoutaient tous, et il n’en fallut pas davantage pour qu’il crut prudent de se retirer d’une marche sur Vendeuvre. En effet, les alliés, une fois entrés en France, n’y marchaient qu’en tremblant et avec la plus grande défiance. Les souverains eux-mêmes portaient de Napoléon et de son génie extraordinaire, le même jugement. Ils le redoutaient, mais aussi leurs généraux les plus habiles, tous craignaient, princes et généraux, ou de le rencontrer, ou d’en être surpris.

 

         La première fois que Schwartzenberg se rendit à Lusigny (et il y vint 3 fois), il appela le maire auprès de lui, et après nombre de questions, tant sur les localités, les produits, la fertilité du sol, la population de Lusigny et des villages environnants, que celle des villes du département, il le conjura, descendant même jusqu’aux plus pressantes prières : « qu’en cas où Napoléon se présenterait dans sa commune, il l'avertisse car, ajouta--t-il, cet homme est si fin, si adroit, si rusé, qu’il se pourrait bien faire qu’il se trouvât chez vous, dans votre maison même, sans que l’on s’en aperçu ».

 

         Quoique le quartier-général d’Alexandre soit reporté à Vendeuvre, l’armée ennemie n’en reste pas moins maîtresse de Lusigny, et garde ses positions en deçà des ponts. Furieuse de son peu de succès, et ne respirant que le pillage, elle s’assouvit aussitôt sur ces malheureux endroits la rage qui la dévore. En un moment, toutes les ressources de l’habitant, pour lui si nécessaires dans les terribles circonstances où il se trouve réduit, lui sont enlevées, lui-même indignement maltraité, et ses jours, à chaque instant, menacés. Ces ressources, dit M. le Maire, dans un pays aussi fertile et aussi abondamment pourvu par la récolte précédente, eussent été d’un grand secours, et auraient suffi quelques temps, si les chefs alliés eussent voulu observer quelque peu d’ordre. Mais ils avaient promis à leurs troupes, avant que d’entrer, le sac de la France, puis ils n’en voulaient pas : ce qu’ils voulaient, c’était l’exécution de leurs promesses envers tant d’armées composées d’éléments aussi hétérogènes, mélange de tant de peuples, dont quelques uns, engagés malgré eux dans cette lutte terrible qui leur était étrangère, désapprouvaient l’entreprise.

 

         Il n’y avait pas 2 jours que les souverains de l’Europe s’étendaient sur ces malheureux villages, que le 4 et le 5, la presque totalité, tant de Lusigny que des autres endroits occupés par leurs troupes, déserta ses foyers et s’empressa de fuir dans les forêts, à la fois épaisses  et profondes, de Larivour et de l’Orient, préférant supporter les plus grandes privations, unies aux rigueurs d’un froid excessif, plutôt que de demeurer sans cesse exposés à la rage de ces nouveaux Vandales, qu’aucun frein ne contenait.

 

         Le 12 février, le prince Henri de Prusse, frère du roi, arrive à Lusigny et y séjourne 4 jours. Le même jour, la chancellerie du prince Schwarzenberg, feld maréchal autrichien, qui s’était établie depuis le 5, est transférée à Troyes. A peine ce transfert est-il exécuté, que, dès le lendemain, chaque soldat renouvelle le pillage avec plus de fureur que jamais, sans qu’aucun chef s’y oppose. Le maire, effrayé de cette réaction, demanda et obtint une audience du prince Henri, logé chez lui. Là, il intercède en faveur de ses administrés, mais c’est en vain, le royal personnage est sourd à ses observations. Ce prince, en arrivant à Lusigny, descendit avec toute sa suite dans la maison du maire, et s’y établit. A peine s’y est-il installé, qu’il s’empare du peu de comestibles  qui s’y trouve, faisant dire qu’à son départ, il paierait le tout, ce qui évidemment ne fut pas vrai.

 

C’est sur le maire, après la fuite d’une partie des habitants pour les bois, , et pour ceux qui demeurèrent, que retomba tout le poids du joug de fer que l’étranger fit peser sur ces malheureuses communes. La position de ce magistrat était pénible : obligé par sa place de satisfaire une multitude de réquisitions qu’on exigeait, souvent même sur le champ, il ne lui  était pas facile d’y satisfaire, la presque totalité des maisons étant abandonné par leurs maîtres. Il ne lui était pas plus facile de répondre aux demandes en guides, répétées à chaque heure, à chaque minute du jour et de la nuit, personne ou presque personne ne se trouvant pour remplir ce pénible et très souvent dangereux service.

 

Après les différentes défaites des Alliés, ils ne songèrent plus qu’à la retraite, mais l’Autriche décida  de traiter séparément avec la France.

 

Le 17 février, il fut proposé une suspension d’armes, puis la paix s’il était possible de s’entendre. Dès le lendemain, Napoléon envoya un officier général aux avant-postes autrichiens, et là, on convint du village de Lusigny pour lieu de réunion. Le 20 février, la maison du maire est choisie pour y tenir les conférences. Les 2 premiers jours, les commissaires s’occupèrent sérieusement de leur mission. Enfin, après 10 jours de pourparlers, les commissaires n’ayant pu s’entendre sur la ligne de démarcation, les conférences échouèrent et le congrès se sépara.

 

         Ce congrès à peine dissout, les troupes étrangères reparurent à Lusigny, autour duquel elles avaient campé pendant les derniers jours des conférences, accompagnées, comme on les a vues partout, d’une multitude de pillards, tant hommes que femmes, appartenant à différentes nations et suivies de longs et vastes chariots qu’elles remplissaient de ce qui avait échappé aux précédents pillages. En sorte que, vers la fin de mars, ce village et autres environnants ne possédaient absolument plus rien.

 

Le 29 mars, le général Friant commandant la jeune-garde, précédant l’empereur de quelques heures, s’arrête à Lusigny, où il couche, et à 11 h du soir, le même jour, Napoléon y arrive également. Ce général engagea le maire, chez lequel il avait pris logement, à se rendre au relais et à rendre compte à l’empereur de l’état affligeant dans lequel se trouvait sa malheureuse commune. M. Clément, déférant à ce conseil, s’y rendit en effet, et M. Adrien de Mesgrigny, écuyer de Sa majesté, voulut bien le présenter et lui faire obtenir cette faveur, qui d’ailleurs n’était pas difficile, car Napoléon, et surtout en campagne, était fort affable et d’un accès très facile. Ce magistrat ayant rempli l’objet de sa démarche, S.M. s’informa de M.  de Friant. « Il est chez moi, répond M. le maire, et l’état affreux dans lequel nous sommes réduits, fait qu’il n’a eu à son souper que de très mauvais haricots ». « Et de quoi vivent donc vos administrés ? », répliqua l’empereur. « Sire, vous voyez à ma figure pâle que nous vivons de l’air du temps ». « La fin de vos maux approche », répond douloureusement Napoléon. Il congédie M. le maire, et continue de marcher sur Troyes.

 

         Ce passage de Napoléon inspira une telle sécurité aux habitants de ce village et à ceux d’alentour, que non seulement il ranima leurs espérances sur le terme de leurs maux, mais encore enflamma leur courage abattu, au point que la plupart quittèrent leurs retraites et revinrent dans leurs maisons. L’état affreux dans lequel ils les retrouvèrent, l’indignation et la colère s’emparant d’eux, tous se réunirent, faisant la guerre aux fuyards étrangers qu’ils poursuivent, ainsi qu’à ceux de ces derniers restés cachés dans les endroits isolés. Un matin, ces villageois en amènent 89, sur lesquels, disent-ils, ils veulent venger les outrages, les maux qu’eux et leurs princes leur ont fait éprouver. Le maire les fait conduire à Troyes.

 

         Personne n’a plus souffert à Lusigny pendant les différents passages et retraites, soit des troupes françaises, soit des troupes étrangères, que M. le maire. Outre que sur place il ne pouvait s’absenter, qu’il était obligé de répondre à tout, chaque jour aussi, et à ce titre et comme propriétaire le plus aisé, le plus brillamment logé, tout ce qu’il y avait de grand, de distingué dans l’une ou l’autre armée, descendait chez lui, s’y établissait et, comme on le pense bien, tout ce qui était nécessaire au service de la table et des autres besoins, il était obligé de le fournir.

 

         M. Clément a épargné bien des maux, bien du sang, bien des larmes.

 

         Lusigny a perdu pendant l’occupation étrangère 2 fortes maisons que les flammes réduisirent en cendres, et 30 furent fortement endommagées.     

 

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