Histoires d'eau



Le Pont de la Pielle


Il n’a été possible de faire le tour de la ville de Troyes en dehors des anciens fossés, avec chevaux et voitures, que depuis qu’un pont à voitures a été jeté sur le canal de la Pielle. Au XV° siècle, cette circulation était impossible au nord comme à l’est et au midi de la cité.

         Le 13 février 1630, le roi Louis XIII écrivit aux Troyens pour leur annoncer son projet de venir à Troyes et de loger chez M. du Vouldy, l’un de ses maîtres d’hôtel. Le roi demanda «  que vous ayez la plus grande diligence qu’il vous sera possible, à faire réparer les chemins sur les avenues de Paris à Troyes, comme aussi le chemin de notre ville de Troyes en la maison du sieur du Vouldy, l’un de nos maîtres d’hôtel, même de faire un pont en bois avec garde-fous en face du moulin de la Pielle, suffisant pour y passer en carrosse, quand nous y voudrons aller… Tel est notre plaisir ». Le roi voulait se rendre au milieu de son armée qu’il réunissait en Champagne, afin d’y observer les mouvements des impériaux en-deçà du Rhin.

         Dès le 18 février, le maire, un échevin et un conseiller ont pour mission de se transporter sur les lieux désignés « pour connaître l’endroit et place » où l’on pourrait construire le pont commandé par Louis XIII, et « le moyen de le faire exécuter ».

Là, il faut dire quelques mots des démêlés qui, antérieurement à 1630, avaient éclaté entre le Chapitre de la cathédrale et Guichard, seigneur du Vouldy. Le Chapitre tenait du comte de Champagne Thibaud le Grand ses droits de propriété et de justice sur le bourg Saint-Denis et le Pré-l’Evêque, dont dépendait le moulin de la Pielle, et vivait en assez bonne intelligence avec son riche et puissant voisin Guichard du Vouldy, lorsqu’un incident faillit dégénérer en un conflit sérieux. Guichard avait aménagé, dans la maison qu’il venait de se faire construire, une petite salle servant d’oratoire, dans laquelle il faisait dire la messe et quelquefois même prêcher, mais il avait oublié d’en demander l’autorisation au Chapitre de la cathédrale. En 1626, les chanoines statuèrent sur cette affaire. Ils ne savaient pas que Guichard avait demandé la permission d’établir un oratoire chez lui, et que cela lui avait été accordé par l’évêque Mgr René de Breslay, outrepassant ainsi ses droits au mépris de ceux du Chapitre. Le 9 septembre, l’affaire fut enterrée, cet oratoire  ne devant servir qu’à M. du Vouldy et aux gens de sa maison, et à charge chaque année de solliciter le renouvellement de cette permission.

En 1628, il existait une petite passerelle en bois qu’avaient fait construire depuis longtemps, les chanoines de la cathédrale, et qui était à cette époque, le seul passage qui permit aux piétons de franchir la Seine, très profonde en cet endroit, et dont les eaux claires s’engouffraient sous la roue du moulin. C’était l’unique moyen mis à leur disposition, pour aller vers la Vacherie, ou vers le village de Sancey (aujourd’hui Saint-Julien). Guichard du Vouldy, qui arrondissait son domaine, devenait plus exigeant, et cette étroite passerelle ne suffisait plus à ses besoins : on menait grand train chez l’ancien maître d’hôtel du roi, toute la belle société d’alors se donnait rendez-vous dans ses brillants salons, et il voyait avec peine les équipages de ses visiteurs et les siens, obligés de faire un long détour pour arriver chez lui, quand la chaussée du Vouldy lui paraissait si commode pour cela. En novembre 1628, en prévision de l’insigne honneur de recevoir Louis XIII fin janvier 1629, le seigneur du Vouldy sollicitait du chapitre de la cathédrale, l’autorisation de faire construire à ses frais, un pont sur la Seine, devant le moulin de la Pielle, « pour le passage de son carrosse et harnois et pour se rendre ainsi plus commodément en sa maison et jardin du Pré-l’Evêque ». Il s’engageait à ne pas détériorer la passerelle existante, à pourvoir à l’entretien du nouveau pont, à y faire mettre une barrière fermant à clef pour s'en réserver l’usage à lui et à ses gens et « à ceux de Messieurs qui auraient des héritages et accès adjacents ». Le 12 janvier 1629, la visite du roi approchant, l’élu Angenoust offre au Chapitre, de faire construire un pont provisoire pour la durée du séjour de Louis XIII et de le faire démolir après son départ, moyennant telle indemnité qu’il plaira au Chapitre de lui demander. Il fut alors décidé que pendant le séjour de Sa Majesté seulement, le seigneur du Vouldy pourrait, à ses risques et périls, établir sur la Seine, « un pont de bateaux affermi de quelques planches aux conditions ci-dessus et non autrement ». C’est donc sur un simple pont de bateaux, jeté au travers de la Seine, à la hauteur des moulins de la Pielle, que défilèrent le 24 janvier 1629, fièrement escortés par les compagnies de la milice bourgeoise, les riches équipages armoriés qui conduisaient à la belle et vaste propriété du Vouldy, pour s’y livrer au plaisir de la pêche, le roi Louis XIII et les brillants seigneurs de sa cour.

L’année suivante, Troyes eut encore le bonheur de posséder son roi, du 18 mars au 25 avril 1630.  Louis XIII, cédant aux pressantes sollicitations du seigneur du Vouldy, écrit à l’échevinage (voir plus haut, lettre du 13 février). Le 8 mars, le Chapitre apprend que « M. du Vouldy, en vertu des lettres-patentes obtenues par surprise, veut bâtir un pont proche de sa maison, sur les branchis du moulin de la Pielle, en prenant 4 pieds du cours d’eau et 6 sur les héritages voisins de la ruelle adjacente audit moulin ». Mais, l’attitude du Chapitre reste ferme. Il faut attendre jusqu’au 4 septembre, quelques jours avant le séjour de Louis XIII à Troyes, pour que ce dernier s’adresse à une hiérarchie plus haute que l’échevinage, et fasse agir la généralité des finances de Châlons, demandant à Pierre Nevelet, seigneur de Dosches, trésorier de France, l’ordre de mettre immédiatement aux enchères les travaux de construction du nouveau pont qu’il désire voir se terminer rapidement. Guichard, de son côté,  ne restait pas inactif. Il était arrivé à intéresser à sa cause, les habitants de la Vacherie et du Pré-l’Evêque, les meuniers de Sancey, de la Rave et de la Moline, et à leur persuader d’introduire au Parlement une requête demandant la construction d’un pont sur la Seine, au Vouldy, ce pont leur étant devenu d’une utilité incontestable pour se rendre en voiture à la ville, avec laquelle ils étaient en communication journalière et forcée. Comme il fallait s’y attendre, présentée au Conseil du roi, cette requête fut signifiée au Chapitre le 2 mai. Les chanoines voulurent obtenir du Parlement la non exécution de l’arrêt prononcé contre eux. Le roi ne craignit pas d’avoir recours au mensonge pour voir aboutir ses projets, faire exécuter ses ordres et donner ainsi satisfaction à son ancien maître d’hôtel, son protégé. Le 23 mai 1631, sans attendre l’arrêt du procès pendant au Parlement, des ouvriers étaient occupés à enfoncer des pieux dans le lit de la Seine, pour y asseoir les premiers fondements du pont contre la construction duquel il avait protesté jusque là avec tant d’énergie. Les chanoines envoyèrent 2 des leurs pour solliciter une audience du roi. Louis XIII répondit que n’ayant jamais entendu parler du pont dont on venait l’entretenir, il n’avait pu en ordonner la construction. Mais il ne confirma pas par écrit sa déclaration, et le pont de la Pielle fut achevé sans autre opposition de sa part.    

Telle est l’histoire de ce pont de la Pielle, l’un des plus fréquentés de tous ceux qui, par leur très grand nombre, donnaient à notre antique cité un aspect si pittoresque. Les lourds tombereaux chargés de sable, qui servaient à l’exploitation des graviers de la Seine et de la Vacherie, s’y donnaient journellement rendez-vous. Des camions et des voitures de toutes sortes circulaient en quantité au Vouldy, pour les besoins des industriels qui l’habitaient et des jardiniers qui cultivaient son fertile terrain. Le riche carrosse et l’humble omnibus passaient de préférence sur ce pont de la Pielle, « quand ils allaient à certains jours promener la joie bruyante des jeunes époux et de leurs invités sous les fraîches saulaies de Villepart et de Saint-Julien ».

Les pêcheurs à la ligne qui pêchent à cet endroit aujourd’hui, ne se doutent pas que ce pont fut construit il y a près de 4 siècles, par ordre de Louis XIII, contre les droits du Chapitre de la cathédrale de Troyes, au prix d’un mensonge et d’un abus de pouvoir ! Il fut reconstruit  tout entier en bois de chêne en 1727.

Le « Bulletin des Lois » n° 167 du 7 octobre 1807 donne le Décret Impérial n° 2856, de Napoléon, Empereur des Français, Roi d’Italie et Protecteur de la Confédération du Rhin, qui casse pour excès de pouvoir un Arrêté par lequel le Préfet du département de l’Aube avait fixé la répartition des dépenses  relatives aux réparations du pont de la Pielle à Troyes : « Vu l’arrêté du 15 avril 1806, par lequel le préfet du département de l’Aube a ordonné que les réparations à faire au pont de la Pielle, situé sur un bras de la Seine, et qui forme, dans cette partie, la communication de la ville de Troyes avec les hameaux de Pré l’Evêque, la Vacherie, Haute et Basse Moline, dépendants de la commune de Troyes, seront supportées, un tiers par la ville, un tiers par les acquéreurs des biens du chapitre Saint-Pierre, et un tiers par les propriétaires habitants de ces hameaux : Considérant que, dans le cas ci-dessus, le préfet n’avait pas le droit de faire aucun rôle d’imposition ou de répartition sur les particuliers de ces communes, Notre Conseil d’Etat entendu, NOUS AVONS DECRETE ET DECRETONS ce qui suit : Art. 1er : L’arrêté  sus daté du préfet du département de l’Aube est cassé pour excès de pouvoir. Art. 2 : les réparations dont il s’agit sont mises à la charge de la commune de Troyes. Art 3 : Notre ministre de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent décret ».

                                                Signé  NAPOLEON   

 

 

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