Fermeture des églises

Arrivé le 15 novembre 1793 à Troyes, le commissaire Rousselin, dès le 24 novembre décrète que « les maisons nationales », connues précédemment sous le nom d’églises, seraient fermées.

 

         L’évêque Sibille (voir ce chapitre) et ses vicaires épiscopaux accueillent cette décision, comme les précédentes, avec une docilité, ou une résignation, que leurs commentaires ingénieux ne réussissent pas à expliquer. « Citoyens avant d’être les ministres d’un culte », ils n’avaient, à leur avis, d’autre droit à revendiquer que de pratiquer la religion dans les immeubles à leur convenance et à leurs frais. Ainsi pensaient-ils rassurer « ceux qui croyaient qu’on voulait attaquer leur religion ».

 

         Les catholiques du département ne partageront pas cette manière de voir. Sans doute, ici où là, parut-on s’accommoder de cette nouvelle liberté.          Pressé par ses paroissiens de continuer le culte dans l’église, le curé de Saint-Mards-en-Othe, n’osant contrevenir à la loi, se contente de célébrer la messe en plein air « sur l’autel de la patrie ». Celui de Bourdenay la dit aussi sur la place publique ou dans une chambre de son presbytère, et celui de Saint-Léger-sous-Bréviandes, dans une grange.

 

         Mais à d’autres paroissiens ces demi-mesures ne suffisent pas. Ceux de Saint-Martin-de-Bossenay et de La Fosse-Corduan, assemblés le 26 décembre 1793, « au lieu des séances de la municipalité,… d’une même et unanime voix, protestent de vouloir vivre et mourir aussi bons catholiques que républicains ». Formule meilleure que celle de Sibille et de ses vicaires. « C’est pourquoi, concluent-ils, comme dans ladite commune il n’existe aucun lieu propre pour la célébration du culte catholique, nous réclamons notre église ordinaire ».  Ceux d’Urville feront de même. A Landreville où l’église a été fermée le 30 novembre, la municipalité, sous la pression des habitants, se voit contraindre de la rouvrir dès le 25 janvier suivant. A Arrentières, le jour de Noël 1793 et jours suivants, les habitants exigent les clés de l’église, donnent des paquets d’assignats (monnaie-papier qui exista pendant la Révolution française) pour payer des ornements, et, les 29 et 30 décembre, le curé y chante solennellement la messe. A Laines-aux-Bois, ils imposent au maître d’école de chanter au lutrin, d’assister le curé dans l’administration des sacrements aux malades et requièrent le dit curé, ancien religieux de Saint-Loup, dûment constitutionnel, de reprendre son ministère.

 

         Lorsque l’ordre sera donné d’enlever les croix, les cloches, tous les signes extérieurs de religion, la résistance prendra souvent la forme de véritables émeutes. Les femmes d’Herbisse, à coups de pierre et sous la menace de leurs fourches, mettent en fuite les ouvriers venus pour enlever l’une des 2 cloches. Il fallut envoyer des hussards qui, sabre au clair, protégèrent l’opération.

 

         Ces scènes ne manquent pas de pittoresque, et si les gestes ou le langage des protestataires manquent parfois de distinction, ils ne manquent pas de courage. C’est ainsi qu’à Landreville, en janvier 1794, les femmes ayant envahi l’église pour empêcher l’enlèvement des cloches déjà descendues, l’une d’elles interpelle les hésitantes restées dehors : « Entrez donc, où êtes-vous avec vos… quenouilles ? ». Une autre s’assied sur la plus grosse cloche : « Elle a sonné pour ma naissance, elle sonnera pour ma mort. Si on l’enlève, elle passera sur mon corps ». La municipalité dut battre en retraite.

 

         On pourrait multiplier les exemples. S’ils ne furent pas tous aussi expressifs que celui de Landreville, il est certain que, dans la plupart des paroisses, les ordres de suppression du culte ou ne purent être exécutés, ou ne le furent que partiellement. L’agent du district d’Ervy le constate dans son rapport : « Dans la presque totalité des communes, les plus fortes cloches ont été conservées ». A Saint-Phal, le conseil de la commune ayant procédé par adjudication à la descente des croix « de sur l’église » et des cloches, personne ne se présenta pour faire l’opération.

 

         Ce qu’il y a de plus significatif dans cette résistance et lui donne toute sa valeur, c’est qu’elle n’est pas le fait de populations hostiles, en principe, au régime. Et il est très intéressant de constater quelle part en revient soit aux curés assermentés, soit aux municipalités les moins suspectes. Le très constitutionnel curé de Saint-Aventin célèbre en plein air, fait la procession des Rameaux sur la place et exhorte ses paroissiens à faire tous leurs Pâques. Celui de Saint-Phal, assermenté notoire, s’il consent à célébrer la fête décadaire le 27 novembre 1793, refuse de signer la délibération du conseil de la commune, relative à la recherche des suspects d’aristocratie et d’incivisme, et très populaire dans sa paroisse, ne cessera pas, de 1791 à 1795, d’y exercer « le culte catholique comme par le passé ». Assarmentés également, le curé de Plessis-Gâtebled qui, en septembre 1792, écrit au président de la Convention pour plaider la cause de « plusieurs prêtres réfractaires » n’ayant pas encore obtempéré « par amour de la patrie » aux lois de bannissement. Celui de Blaincourt, l’un des premiers amis de Sibille, qui persiste à exercer le ministère, celui de Chennegy, qui reproche au procureur de la commune « l’usage tyrannique qu’il faisait de ses pouvoirs ». A Troyes même, le curé de Saint-Rémi, Rondot, qui a signé l’arrêté de Rousselin sur la suppression du culte, s’apprête à chanter la grand’messe. On l’emmène au comité. Un grand nombre de ses paroissiens l’y rejoignent, protestent. Il revient à l’église et officie. Les 2 frères Dret, curé et vicaire de Saint-Jean, qui furent les premiers à prêter le serment et ont signé, eux aussi, l’arrêté de Rousselin, essaient près de Danton de faire rapporter cette mesure, ce qui leur vaut d’ailleurs d’être arrêtés le 1er décembre. Ils seront relâchés plus tard et, vraisemblablement, sur l’intervention du même Danton.

 

         A ces résistances, en bien des cas, les municipalités elles-mêmes ne sont pas étrangères. Celle de Piney accueille la pétition de 96 habitants contre la fermeture de l’église et arrête que nulle cérémonie ne sera faite ailleurs. Celle de Brevonne et le curé assermenté résistent énergiquement au même décret, malgré la « Société populaire » de Piney. A Lusigny, elle affecte de retarder l’envoi du mobilier inventorié. A Onjon, elle réagit mollement contre les habitants qui sont entrés en force dans l’église et, avec l’aide de 2 officiers municipaux, replace les tableaux qu’on avait enlevés. A  Traînel, malgré les objurgations de l’agent du district, elle ne fait rien pour envoyer cloches et vases sacrés. A Bar-sur-Seine, elle délivre à l’aumônier des Ursulines un certificat de résidence et malgré les protestations de la Société populaire refuse de le lui retirer et le raye de la liste des émigrés. Ainsi encore, la municipalité des Riceys, le 6 décembre 1792, dénonce à l’accusateur public le sermon du curé de Clérey, Lejeune, approuvant la loi de la Constituante sur le mariage civil. Celle de Thors délivre un certificat de civisme au curé assermenté qui refuse de lire au prône les mandements de Sibille, et le conseil de la commune de Saint-Aventin presse le très assermenté curé de reprendre l’exercice du culte.

 

         L’administration départementale ne fait pas preuve d’un zèle plus grand. On l’avait vue, au mois d’août 1791, user de ménagements à l’égard des religieux de Montiéramey et leur permettre d’emporter leur mobilier  personnel. Au mois de septembre 1792, lors de la délivrance des passeports aux prêtres insermentés, elle pourvoit à leur mise en sûreté. Lorsque en juin 1793, elle enjoint aux comités de surveillance de dresser de nouvelles listes de suspects, elle précise que « dénoncer un citoyen sur de faux soupçons, c’est ordinairement donner un ennemi de plus à la République ». Plus tard, le 1er mai 1798, à une époque où l’action révolutionnaire sur son déclin ne sera pas moins violente qu’au début, cette administration annulera les arrêtés de mise en surveillance qu’elle avait prononcés.

 

         Aussi, dès son arrivée, le 15 novembre 1793, le commissaire de la Convention, Alexandre Rousselin dénonçait-il le « sommeil » véritable « léthargie », le « modérantisme et la stagnation » du Conseil général de l’Aube.      

 

         Pour l’honneur de nos concitoyens, ces reproches étaient justifiés.