les dessous de Troyes



Le pèlerinage de Monsieur le Marquis


 

Charles Brégnard 1886 :

 

« Depuis dix longues années – il y en avait même eu deux bissextiles – M. le Marquis était l’heureux époux de Mme la Marquise.

 

Ils étaient tous deux assez jeunes, assez beaux, assez riches et très nobles, mais ils n’avaient aucune postérité, et ce petit inconvénient, qui eut laissé froids des manants comme vous et moi, désolait ces grandes âmes, habituées, la marquise surtout, à considérer les choses de la vie par le petit bout de la lorgnette.

 

Le Marquis essaya de tout pour se procurer un héritier de son nom et de sa fortune.

 

Il alla prendre les eaux de Lourdes et se rendit en pèlerinage à Notre-Dame-des-Forges, bien plus près de Troyes, et où venaient d’avoir lieu des miracles.

 

Mais toutes ces peines furent aussi perdues que des peines d’amour, toutes ces dévotions balnéaires eurent lieu sans profit et en pure perte.

 

Mme la Marquise continua de jouir d’une stérilité qui eût fait honneur aux plaines de la Sologne.

 

Un matin, cette noble dame était seule dans son boudoir, vivement affectée de sa situation et de la tournure d’esprit de son époux, qui, la veille, avait discouru deux heures durant, sans réussir à faire pénétrer la plus petite parcelle d’espérance dans le cœur de sa femme.

 

Tandis qu’elle se remémorait tous les miracles dont on avait orné sa mémoire, y compris les conceptions plus immaculées que les autres, qui font tant d’honneur au Saint-Esprit, le valet de chambre du marquis entra après avoir respectueusement frappé.

 

« Monsieur le marquis m’envoie prévenir madame, articula ce serviteur, d’une voix puissante, qu’il part ce soir pour un nouveau pèlerinage. Puisse-t-il y trouver ce qu’il cherche et recueillir le fruit qu’il désire ! ».

 

« Eh quoi ! fit la marquise, votre maître vous a-t-il donc pris pour un confident ? ».

 

« Monsieur le marquis n’a pas de secrets pour moi, madame. Il voulait même que je le suivisse. Mais madame me comprendra… J’ai déjà quatre enfants et je n’ai pas besoin que le ciel me bénisse davantage ».

 

« Quatre enfants ! admira la marquise. Votre femme habite l’hôtel ? Je l’ignorais ».

 

« Non, madame, je vais la voir quelquefois et même il y a dix jours que…, et si madame voulait bien me permettre ce soir… ? ».

 

« Dix jours… », murmura la marquise.

 

Puis, avec beaucoup de bonté :

 

« Non, mon ami. En l’absence de mon mari, je veux garder mes gens auprès de moi ».

 

Huit jours après, le marquis revenait de son pèlerinage, et en plus de temps qu’il ne faut pour l’écrire, il lui naissait un fils.

 

Rien n’est plus imposant que ces traditions, ce sang,  ces titres qui se sont transmis, se transmettent et se transmettront ainsi purs et sans mélange jusques aux générations les plus reculées.

 

In secula seculorum. Amen ».    

 


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