Contes, légendes et anecdotes



Aimé Jouvenet


Je rencontre toujours avec plaisir mon ami Max Mosnier, qui a été chef de la rubrique sportive de 1959 à 1969, avant d’être Rédacteur en Chef adjoint de l’Est-Eclair, avec une chronique hebdomadaire de 1970 à 2009. En effet, il a toujours une histoire à me narrer. Ce fut le cas dimanche dernier, et il a accepté de vous la raconter à vous aussi :

 

         « Aimé Jouvenet, un maitre exceptionnel :

 

         Aimé Jouvenet a marqué toute une génération d’adolescents boutonneux qu’il prépara au Brevet Elémentaire dans sa classe de Charles Baltet, établissement dont il était directeur. C’est si vrai que bien des années après sa retraite à Fresnoy-le-Château, ses anciens élèves organisaient un repas en son honneur et ce banquet de retrouvailles, toujours joyeux et émouvant rassemblait des hommes de toutes conditions, de toutes professions et de toutes orientations politiques venus là on ne sait par quel mystérieux téléphone arabe car il n’existait aucune association. Et pourtant cela dura pendant plus de vingt ans !

 

         Et pourtant,  « Bois Sec » comme on l’appelait en raison de sa maigreur, n’était pas un maître facile. Il était exigeant, sans complaisance dans son enseignement qui était pour lui un véritable sacerdoce, une vocation qu’il exerçait à plein. Le plus minable, le plus fumiste qui entrait dans sa classe en ressortait avec un bagage lui permettant de réussir un petit quelque chose à force de travail, une notion que le « Père Jouvenet » avait su lui faire entrer dans la tête en prenant son temps.

 

         Il faut dire que si « Bois Sec » avait une montre qu’il posait délicatement sur son bureau en commençant son cours de français ou de math., il ne la regardait jamais . On savait quand on entrait dans sa classe, on ignorait quand on en sortirait. Avec ses élèves, Jouvenet perdait la notion du temps. Il ne les libérait que lorsqu’il était certain que tous avaient compris la leçon ! Ce pouvait être à 13 heures, avec obligation de revenir pour 14 heures…

 

         Quant au soir… la nuit était devant nous ! 20 heures était une heure raisonnable pour ranger livres et cahiers. Le Père Jouvenet nous a avoué, lors d’un repas, qu’il s’était fait rappeler à l’ordre, un jour, par la Ville de Troyes, estimant abusive les notes d’électricité dans sa classe !

 

         J’ai le souvenir de plusieurs soirées pas comme les autres. C’était en 1943, lors des mois sombres sous l’occupation où les pannes de courant étaient fréquentes. Nous les attendions avec impatience en espérant que « Bois Sec » ne pourrait nous retenir. Je crois me souvenir que certains camarades n’étaient pas étrangers aussi à quelques coupures… Car il était impossible, n’est-ce pas de travailler dans le noir… Erreur ! Impossible ailleurs, mais pas chez Jouvenet !

 

         « Ce soir, il y a clair de lune, rassemblez-vous près des fenêtres… et voyons Racine ! »  disait-il…

 

         Et c’était un étrange spectacle, dans cette  « obscure clarté qui tombait des étoiles » que celui du «  Père Jouvenet », juché sur son estrade, écoutant le Songe d’Athalie, récité par un élève, reprenant, interrompant, jusqu’à ce que la diction soit parfaite « de ce malheureux sauvage qui ne comprenait rien à un texte si merveilleux ! »

 

         Ainsi, panne ou pas panne, nous sortions sur le coup de 20 heures, avec sous le bras des pages à noircir et des problèmes à résoudre. 

 

         Et puis, c’était aussi l’époque des restrictions de charbon. Il nous arrivait d’entrer en classe par des températures négatives. Mais « Bois Sec » ne se souciait pas plus de son thermomètre que de sa montre : « faites fonctionner votre cerveau, ça réchauffera l’atmosphère ».

 

         Des anecdotes de ce genre, on pourrait en citer mille, surgissant  d’une époque héroïque et d’un passé révolu. On n’imagine plus aujourd’hui des écoles sans feu, sans électricité et sans horaires. Ce serait un tollé général contre des conditions inhumaines risquant de traumatiser pour la vie de malheureux enfants sans défense…

 

         Les élèves du Père Jouvenet n’étaient pas traumatisés. Je crois pouvoir dire qu’ils étaient heureux et les rudes séances de travail ne faisaient que plus apprécier les parties de franche rigolade. Jouvenet, en bon pédagogue savait doser les unes et les autres avec un rare bonheur.

 

         Et quand, le diplôme en poche, ses élèves allaient le remercier, il les recevait, heureux, avec des petits gâteaux, et suprême récompense, il les tutoyait ! C’était la première fois, ils avaient acquis cet honneur ! ».

 

         Il n’est pas difficile à comprendre que Max Mosnier était bien entendu, l’un de ces élèves, et que certains anciens qui vont lire ce chapitre, se reconnaîtront avec plaisir !

 

         Merci Max.

 


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