La vie à Troyes



L'enfance abandonnée


L'assistance aux enfants abandonnés est une obligation seigneuriale découlant du droit d’épave qui fait du seigneur l'héritier des « bâtards » nés, possédant des biens dans sa seigneurie et décédés sans enfants ni testament.

 

En regard des lois et des usages de l'époque les enfants abandonnés ou trouvés sont donc des « bâtards ». Beaucoup de seigneurs essaient d'échapper au financement de l'assistance et tentent de s'en décharger sur les établissements hospitaliers ou sur les communautés d'habitants comme le prescrit une ordonnance de 1556. L’Eglise catholique grâce à des legs ou des dons prend aussi en charge les enfants abandonnés. En 1579, un arrêt du parlement de Paris fait obligation aux curés de secourir les enfants abandonnés de leur paroisse, à défaut des parents ou du seigneur. Au Moyen Age, Troyes, fière de ses foires et de ses 30 églises, possède 7 hôpitaux : Saint-Nicolas, l’Hôtel Dieu le Comte, Saint-Lazare (ou la Maladrerie des Deux Eaux), la Maison Dieu Saint-Abraham (convertie au début du XVI° siècle, en communauté de « Repenties », puis orphelinat de filles, l’Hôtel Dieu Saint-Esprit, l’Hôtel Dieu Saint-Bernard et l’Hôtel Dieu de la Trinité. Un arrêt du Conseil d’Etat du 13 avril 1630 ordonne la réunion de tous les Hôpitaux de Troyes sous la dénomination d’« Hôpitaux unis ». L’Hôtel Dieu le Comte, hôpital de malades et d’incurables, possède un « tour » pour recevoir les enfants abandonnés. L’Hôpital de la Trinité (notre Hôtel de Mauroy), est un orphelinat de garçons, asile des « enfants bleus ». L’abandon des enfants se fait au « tour » de l’Hôtel Dieu le Comte, dont on peut deviner encore aujourd’hui l’emplacement de l’ouverture, sur le mur du soubassement de la Chapelle, près de la fenêtre proche de la grille d’honneur, avec l’inscription « Tronc des enfants trou… (vés) ». C’est un « tour d’exposition » constitué d’une armoire cylindrique et tournante qui, posée dans l’épaisseur du mur, permet de recevoir à l’intérieur de l’Hôtel Dieu les enfants qu’on y dépose du dehors. Il ne reste plus qu’à faire sonner une cloche pour avertir le personnel d’une nouvelle arrivée. On le surnomme « l’augélôt », qui signifie en champenois « petite auge » et fait référence à la forme primitive du tour, et qui est garni de paille. Ainsi est préservé l’anonymat des parents, et cela permet également d’éviter les « pires mots » que sont l’avortement et l’infanticide. A partir des années 1760 et jusqu’à la Révolution, on constate comme partout en France, une nette augmentation des abandons d’enfants de tout âge et de toutes conditions, tant  légitimes qu’illégitimes, due à une dégradation de l’économie et des niveaux de vie : il y en a 3.033. Les abandons d’enfants de tous âge et de toute condition sont plus nombreux de 1760 à 1790, où l’Hôtel Dieu le Comte prend en charge 3.033 enfants trouvés, dont 1543 garçons et 1470 filles, le taux de masculinité de 51,2 % correspondant à la norme nationale : 125 en 1780, 112 en 1781, 133 en 1782, 121 en 1783, 137 en 1784, 139 en 1785, 154 en 1786, 161 en 1797, 177 en 1788, 196 en 1789, 175 en 1790. Ces années importantes coïncident avec la flambée du prix des blés et des crises industrielles et commerciales touchant la bonneterie troyenne. 30 % des enfants sont abandonnés en mars, avril et mai, les enfants ayant été conçus en été, la chaleur, la fréquentation des fêtes et kermesses, favorisant les relations amoureuses. Les enfants sont plus souvent abandonnés la nuit, par honte ou par crainte d’avoir à rendre des comptes. C’est la classe ouvrière (tisserands et fileuses très peu payés, souvent sans travail, misérables et affamés, condamnés à la mendicité), qui fournit le principal contingent des enfants trouvés. C’est aussi le fait de jeunes filles abusées et délaissées par leur amant. Les Officiers de police doivent recueillir les enfants et les porter au lieutenant de police qui dresse un procès-verbal avant de les diriger sur l’Hôtel Dieu avec sommation de les recevoir. Les enfants admis à l’Hôtel Dieu sont reçus jusqu’au 22 juillet 1769, dans la salle des femmes malades. Ensuite, ils ont une salle qui leur est destinée, la salle des Enfants Trouvés. L’enfant est mis dans les mains d’une religieuse (il y en a une dizaine), et le jour même de son arrivée, il est immatriculé, baptisé et un procès-verbal de levée rédigé avec précision. La lecture des procès-verbaux de levées qui détaillent les renseignements sur l’enfant trouvé est significative. On lit souvent : « l’enfant était couvert d’un tas de guenilles qui ne méritent pas d’être mentionnées ». On indique également toute particularité ou information comme la présence d’un acte de baptême, d’un message des parents, ou d’objets, chapelets, médailles religieuses. Un Directeur est préposé au service des Enfants trouvés et délaissés avec mission d’hospitaliser les enfants déposés à l’Hôtel Dieu, de les faire expédier à Paris ou assurer leur placement. L’hospitalisation dans la salle des Enfants trouvés est de courte durée, des nourrices sur place allaitent ceux du 1er âge. Bien qu’il soit défendu d’abandonner les enfants ailleurs qu’au tour, beaucoup sont abandonnés au coin d’une rue, devant une porte, sur le parvis des églises. Jusqu’en 1779, l’Hôtel Dieu expédie régulièrement à Paris les enfants abandonnés. Cette pratique cesse à la suite d’un édit royal du 10 janvier, qui interdit le transfert des enfants. L’Hôtel Dieu pratique alors la méthode du placement « en nourrice » qui a été tenté précédemment pour des enfants légitimes. Les nourrices reçoivent un salaire mensuel, une layette ou une vêture. Elles signent un engagement de se conformer au Règlement de sa Majesté. Les curés sont chargés de veiller à l’exécution du règlement et de placer les nourrissons. Par ailleurs, le Bureau convoque régulièrement les nourrices avec leur nourrisson à l’Hôtel Dieu. C’est une lourde charge pour les finances de l’Hôtel Dieu qui doit recevoir une subvention royale. Malgré ces dépenses considérables et les efforts humanitaires du Directeur de l’Hôtel Dieu, la mortalité reste très élevée parmi les enfants trouvés, surtout parmi ceux du 1er âge (j’ai relevé jusqu’à 74 % en 1766). La période révolutionnaire constitue, tout au moins quant aux principes, un tournant très marqué dans l’assistance aux enfants abandonnés dont la situation a fait l’objet de vœux nombreux lors de la rédaction des cahiers généraux. Sous l’influence des idées développées par les philosophes du XVIII° siècle, la notion moderne du droit à l’assistance se substitue à celle de charité, d’aumônes et de bienfaisance. L’ensemble des mesures enregistrées dès 1790, hardies, judicieuses, ont nettement inspiré notre législation actuelle. Au début de l’époque révolutionnaire, les enfants sont confiés à des nourrices, mais la loi les place sous la surveillance des officiers de santé et des municipalités. La Constituante et la Législative posent les principes qui obtiennent leur consécration légale sous la Convention. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen décide que les enfants abandonnés sont élevés aux frais de la Nation et différents textes de 1793 organisent une véritable protection des enfants abandonnés : création de maisons de couches (nos actuelles maisons maternelles dont la réalisation n’est devenue effective qu’en 1943), institution du secret de la naissance, création de primes à l’allaitement au sein, admission des enfants en dépôt, notion de secret de l’abandon, garanties exigées de nourrices en ce qui concerne leur état de santé, vaccination des enfants abandonnés, création d’hospices dépositaires, paiement de pensions aux familles nourricières, organisation de l’apprentissage… A partir de 1795 les Administrateurs n’ont plus les ressources nécessaires pour payer les nourrices qui rendent les enfants à l’Hospice où entassés, privés de confort et d’hygiène, ils périssent presque tous (il en a eu 92 % en 1797). Ce mal dure autant que la Révolution et ne cesse qu’avec la crise financière. En 1801, les enfants ne séjournent plus à l’Hospice que le temps nécessaire pour leur trouver une nourrice. La Révolution a voulu édifier une œuvre trop vaste et partout trop coûteuse. Cette œuvre est la base de notre législation actuelle, mais il faut noter qu’à Troyes, longtemps avant 1789, fonctionne l’abandon à tour ouvert, le placement à la campagne, la surveillance des nourrices et des nourrissons. Le 1er Empire, préoccupé de soucis militaires, ne se manifeste pas d’une manière sensible sur le plan de l’assistance. En 1811 sont déterminées les modalités de protection des 3 catégories d’enfants abandonnés : les enfants trouvés, les enfants abandonnés proprement dits, les orphelins pauvres. Les règles qui établissent le service des enfants assistés à cette époque ont survécu jusqu’à nos jours. C’est en 1839 que des instructions recommandent aux Préfets de désigner un inspecteur chargé de surveiller les placements effectués par les Commissions Administratives des Hospices investis de la tutelle. C’est la 3ème République qui promulgue un ensemble de lois de protection et d’assistance de l’enfance dont les plus importantes sont : - la loi du 24 juillet 1889 qui organise la protection des enfants maltraités et moralement abandonnés et place sous la tutelle de l’assistance publique un assez grand nombre d’enfants en état d’abandon moral, - les lois des 27 et 28 juin 1904 qui réunissent toutes les dispositions éparses édictées au cours du XIX° siècle et organisent la protection et la tutelle des enfants recueillis provisoirement par les services publics. Leurs dispositions sont reprises par la loi de 15 avril 1943 et par le décret du 24 janvier 1956 portant codification des textes législatifs concernant la famille et l’Aide Sociale complété par un décret de janvier 1959. Les dernières lois de juillet 2005 (Loi nº 2005-744 du 4 juillet 2005 art. 3 Journal Officiel du 5 juillet 2005) indiquent que lorsqu'il déclare l'enfant abandonné, le tribunal délègue par la même décision les droits d'autorité parentale sur l'enfant au service de l'aide sociale à l'enfance, à l'établissement ou au particulier qui a recueilli l'enfant ou à qui ce dernier a été confié. L'enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l'aide sociale à l'enfance, est déclaré abandonné par le tribunal de grande instance.

 

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