Ordonnances, lois...



Responsabilité des accidents du travail


        Très active, la Chambre de Commerce de Troyes est toujours intervenue auprès du Gouvernement, afin de demander que soit pris en compte ses réflexions, avant les projets de lois. Et très souvent, grâce à elle, le projet de loi a été amendé.

 

         C’est ainsi que le 25 janvier 1889, elle adresse à M. le Ministre du Commerce et de l’Industrie, un rapport sur le projet de loi concernant « La responsabilité des accidents dont les ouvriers sont victimes dans le travail » :

 

         « Le Sénat est saisi d’un projet de loi concernant la responsabilité des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail, projet déjà voté par la Chambre des Députés le 10 juillet 1888. C’est le devoir de la Chambre de Commerce de Troyes de soumettre aux Pouvoirs publics, sur les dispositions adoptées par la Chambre des Députés, 2 observations auxquelles elle attache une très grande importance.

 

         En premier lieu, le projet de loi, tel qu’il avait été présenté par le Gouvernement, établissait le principe d’une présomption de responsabilité pesant de prime abord sur le patron, et mettait à la charge de ce dernier l’obligation de faire la preuve des faits qui pouvaient l’en affranchir. C’était déjà placer les chefs d’ateliers en dehors du droit commun, qui laisse à toute partie lésée le soin d’établir la preuve du dommage dont elle demande réparation. Mais la Chambre des Députés a été beaucoup plus loin. Le projet voté par elle met de plein droit, et dans tous les cas, à la charge du patron les conséquences de l’accident, quelle qu’en soit la cause. Une seule exception est admise à cette règle, c’est le cas, très rare en réalité, où la victime aurait intentionnellement provoqué l’accident. Notre Chambre, qui a toujours soutenu que la responsabilité des patrons devait reposer uniquement sur les principes du droit commun, ne peut laisser passer sans protestation la doctrine qui a prévalu à la Chambre des Députés. Dans l’industrie, le plus grand nombre d’accidents a pour cause la négligence ou l’imprudence des ouvriers, le mépris des précautions nécessaires, souvent même les contraventions à des règlements préservatifs. La justice exigerait qu’en pareil cas l’ouvrier victime supportât au moins une part des responsabilités, mais la Chambre des Députés ne l’entend pas ainsi. Le patron aura beau prendre les mesures de prévoyance les mieux raisonnées et quelquefois les plus coûteuses, il aura beau faire les recommandations les plus sages, interdire formellement les manœuvres dangereuses, c’est toujours lui, et lui seul, qui supportera toutes les conséquences de l’accident, qui sera obligé de payer des indemnités considérables. Et, s’il veut s’en affranchir, il devra recourir à une assurance au moyen d’une prime annuelle nécessairement onéreuse puisque sa responsabilité est absolue. Quant à l’ouvrier victime, à moins qu’il ait causé l’accident dans une intention manifestement criminelle, il ne court aucun risque, il se trouve à l’abri de tout reproche, la Chambre des Députés ne tient plus compte de ses facultés intellectuelles que de son devoir professionnel. Il devient un être inconscient, irresponsable, assimilé en quelque sorte à la machine qu’il est chargé de surveiller. Notre Chambre estime que l’on ne saurait trop s’élever, pendant qu’il en est temps encore, contre une pareille législation qui serait à la fois blessante pour la dignité de l’ouvrier, et contraire aux intérêts légitimes du patron qui lui donne du travail.

 

         En second lieu, la Chambre de Commerce de Troyes, qui représente un département dont la bonneterie constitue la principale industrie, croit devoir vous faire remarquer, Monsieur le Ministre, que cette industrie n’est pas nominativement indiquée dans les tableaux qui, d’après l’article 41 du projet voté par la Chambre des Députés, doivent servir à déterminer le taux de la prime annuelle à payer par les industriels qui auront recours à l’assurance sous la garantie de l’Etat. En raison de cette lacune, il y a tout lieu de craindre que la bonneterie, considérée comme une sorte de tissage, soit comprise par assimilation dans la rubrique : « Filatures et tissages mécaniques », qui figure au tableau D. Cette classification ne serait pas juste. La bonneterie n’est pas, à proprement parler, un tissage, elle en diffère en un point essentiel. Les étoffes tissées sont toujours formées par le croisement de 2 séries de fils dont les uns, s’étendant en longueur, s’appellent chaîne, tandis que les autres, placés en travers, se nomment trame. Les articles de bonneterie, au contraire, n’ont ni chaîne ni trame. Ils sont formés par un seul fil accroché sur lui-même par une série de boucles, que l’on appelle mailles, et que l’on obtient par le jeu d’aiguilles spécialement disposées. La bonneterie a donc un caractère bien distinct et qui lui est propre, on ne peut pas dire qu’elle est un simple dérivatif d’une autre industrie. D’un autre côté, elle a pris de nos jours un développement considérable dont l’importance n’est pas contestée, double motif pour qu’elle ait droit à une dénomination séparée. Les produits de la bonneterie sont d’ailleurs obtenus au moyen de machines qui lui sont particulières et qui n’ont rien de commun avec celle qu’emploient les tissages mécaniques. Composées généralement d’organes légers et délicats, n’exigeant pas l’emploi d’une grande force motrice et marchant à une vitesse modérée, ces machines ne sauraient exposer les ouvriers à de graves accidents, elles sont beaucoup moins dangereuses que les métiers à tisser, et les ateliers de bonneterie offrent même plus de sécurité que certaines industries classées au tableau E, comme par exemple les fabriques de caoutchouc, avec leurs cylindres à grande pression, et les imprimeries typographiques, avec leurs lourdes presses. En conséquence, il y aurait lieu de combler la lacune existant dans les tableaux annexes du projet de loi, en y introduisant la désignation spéciale de la bonneterie et en la faisant figurer au tableau E, c’est-à-dire au tableau des risques les plus réduits, où se trouvent déjà, les fabriques de gants qui, pour une majeure partie, ne sont autre chose qu’une branche de la bonneterie…

 

         La Chambre appelle votre bienveillante attention, Monsieur le Ministre, sur ces 2 points intéressants. Elle espère que Messieurs les Sénateurs voudront bien tenir compte des observations qui précèdent, et elle réclame avec insistance l’intervention du Gouvernement auprès des 2 Chambres pour obtenir les modifications ci-dessus indiquées ».

 

       Le Président de la Chambre de Commerce :

 

                                                          Félix Fontaine

 


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