Pendant les Guerres



Grandes manœuvres de 1891 à Vendeuvre


Je pense que le récit qui suit est très intéressant, replacé dans son époque (après la guerre de 1870 et avant celle de 1914), et en comparaison avec la nôtre, bien que ce ne soit pas si éloigné pour les personnes âgées : mon Grand Père avait 25 ans et s’en souvenait.  Là encore c’est « notre histoire », d’autant plus que c’est notre compatriote le Général Saussier qui en était le directeur !

Les grandes manœuvres de 1891, exécutées en Champagne par 4 corps d’armée réunis, ont eu une importance exceptionnelle. Elles ont servi à expérimenter le fonctionnement du rouage principal de notre « grande machine militaire », l’état-major général. A la tête de cette immense réunion d’hommes, sans précédent en temps de paix depuis plus d’un siècle, on a pu voir un généralissime dirigeant plusieurs armées et se préparant utilement à son rôle en temps de guerre. Toutes les puissances européennes ont envoyé des délégations militaires pour étudier attentivement ces Manœuvres. Le Japon lui-même qui cherche le plus possible à calquer l’organisation de son armée sur celle de l’armée française, s’y est fait représenter. Une foule d’officiers et toutes armes et de personnalités marquantes s’intéressant aux choses militaires, ainsi que les représentants les plus autorisés de la presse nationale et internationale, ont suivi jour par jour les opérations, pour les détailler, les commenter et en tirer les déductions nécessaires à la marche continuelle et incessante du perfectionnement de nos forces nationales. Arrivant peu de jours après la chaleureuse réception faite à notre flotte par la Russie, dans la rade de Cronstadt, les Grandes Manœuvres de 1891 ont produit le plus heureux effet pour notre prestige à l’extérieur et pour l’affermissement du Gouvernement qui, à force de travail et de persévérance, avait relevé la France et la replaçait enfin à son rang en tête des nations !

De juin à août, le général Saussier, notre illustre compatriote, directeur des manœuvres, accompagné des généraux et des chefs d’état-major vient en mission à Vendeuvre. La ville est pavoisée, ils reçoivent de la population un accueil chaleureux et flatteur, la Lyre Vendeuvroise leur donne un concert.

Dans les derniers jours du mois d’août, la région est traversée par de nombreuses colonnes formées par les troupes de toutes armes. Le pays, habituellement si calme, prend tout-à-coup une animation extraordinaire. Les populations de la Champagne passent, à juste titre, pour très patriotes. Partout, les soldats sont accueillis cordialement, l’armée d’alors est une milice nationale, pour tous « chère et sacrée », à laquelle on porte intérêt aux heures où elle s’impose de si rudes fatigues.

Le 1er septembre, Vendeuvre loge les 8° et 9° dragons. Ces 2 régiments forment un effectif de 72 officiers, 875 hommes et 1065 chevaux. Le 2 septembre, plusieurs colonnes de cavalerie et d’artillerie traversent la ville. Le même jour arrive le convoi du grand quartier général du directeur des Manœuvres, comprenant 4 officiers, 154 hommes et 146 chevaux. Le 3 septembre arrive une petite fraction d’artillerie destinée à garder le dépôt des munitions installé aux Petites Forges. Les troupes appelées à prendre part aux Manœuvres étaient formées par les 5°, 6°, 7° et 8° corps d’armées, 2 divisions de cavalerie indépendantes, 1 brigade d’infanterie de marine et plusieurs bataillons de chasseurs à pied. Il y avait donc aux Manœuvres, 79 généraux pourvus d’un commandement actif. Commencées le 5 septembre, les Manœuvres d’armée contre armée, ont offert comme épisodes principaux, la bataille de Colombey-les-deux-Eglises, le passage de l’Aube, le 8 septembre, par l’armée de l’Ouest, battant en retraite de Bar-sur-Aube sur Vendeuvre Pendant toute la soirée du 9 septembre, Vendeuvre a gardé une animation extraordinaire. La journée a été chaude, aussi « cafés, auberges, cabarets, débits provisoires, tout est envahi, débordé », les rues sont pleines de monde. « Henri d’Orléans, duc d’Aumale, fils du roi Louis Philippe (ancien gouverneur général de l’Algérie à qui l’on doit la reddition d’Abd el Kader), à la terrasse du café de Paris prend tranquillement une absinthe ». Le soir, bal et concert, comme la veille, partout du monde, partout de l’animation. Pendant cette nuit du 9 au 10 septembre, comme pour la précédente, « beaucoup de personnes étrangères ont dû prendre du repos soit sur des chaises, soit sur des bancs. On a cité des meules de paille qui abritaient jusqu’à 20 dormeurs. D’autres se faufilaient dans les granges auprès des soldats ». La population a donné tous les lits dont elle pouvait disposer aux troupes, « les hôtels n’ont pas augmenté sensiblement le prix de ceux qui leur restaient disponibles ». Pour la Manoeuvre, les 4 corps d’armée marchent contre un ennemi figuré qui comprend : la brigade formée de 7 bataillons de chasseurs à pied, la brigade d’infanterie de marine, 1 brigade de cavalerie composée des 14° et 16° dragons et 1 régiment de chasseurs, 2 groupes d’artillerie à cheval et l’artillerie de marine, puis c’est la bataille de Vendeuvre-Beurey, le 9 septembre en présence du Ministre de la guerre, Président du Conseil.

Le 8 septembre, le Ministre de la Guerre avait été reçu à Troyes sur le quai de la gare, par une foule  d’officiers de toutes armes, appartenant tant à l’armée d’active qu’à la réserve et à l’armée territoriale. Dans la matinée, les troupes du 6° corps traversent Vendeuvre pour aller prendre leurs cantonnements à Champ-sur-Barse, La Villeneuve-au-Chêne, Mesnil-Saint-père, Montiéramey et La Loge-aux-Chèvres. Le Général Saussier est logé au château de Vendeuvre. Il fait une chaleur étouffante, et une poussière épaisse soulevée par la marche de l’infanterie et le passage de l’artillerie enveloppe les colonnes. Sur tout le parcours des rues de Vendeuvre, des 2 côtés de la chaussée, les habitants, compatissant aux souffrances causées par la chaleur et la soif, placent des seaux de vin coupé d’eau. Les hommes, en passant, emplissent rapidement leurs quarts et leurs bidons dont ils absorbent le contenu avec avidité. Dès la veille, et par tous les trains de nuit, une foule immense de curieux est arrivée à Vendeuvre. C’est cette dernière journée qui fut la plus importante des Manœuvres, au point de vue tactique. Devant la gare, un arc de triomphe est élevé par les ouvriers de l’usine Nicot en l’honneur du Ministre. Les chevaux de l’Ecole de Guerre, destinés aux officiers étrangers sont amenés dans la cour de la gare. La musique et la batterie, avec un bataillon de 106° de ligne se range devant la gare. La salle est magnifiquement décorée. La façade disparait sous les tentures grenat à franges et glands d’or, et sous les faisceaux de drapeaux. La salle des pas-perdus et la salle d’attente des premières sont entièrement tendues de superbes tapisseries. Sur la cheminée est placé le buste de la République amené de l’Hôtel de Ville. Sur les 2 quais, comme dans la cour, un large tapis est étendu. La foule augmente toujours. La gendarmerie la repousse un peu brutalement. Un peu après 8 heures, le train spécial amenant les officiers étrangers arrive à quai. « Les représentants de la presse munis de leurs cartes de circulation approchent et se mêlent à la foule des uniformes si divers et si curieux » : les officiers allemands, très raides, très pincés dans leurs uniformes collants, mais cependant très distingués, le général baron russe, de belle prestance, le général belge au képi blanc, le commandant de l’armée japonaise… Ces messieurs se mettent en selle. La foule crie : « Vive l’armée, vive la Russie ! ». A 8 h 32 le train ministériel est signalé, les tambours et les clairons sonnent et battent aux champs, la musique du 106° joue la Marseillaise. Les troupes présentent les armes. « Le spectacle est superbe ! ». Les curieux, en foule, sont entassées, sur les toits et jusque dans les arbres de la place, il y a du monde, partout on est serré, bousculé, monté les uns sur les autres. Cependant, au moment où le Ministre, après avoir salué tous ceux qui étaient présents et pressé la main du Général Saussier, traverse la salle d’attente et apparait sur le perron, « le silence est solennel ». M. de Freycinet passe au milieu des troupes et sous l’arc de triomphe, et monte en voiture : une calèche attelée avec des chevaux d’artillerie. Des cris retentissent : « Vive l’armée ! Vive M. Freycinet ! ». Les généraux montent à cheval et partent avec le Ministre, suivis par le groupe des missions étrangères. A leur passage, la foule pousse des exclamations : « Vive la Russie ! Vive la France ! ». Les officiers allemands sont l’objet de l’attention générale. On se les montre, mais heureusement, aucun cri, aucune exclamation blessante pour eux ne sort des rangs pressés des curieux : chacun a droit au respect des Français dont il est l’hôte.

Le Ministre suit ensuite les opérations, déjeune à Beurey, puis monte au clocher du village avec son état major pour examiner les mouvements des 5° et 8° corps d’armée. Malgré la grande chaleur, les troupes « ont été admirables d’entrain et de gaieté ». Beaucoup de régiments n’avaient pourtant pris, la nuit précédente, qu’un repos relativement court. Sur tous les points élevés, à tous les endroits dominants, les curieux étaient groupés par centaines. Le terrain qui s’étend au nord-est de Beurey, en allant à Puits,  était couvert de monde. Les meules de paille avaient été prises d’assaut.

Le lendemain, M. de Freycinet, ministre de la guerre et Président du Conseil, offre aux officiers généraux et aux Missions étrangères un déjeuner à Vendeuvre. Par curiosité, je vous donne le menu du banquet de 100 couverts tenu dans l’immeuble de l’ancienne faïencerie :

Hors-d’œuvre variés

Sardines, crevettes, concombres

Truite froide, sauce verte

Filet de bœuf à la Parisienne

Cailles au Sauterne

Homard à l’Américaine

Sorbets

Poularde et dindonneau truffés

Pâté de gibier

Salade printanière

Café, glace d’eau

Trois longs discours sont écoutés debout : M. de Freycinet, le général Saussier et au nom des officiers étrangers, le général russe baron Freedericks.

Ensuite, le Ministre part à la Villeneuve-au-Chêne pour visiter les cantonnements, puis prend quelques rafraichissements au château de Vendeuvre, la fanfare joue La Marseillaise… Le Ministre de la Guerre a été frappé de la bonne tenue des hommes. Il a été fort satisfait de les trouver gais, dispos, bien propres et bien reposés.

         Le ministre est rentré à Troyes où il a visité les magasins militaires et a diné et et couché à la Préfecture.

         Le 11 septembre, un ballon qui était remisé dans un coin du parc, est amené devant le château, sur l’immense pelouse baignée par la Barse. Une grande foule assiste aux ascensions. Des hôtes du château se font enlever jusqu’à 250 mètres par le Ballon « La Meuse ». On admire la facilité avec laquelle le ballon s’élève et avec quelle rapidité il est ramené à terre. Les équipes d’aérostatiers manoeuvrent admirablement. Le général Saussier assiste à ces essais. Plusieurs officiers d’état-major prennent place à leur tour dans la nacelle qui ne peut tenir que 2 personnes.

Le 12 septembre, le grand quartier général quitte Vendeuvre. La ville gardera longtemps le souvenir des manoeuvres de 1891.

« Ce spectacle grandiose a laissé dans l’esprit de tous ceux qui ont eu l’honneur d’y assister, une impression qui ne s’effacera pas de longtemps.  L’armée française a montré ce jour-là par sa fière allure qu’elle est déjà prête pour le jour où il lui faudra marcher à la frontière. Elle a prouvé que ni les fatigues ni les privations n’avaient le pouvoir d’abattre ni même simplement de diminuer l’ardeur et l’entrain de nos soldats. Elle continuera son œuvre, se perfectionnant de jour en jour, constituant ainsi à notre pays une force immense qui saura tenir en respect les haines de l’extérieur, comme les agitations de l’intérieur. Honneur à l’armée française et aux vaillants chefs qui la dirigent ».

 

Aérostats
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