Le département



Saint-Pouange et Edouard Herriot


Des attaches familiales ont lié le nom d’Edouard Herriot (voir le chapitre),  à celui du village de Saint-Pouange.

 

         Né en 1872 à Troyes, il vint régulièrement à Saint-Pouange jusqu’à l’âge de 17 ans. S’il ne revint que rarement ensuite, son cœur ne cessa d’y « séjourner », c’est lui qui le dit, en voici quelques passages :

 

         « Mais le meilleur de mon enfance, depuis le temps où je n’étais qu’un petit grimaud jusqu’à ma dix-septième année, je l’ai passé près de mes parents, de mon oncle et de ma grand-mère, dans la chétive commune de Saint-Pouange...».

 

         L’oncle maternel d’Edouard Herriot, l’abbé Collon, fut curé de Saint-Pouange de 1844 à 1889.

 

         « Cette campagne où abondaient les friches, m’enchantait… Le petit jardin du presbytère comprenait, outre le potager, 2 pelouses, 2 sapins, un bosquet envahi de lierre et un vieux sureau. A cet arbre pourquoi me suis-je attaché ? Avec sa moelle blanche, ses ombrelles de fleurs à odeur forte, ses baies noires à suc rouge… Il me plaisait par l’ampleur de son tronc, par son heureux mariage avec la haie… Entre la route, la grange qui servait de remise pour la pompe, le mur du cimetière et la demeure de mon grand oncle, la petite place herbue ne s’animait guère que par le passage du colporteur. Il arrivait chargé d’une hotte, comme au temps de Rabelais, s’installait sous le poirier sauvage, vendait aux ménagères du fil et des aiguilles, exposait des almanachs ou les Centurie de Nostradamus… Il tentait les enfants par de magnifiques images d’Epinal, illustrant en couleur les Contes de fées…

 

         Quand mon oncle se rendait à une réunion de curés, je l’accompagnais à travers les marais et les terres blanchies par la craie… Nous longions les fermes, faites de bois et de torchis, couvertes de chaume. Beaucoup de ces demeures étaient abandonnées ou ruinées, la commune comptant à cette date, une centaine d’habitants…

 

         Les paysans de Saint-Pouange s’appelaient jadis les Glayolats, car on rencontrait dans les champs des glaïeuls sauvages…

 

         Les noms chantaient comme de vieux refrains d’autrefois : les Champs Tordus, le Bois du Saint-Esprit, le chemin de Pâques fleuries, les Blancs fossés, la rue du Moutier, le Pont à la bergère. Comme tout cela était pauvre, mais comme tout cela était français !... On marchait, on traversait les fossés à rouir le chanvre, les Roisses. On saluait les voisins au passage…

 

         Mon grand oncle dirigeait avec exactitude ses ouailles, plus disposées à la malice qu’à la piété. Il se montrait, sur l’observance, tolérant… Je lui servais la messe… J’apprenais à consulter le calendrier rituel… à manier la navette de l’encens. Dans les 3 jours qui précédaient l’Ascension, nous partions à l’aube pour bénir les champs, comme faisaient les Romains en l’honneur de Cérès. Je tenais le bénitier…

 

         Dans la mesure où je pouvais comparer, rien ne valait pour moi cette pauvre église de Saint-Pouange où je servais la messe de mon oncle. Une abside et un sanctuaire du XIII° siècle, une nef unique éclairée par 2 fenêtres à ogive en lancette, une porte aux pilastres surmontés par les statues de sainte Anne et de saint Claude, cet ensemble ne doit guère dépasser en importance l’oratoire qui, jadis, s’élevait en ce lieu. Un abbé, patron d’un chanoine donateur, tient en main la crosse.

 

         Parmi les tombes aux noms effacés, je distinguais l’épitaphe du marquis de Mesgrigny, seigneur du pays, brigadier des armées du roi, et son blason surmonté par 2 griffons.

 

         Si menue, si fruste, coiffée d’un clocher semblable au bonnet d’une vieille, cette église et le cimetière qui l’encadre rappellent l’histoire de la province et de la nation depuis le temps de saint Louis. Il n’y reste qu’un bien vague souvenir de l’Ermite Pouange Potamius, qui, pour se punir d’une faute grave, serait allé en pèlerinage à Rome et, au retour, se serait caché dans les marais…

 

         Je fréquentais aussi, avec ma charmante sœur, l’école primaire. Mais alors, elle n’était pas indépendante de l’église. Lorsqu’il y avait mariage ou enterrement, notre instituteur revêtait un surplis, nous laissait à la garde de sa femme et, par delà le petit jardin, nous entendions sa voix…

 

         A Saint-Pouange, lorsque Messieurs les prêtres du canton s’assemblaient, l’exercice théologique se complétait par un copieux déjeuner où j’étais admis…         

 

         Lorsque je serai président du Conseil en 1924, je reviendrai en pèlerinage à mon petit Saint-Pouange

 

         Je reconnais dans l’église les burettes avec lesquelles je présentais l’eau et le vin à la messe, dans un meuble de la sacristie dorment les aubes brodées par ma mère…

 

         J’ai pu acquérir d’une municipalité bienveillante le presbytère qui est pour moi comme une châsse aux souvenirs, une école toute neuve remplace celle où j’étudiais sous la douce férule d’un maître à la fois instituteur et sacristain…

 

         Les savantes ruses des hommes ont fertilisé cette terre à demi-déserte, créé des prés, fait surgir une houle de moissons, de gras pâtis remplacent les anciennes friches… La Champagne pouilleuse est morte, mais elle vit dans mon cœur, dans ma mémoire et j’en demeure entiché parce que la médiocrité même de son sol obligeait un enfant à concentrer son observation et à se réfugier dans l’étude. C’est elle qui m’a fait comprendre la beauté du vers admirable où Lutèce peint un blanc troupeau de moutons immobile en apparence au flanc d’un coteau : une sorte de tache blanche immobile sur le vert de la colline ».  

 


Sur le bandeau du  bas de chaque page, vous cliquez sur "Plan du site", qui est la table des matières, et vous choisissez le chapitre qui vous intéresse. 

Cliquez sur "Nouveaux chapitres"  vous accédez aux dernières pages mises en ligne.



Rechercher sur le site :