Pendant les guerres




Interrogatoire sous l’occupation


 

Vous trouverez ci-dessous le témoignage d’un homme arrêté et interrogé par la milice.

 

   ETAT FRANÇAIS

 

Ministère de l’Intérieur

 

                                                          Direction générale

                                                         de la police nationale

 

        Procès Verbal n° 263

 

            L’an 1944, le 7 septembre. Nous…, commissaire de police, chef de la section de police de sûreté à Troyes.

 

         Officier de police judiciaire de Monsieur le Procureur de l’Etat Français.

 

         Se présente à nous le nommé … 39 ans, épicier, domicilié … à Troyes, lequel nous a fait les déclarations suivantes : le jeudi 20 juillet 1944, vers 11 h du matin, alors que je me trouvais au café de la Bonneterie, Place Jean Jaurès, j’ai été arrêté par la milice dans les conditions suivantes : 6 miliciens armés de mitraillettes sont entrés dans ce débit, en criant : « Haut les mains », et l’un paraissant le chef est venu directement à moi, il m’a demandé mon nom. Après lui avoir décliné mon état-civil, il donna l’ordre de me fouiller. Après m’avoir passé les menottes, encadré par ces hommes, j’ai été emmené dans les locaux de la milice, rue du Cloître-Saint-Etienne. De la façon dont les miliciens sont entrés dans le débit, j’ai constaté que c’était moi qui étais visé, car dans cet établissement il y avait d’autres consommateurs qui n’ont pas été inquiétés. D’ailleurs, je dois vous signaler qu’à mon entrée dans ce débit, j’ai remarqué la présence de 4 personnes qui sans aucun doute ont provoqué mon arrestation. Ce sont les nommés X…Y… et Z… Tous étaient attablés et parlaient à voix basses, de plus, une minute ou 2 après mon arrivée dans ce débit où j’avais l’habitude de me rendre, l’un d’eux, le nommé X… est sorti, sans doute pour signaler ma présence dans cet établissement.

 

Dans les locaux de la milice, à nouveau, j’ai été fouillé et délesté de mon argent, soit la somme de 25.000 f que je devais porter à ma banque pour couvrir les traites, et de tous mes objets personnels, puis immédiatement, j’ai été déposé dans un sous-sol à usage de chambre de sûreté. Dans ce local se trouvait déjà un nommé D… également arrêté par les miliciens. Enfin, le samedi 22 juillet à 20 H, j’ai été remonté du sous-sol et dans le bureau d’un chef, j’ai subi un interrogatoire plutôt serré. Il m’a été reproché que je connaissais l’activité de plusieurs groupes de « Résistance », des photographies m’ont été présentées, et comme je répondais négativement, j’ai été sauvagement frappé par 4 individus munis de nerf de bœuf, de matraques de caoutchouc, à coups de pieds, de poings, il m’a même mis une cordelette aux poignets que l’un d’eux resserrait avec une tige de fer pour me faire avouer. Cet interrogatoire a duré environ 2 h. Inutile de vous dire que meurtri  de coups, j’étais devenu une vraie loque humaine et je fus redescendu au sous-sol.

 

Le 25 juillet, sans boire et sans manger, j’ai subi un second interrogatoire, celui-ci en présence d’une jeune fille brune, âgée de 22 à 25 ans, teint mat. Elle a été présentée au cours de mon interrogatoire par le chef, en ces termes : « Ce n’est pas ma femme, c’est ma gonzesse, elle fait du bon boulot pour la milice ». Cette jeune fille que le chef appelait Jeannette, m’a invité plusieurs fois à dire la vérité dans ce que je connaissais sur l’activité de la « Résistance », et elle riait aux éclats chaque fois que j’étais frappé, et que je me plaignais. J’ai été reconduit au sous-sol, et y rencontré X de Bar-sur-Seine, arrêté quelques jours auparavant au « Café de l’Harmonie », meurtri de coups, méconnaissable, remis à la Gestapo le 10 août par les services de la milice, parce qu’il avait avoué avoir trinqué avec des éléments de la « Résistance » le jour du 14 juillet à Bar-sur-Seine. Il a été exécuté le 22 août dernier avant l’arrivée des troupes américaines dans notre ville.

 

Le jeudi 18 août, le chef accompagné de quelques hommes, vers 22 heures, m’ont remonté du sous-sol et après m’avoir bandé les yeux, j’ai été monté dans une voiture, et attaché menotté au véhicule, et conduit chez un particulier, et mon bandeau a été enlevé. Vers 1 heure du matin, à nouveau en présence de la femme, j’ai subi un troisième interrogatoire. J’ai été à nouveau giflé par le chef et 3 hommes, pendant que la femme ricanait aux éclats. On m’a remis un papier blanc, une plume et de l’encre, et après m’avoir mis torse nu, on m’a dessiné un rond et une croix de Lorraine sur la poitrine à la hauteur du cœur, et j’ai été invité à écrire une lettre à ma femme pour lui indiquer mes dernières volontés. Je me suis exécuté, et j’ai dû absorber un verre d’alcool et fumer une cigarette, puis j’ai été descendu à la cave les yeux bandés, et l’on m’avertit que j’allais être fusillé. La femme m’a dit : « Allons avouez ce que vous savez et vous ne serez pas fusillé ». Le chef m’a dit : « C’est toi qui vas donner le commandement de ton exécution ». J’ai compté jusqu’à 3, un coup de feu a été tiré, mais n’ai pas été touché. J’ai alors entendu des éclats de rire et le chef m’a dit : « Depuis un mois nous t’avons torturé, faute de preuves nous sommes obligés de te relâcher ». Les miliciens et la femme étaient un peu ivres.

 

Le lendemain 20 août, j’ai été relâché, après avoir signé un papier comme quoi je n’avais jamais eu de contact avec la « Résistance », puis lorsqu’il fut question des 25.000 f dont j’étais porteur lors de mon arrestation, le chef m’a sollicité pour faire un don à la milice. Devant mon refus, il a mis mon argent dans sa poche : « Tu ne le reverras plus », et j’ai été remis en liberté. Pendant mon incarcération, mon épouse m’a dit que la milice avait fait une perquisition à mon domicile et avait emporté un coffret contenant la somme de 140.000 f. Je suis retourné à la milice rue du Cloître Saint-Etienne où il me fut répondu que mon coffret avait dû être égaré, et que je ne reverrai jamais mon argent….

 

                        Lecture faite, persiste et signe…

 

                                                                     Visa du commissaire.  

 

        

 

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