Les Crimes



Après 3 ans d’impunité


Lorsqu’en 1949, M. Jean Scelle entre en fonctions comme juge d’instruction attaché au Parquet de Troyes, il se fait apporter les dossiers des affaires en suspens, et constate que, depuis 10 ans, 9 crimes sont restés mystérieux. Cela fait 12 cadavres sans assassin.

Le 7 juillet 1939, assassinat d’une institutrice de 20 ans, Geneviève Brigandet. La jeune fille est retrouvée dans un trou d’eau, après avoir été frappée sur une route où la circulation aurait dû faciliter l’identification rapide du criminel. La trop longue série de ces attentats anonymes s’est close l’année précédente, par l’assassinat de deux bijoutiers, M. et Mme Trémolières.

Parmi ces dossiers en instance de classement, l’un d’eux, celui de l’affaire René Buhl, paraît au magistrat instructeur mériter un supplément d’information.

Ce René Buhl, âgé de 20 ans, était employé comme livreur de la société Helminger. Le 11 mai 1946, il quitte, vers 19 heures, le domicile de sa mère, 3, rue des Trois-Godets à Troyes, et enfourche sa bicyclette. Il se rend à Vannes pour chercher 3 litres de lait chez un cultivateur, M. Pigeot. Son passage est remarqué dans 2 cafés, où il boit plusieurs consommations. Il n’est pas ivre en quittant Troyes, mais un peu parti. Il n’arrive jamais chez M. Pigeot, et sa mère attend vainement son retour.

Le lendemain dimanche, un cultivateur des environs, M. Bodié, flâne dans ses champs, le long du bras de la Seine, le Melda. Il remarque une barque, la barque à Laurin, qui flotte à la dérive. Il court le prévenir. Marcel Laurin, vient récupérer son bien, qui heurte de la proue les roseaux du rivage. " Bizarre, grommelle-t-il. Ma barque est à bonne distance en amont de l’endroit où je l’ai amarrée hier soir. Elle n’a pas remonté le courant toute seule ! Pour moi, ce sont les gars du village qui s’en sont servis, sans ma permission, pour faire une tendue. Eh bien, je vais aller relever leurs nasses. Ca sera une leçon ". Et, montant dans sa barque, il part, scrutant le fond pour découvrir les engins des braconniers. Mais, soudain, la surprise : " Ah ! ça, par exemple ! Un noyé !" M. Laurin aperçoit distinctement le corps d’un homme. Il est couché sur le côté et par dessus une bicyclette, dont la chaîne lui retient le pied, si bien qu’il semble pédaler au fond de la rivière. M. Laurin donne l’alarme. Les gendarmes de la brigade de Pont-Sainte-Marie retirent le cadavre de l’eau et l’identifient : c’est René Buhl. Son vélo n’est plus en état de rouler : la roue arrière a été démontée et remontée à la hâte, le côté du pignon ne correspondant plus au côté du pédalier. Dès le lendemain, l’autopsie ordonnée par le Parquet de Troyes apporte des précisions déroutantes : ce cadavre trouvé au fond de l’eau n’est pas un noyé ! Buhl a cessé de vivre lorsqu’il a été jeté à l’eau ! En outre, lui qui n’a pas mangé au départ de Troyes, a fait un repas complet avant de mourir.

La police mobile, unissant ses recherches à celles de la gendarmerie, découvre sur une rive du Melda, les traces d’une bicyclette tirant une remorque à 2 roues. Non loin, les enquêteurs ramassent des fragments de lettre où l’on peut encore lire le nom de l’expéditrice : Mme Marcelle Varlet, 23 ans, demeurant à Vannes. Cette dernière est aussitôt interrogée. Elle admet, après bien des réticences, avoir écrit la lettre , mais dit ne plus se rappeler à qui elle l’a destinée. " Je suis passée voici 6 semaines à l’endroit que vous dites, pour me rendre au lavoir. Elle aura dû tomber de ma poche ". Or, si le papier est boueux d’un côté, il ne porte pas d’autre tache. Et pourtant, il a plu à verse une partie de la journée de la veille. Interrogée au sujet de Buhl, dont on lui présente la photo, Mme Verlet hésite longtemps : " Je le connais, admet-elle enfin. C’est un camarade d’école. La dernière fois que je l’ai vu, nous étions encore des gosses… ". Mais plus tard, elle avoue avoir rencontré Buhl 3 jours plus tôt. Elle affirme seulement ne lui avoir pas parlé. Les enquêteurs, eux, pensent que Mme Barlet devait rencontrer très fréquemment (et pas très innocemment) la victime. Mais, devant ses dénégations obstinées, et du fait qu’il n’est pas établi que le débris de lettre a été perdu par Buhl, l’affaire rentre dans l’ombre.

C’est M. Scelle qui l’en tire. Avant de se résigner à son classement définitif, il veut faire confirmer aux témoins leurs dépositions. Les époux Varlet sont entendus à ce titre. Mais en quittant le cabinet du juge, ils se mettent à se disputer dans le couloir, et, finalement, en viennent aux mains sur les marches du Palais de Justice. On les sépare. M. Scelle, informé, juge le fait si significatif, qu’il lance une commission rogatoire, aux gendarmes de Pont-Sainte-Marie, afin que l’enquête soit reprise. Le chef Marin et le gendarme Fourquet ont là une mission difficile : les faits datent de près de 3 ans. Ils sont servis par la rumeur publique. Ils apprennent qu’un soir d’octobre 1947, un cultivateur passant à la nuit tombante devant la maison des Varlet, entend une dispute : " Ton mari est un assassin ! ", hurle la mère de la jeune femme. "Tais-toi, voyons, il ne faut pas le dire ! ", réplique cette dernière. Le cultivateur, retrouvé, confirme avoir entendu ces propos. Ni Marcelle Varlet, ni sa mère, ne les démentent. Varlet et sa femme ont vécu quelques temps séparés, peu après le crime. Varlet avait une amie. Cette dernière reçut un jour ses confidences. Parlant de la mort de Buhl, l’homme aurait avoué : " Je suis dans le coup ! ". Enfin, des automobilistes et des cyclistes, qui ont circulé le soir du crime entre Vannes et Sainte-Maure, ont établi formellement que Buhl s’est arrêté " à l’une des deux maisons à l’écart, à l’entrée du pays ". Or, l’une de ces deux maisons isolées, est justement celle des Varlet.

Devant ces présomptions, M. Scelle fait écrouer Varlet et sa femme sous l’inculpation d’homicide volontaire. Cet événement a, comme toujours, délié bien des langues que la crainte paralysait. Après une impunité de 3 ans, les assassins du noyé à bicyclette, reçoivent le juste châtiment de leur forfait.

        

 

 

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