La vie à Troyes



Monnaie frappée à Troyes


Tout d’abord, pour ceux qui l’ignoreraient, je rappellerai que le plus important dépôt monétaire de l’empire romain d’occident mis à jour dans le monde, est le trésor monétaire de la villa gallo-romaine de Chaillouet, découvert à Troyes en 1995, lors de fouilles : une amphore remplie de 186.200 pièces de monnaie : 102 kilos de pièces de cuivre de type Antoniniami, de 11 à 19 m/m de diamètre et de 0.3 à 2 m/m d’épaisseur, à l’état de conservation excellent et degré d’usure limité.

 

Peu de lieux ont fourni une nomenclature aussi longue et aussi variée depuis Pline (1er siècle) jusqu’à nos jours, comme nom sur les monnaies mérovingiennes et carolingiennes appliqués à la ville de Troyes, au pays tricasse ou troyen. La liste est longue et variée : Tricas, Tiecas civitas, Trecens, Trecasi civi, Tricas civitate, Trecasse, Tricis…

 

Ces monnaies conservèrent le nom de « Triens », nom d’un poids romain et d’une monnaie romaine valant le tiers de l’as. On les appelait aussi « tiers de sou ». Le nombre des types des « Triens » d’or portant le nom de la ville de Troyes est très grand. La fabrication de la monnaie, pendant la période franque, se faisait surtout en or. On frappa aussi des deniers ou « saïgas » d’argent : Tricas Civi. Il y avait encore, aux temps mérovingiens, à Arcis, à Brienne, à Riceys, à Vendeuvre et à Virey-sous-Bar, des ateliers monétaires : Arciaca, Brienna, Riciago, Vindovera, Vriaco vico.

 

L’activité de la Monnaie de Troyes est restée ouverte pendant 18 siècles, dont 12 pour les rois, de l’époque mérovingienne (du V° au VIII° siècle) à la veille de la Révolution, en 1772.

 

Au moyen âge, la Monnaie, le droit de battre monnaie est un droit régalien, essentiellement lucratif : il est le monopole du roi, des princes qui en tirent de gros profits. La Monnaie est une industrie que le prince fait fructifier en décriant, en envoyant à la fonte les monnaies anciennes, les monnaies de ses prédécesseurs, sa propre monnaie, faute d’autre source de métal précieux, et en émettant des monnaies de poids, d’aloi ou de valeur moindres que les précédentes, ce qui explique les mutations, les dévaluations constantes à cette époque. A des périodes de décadence, des seigneurs ambitieux se sont purement et simplement arrogé le droit de battre monnaie.

 

Les XI°, XII° et début du XIII° siècle marquent l’apogée de la monnaie féodale de Troyes. C’est l’époque des Foires de Champagne, qui ont donné un renom durable à la monnaie champenoise. Il n’y a d’ailleurs que la monnaie frappée à Troyes qui soit célèbre à l’époque.

 

 L’Hôtel des Monnaies de Troyes est considéré à partir de 1306, comme atelier monétaire du Roi.

 

Dès le début du XIV° siècle, en 1304, Philippe le Bel reconnut la nécessité de battre monnaie dans une ville qui était l’un des plus importants marchés financiers du temps. Le trafic des marchands et des banquiers, qui faisait la prospérité de Troyes, nécessitait un apport abondant et constant d’espèces monnayées que seul pouvait fournir un atelier ouvrant sur place.

 

En mai 1429, Charles VII faisait son entrée à Troyes. Dès le mois d’octobre il fit forger monnaie à son nom et à ses armes dans l’atelier de Troyes. Sous Louis XII apparait le « teston », appelé ainsi parce qu’il reproduisait au droit la tête du roi.

 

L’atelier monétaire de Troyes a connu 2 emplacements successifs : le premier, jusqu’en 1340, situé dans la tête du « Bouchon de Champagne », correspondait à l’implantation gallo-romaine de la Cité, tandis que le second, jusqu’en 1772, dans la partie haute de la ville, a fait suite au développement économique de Troyes (Foires de Champagne, draperie, papeterie, tannerie…). Le premier, était 11 rue Boucherat (anciennement rue Vieille Monnaie et rue du Flacon), le second, 52 à 58, rue de Pontigny, devenue rue de la Monnaie.

 

Il y a eu 72 « monnayers » à Troyes, dont 18 veuves de « monnayers ». Les principales familles étaient représentées : celles des Hennequin, Dorigny, Mauroy, Le Boucherat, Marisy, la famille Rondot, Mathieu Tillet, François-Nicolas Sourdat… A noter également Sadoch Bourgeois, ouvrier en la monnaie, grand-père de Marguerite Bourgeois, fondatrice de l’enseignement du français à Montréal (Canada, au XVII° siècle).

 

La fabrication était soumise à une surveillance stricte par un contrôleur (contregarde), aidé par des juges-gardes. Ensuite venaient le graveur, l’essayeur, un procureur et un greffier, des huissiers, tous titulaires d’un office. Ils avaient le droit de porter l’épée au côté. Pour l’exécution des tâches relatives à la frappe, on trouvait des "monnayers", ajusteurs et des tailleresses. Ils bénéficiaient tous, depuis le XIV° siècle, de nombreux privilèges. Toutefois pour occuper le poste de monnayeur, il fallait être « d’estoc et de ligne ».

 

Il fallait un signe de reconnaissance sur les monnaies frappées dans un atelier. Une ordonnance du 11 septembre 1389 prescrit pour Troyes un point secret sous la quatorzième lettre de la légende. En 1540, François 1er instaure une lettre complémentaire. Troyes adoptait le «  ». Henri III, en 1549, institue le millésime obligatoire pour mieux surveiller et identifier l’année de fabrication.

 

Les monnaies étaient, jusqu’au XVI° siècle, frappées au marteau. Le balancier améliora la rotondité des monnaies, mais il fallait de 8 à 16 ouvriers. On utilisa alors la force animale de 4 chevaux pour entraîner  un moulin et des roues dentées destinées au laminoir. En 1686, la Monnaie de Troyes reçut un équipement inventé par l’ingénieur Castaing, destiné au marquage sur la tranche des monnaies d’or et d’argent. 

 

Nous avons dans notre Musée Saint-Loup, quelques spécimens très rares de monnaie battue dans notre atelier Champenois, pour la plupart au nom, voire à l’effigie de nos souverains Français.

 

Monnaies frappées à Troyes :

 

Aux temps carolingiens, comme sous les rois de la première race, Troyes conserva son atelier monétaire : Pépin-le-Bref (751-768), Carloman (768-771), Charlemagne (768-814), Charles-le-Chauve (840-877), Louis-le-Bègue (877-879), Charles-le-Gros (881,888), Charles-le-Simple (893-923) ont battu monnaie à Troyes. Toutes les monnaies étaient frappées au coin royal et la légende porte Trecas Civitas. Sous leurs successeurs, et jusqu’aux Comtes de Troyes et de Champagne, furent conservés les mêmes droits que les rois de France.

 

Sous ses Comtes, Troyes vit toujours fonctionner son atelier monétaire : Robert de Vermandois (940-943) fit frapper monnaie en son nom. Les types troyens, frappés sous Eude 1er (980-996) et le Comte Eudes II (1004-1037) sont toujours des monnaies au type carolingien : Trecas civi, Meidis, Gracia di rex. Thibault I (1063 1090) : Petus Episcopus. Hugues (1093-1125) et Thibault II (1125-1152) : Trecas Civitas, Beatus Petrus et portant « Petus Episcopus, Beatus Petrus », qui doivent leur origine à un traité spécial passé entre les comtes et le chapitre de Saint-Pierre. Henri I (1152-1181) : Henricus Comes. Henri II (1184-1197) : Henri Comes, Trecas Civitas. Ce dernier, pour les besoins de la croisade, fait frapper une monnaie de billon (croix pâtée, ½ fleur de lys Comes Henricus). Thibault III (1197-1201) : Tebau Comes. Thibault IV (1201-1224) : Tebav Comes. Charles 1er d’Anjou (1227-1285) : denier d’argent, croix pattée du revers en creux sur l’effigie du Prince. Guillaume de Villehardouin (1246-1278) : denier rare de 1258, avec la tête du prince, les cheveux mi-longs, bouclés.

 

En 1307, Philippe-le-Bel publie des ordonnances concernant les monnaies qui sont fabriquées à Troyes. La monnaie de Champagne avait une grande réputation. Elle circulait par tout le royaume de France et à l’étranger. Transportée en Italie, elle fut imitée à Rome. Sous Charles VI-le-Fou (1380-1422), production importante : doubles tournois de 1386 à 1422, deniers tournois de 1391 à 1422, mailles tournois 1386-1387, niquet (grand lys sous une couronne) et demi-niquet (lys non couronné) en août 1421. Sous ce roi, la reine donna au duc Jean, au nom du roi, plein pouvoir de faire battre de la monnaie d’or et d’argent à Troyes. Pendant son séjour à Troyes en 1419, Charles VI demanda de fabriquer 2.000 marcs d’argent pour être employé aux fortifications. En juin 1420, Henri V prélève 2.000 francs de revenus par mois à prélever sur le produit de la monnaie de Troyes. Charles VII (1422-1461) : pièce frappée avec 1 lys en tête des légendes. Louis XI (1461-1483) : espèces très incomplètement connues. Charles VIII (1483-1498) : écu et demi-écu avec la couronnelle, remplacés en 1494 par une fleur de lys. Louis XII (1498-1515) : en or : écus sols et au porc-épic, en argent : ½ gros, douzains, ludovicus, en billon (deniers tournois). François 1er (1515-1547) : pour reconnaître les produits de l’atelier de Troyes, empreinte de S. Ecus sols en or, testons en argent, Des liards et des doubles tournois (3 fleurs de lys, croix blanche) de 1541 à 1547.

 

Henri II (1547-1559) : pas de liards à l’H couronné, pas de tournois au nom d’Henricus II. Charles IX (1560-1574) : à partir d’août 1561, espèces frappées au nom de Carolus (auparavant les espèces furent encore frappées Henri II). Ecus de 1564 à 1574. Teston et demi-teston : jusqu’en 1570, le portrait du roi reste enfantin, ensuite il est légèrement barbu. En 1564, est frappé à Troyes « des liards au coin du roi pour accommoder le peuple de menue-monnaie ». Henri III (1574-1589) : teston en argent, très, très rare, encore à l’effigie de Charles IX. Jusqu’en juillet 1575, les espèces sont encore frappées au nom de Carolus. Double sol et sol parisis : sous une couronne, la lettre H entourée de 3 lys. Les monnaies de cuivre pur furent émises pour la première fois sous Henri III, seulement en tournois, doubles et simples. Henri IV (1589-1610) : la ville de Troyes étant passée au pouvoir du parti des Guise en 1588,  les espèces sont toujours au nom de Henri III jusqu’en 1590. Ecu et demi-écu au soleil en or (écusson de France Couronné et surmonté d’un soleil). Quart et huitième d’écu en argent, avec croix fleurdelisée, écusson couronné. Du 5 avril 1594 au 14 mai 1610, depuis la reddition de Troyes à Henri IV et jusqu’à sa mort : écu et demi-écu au soleil en or : la croix du revers formée de 4 H prolongée par des lys. Demi-franc et quart de franc en argent : croix feuillue et fleurdelisée centrée d’un H. Douzain de 1594 à 1597 : écusson accosté de 2 H, parfois couronnés, cantonnés de 2 lys et de 2 couronnelles (quelquefois de 4). Louis XIII (1610-1643) : 1614, écu et demi-écu d’or au soleil, demi-franc et quart de franc en argent, buste de Louis XIII enfant puis adulte, au revers croix fleurdelisée avec la lettre L. Louis XIV (1643-1715) : en 1651 sortent de l’Hôtel des Monnaies de Troyes, les premières espèces d’or et d’argent à l’effigie de Louis XIV, alors roi de France depuis 7 ans. Double louis, louis et demi-louis, en or, tête du roi laurée. Monnaie d’argent : écu blanc ou louis d’argent : tête du roi surmontée d’un soleil, au revers, croix de 8 L couronnée.   La monnaie de Troyes est supprimée pendant 10 ans, de 1680 à 1690. En 1691, pièces de 4 sols : 2 L entrelacées, accompagnées de 3 lys et surmonté d’une couronne. En 1692, pièces de quinze deniers, croix aux 8 L couronnées. Liards en 1693, Louis XIV est représenté âgé et cuirassé. 1702 : pièces de 5 sols, buste du roi coiffé d’une perruque et cuirassé, au revers insignes de la royauté en sautoir accompagnés d’une couronne de 3 lys. De 1709 à 1715 : en or, double louis, louis et demi louis,  en argent écu blanc aux 3 couronnes. Louis XV (1715-1774) : en or, double louis, louis et demi louis. Louis  avec croix de Malte au revers, 3 lys dans un petit rond, buste du roi. En argent, écus (de 5 livres), demi-écus, quarts, dixièmes d’écus, vingtièmes d’écus. Ordonnance de 1718 : pièces de 20 et 10 sols. De 1719 à 1721, sols, demi sols et quart de sols ou liards : un buste enfantin du roi tête nue, cheveux longs avec au droit la légende « Ludivicus XV Dei Gratia », et au revers un écusson de France entouré de la légende « Franciae et Navarre Rex3 ». En 1720 : louis aux 2 L couronnées. En 1726, Louis du type Mirliton. En 1738, double sol et Sol, monnaies de billon. 1740 : Louis, Demi-Louis du type au bandeau : la tête du roi, déjà virile et non plus enfantine, est ceinte du diadème (ou bandeau royal, d’où son nom). Fermeture officielle de l’atelier de février 1758 à novembre 1759, chômage pendant l’année 1766 et l’année 1768. 1770 : Louis du type dit à la vieille tête : la tête du roi aux traits vieillis, ceinte, d’une couronne de laurier. 1772 : fermeture officielle de l’atelier.

 

Nous devons donc souligner le rôle important que joua la Monnaie de Troyes, qui a été pendant des siècles un facteur de la prospérité économique de la ville. Elle a été aussi le reflet de cette prospérité et le signe incontestable de la grandeur de Troyes, capitale de la Champagne.

 

       Voir aussi le chapitre : " Les Troyens banquiers de la France ".


                                     

Trésor de Chaillouet
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