Religion



Les grandes orgues de la Cathédrale


« Chef-d’œuvre dans un écrin de luxe, elles font ressortir la poésie de la sculpture, la magnificence de l’architecture du superbe monument. Parmi les pierres qui chantent, leurs claviers lancent vers le ciel les cris de détresse ou les humbles prières des fidèles prosternés sur les froides dalles de l’immense édifice. Elles relient l’homme à Dieu, la Terre au Créateur, la vallée des larmes au Paradis… » (Marcel Lagrange).

 

         Dom Gassot du Deffens, 47° abbé du grand monastère de Clairvaux, fondé par Saint Bernard en l’an de grâce 1115, voulait redonner à son abbaye sa célébrité d’antan et, pour ce faire, entreprit d’exécuter de grands travaux, en particulier aux orgues. Sur son ordre, Dom François Fauvre, prieur de Notre-Dame des Rosiers et procureur de l’abbaye, conclut le 30 janvier 1731 avec le facteur d’orgue Jacques Cochu, de Châlons-sur-Marne, un important marché dans lequel l’entrepreneur s’engageait, pour 1.550 livres, à réparer et à améliorer l’orgue existant. Mais ces travaux ne donnèrent pas satisfaction à Dom Gassot et, le 20 juillet 1732, Dom Fauvre et Jacques Cochu concluaient un deuxième marché bien plus important que le premier. Pour 6.000 livres, en effet, le facteur d’orgues de Châlons acceptait de construire un grand orgue qui devait être terminé avant 5 ans. Cette réalisation qui serait étonnante, d’après les promesses du constructeur, devait comporter : 6 soufflets de bois de chêne bien étanches, 4 parties de sommier pour y poser les jeux, 1 clavier de 50 touches d’étendue en bois de chêne, plaqué d’ébène, les feintes étant plaquées d’ivoire. Et aussi tous les mouvements et abrégés : montre d’étain, polie et brunie, bourdon, flûte, 8 pieds, petit bourdon, cornet de 27 touches d’étendue, prestant, grosse tierce, nazard (jeu d’orgue), quarte de nazard, petite tierce, cymbale, bombarde, trompette cromorne, clairon, voix humaine, cornet de récit de 27 touches d’étendue, trompette de récit, écho, tremblant à vent perdu et tremblant à vent lent. Le marché ne prévoyait  ni le buffet, ni la menuiserie, ni la sculpture, ni les ouvrages en fer. Ce grand orgue, chef d’œuvre de l’époque, fut terminé en 1736. Dom Nicolas Similiart, religieux profès de Signy, et organiste, et Bénigne Balbastre, « organiste de la cathédrale et autres églises de Dijon », experts nommés par les religieux de Clairvaux, passèrent 4 jours à examiner le travail de Jacques Cochu. Déclaré bon et recevable le 29 mars 1736, le facteur d’orgue en donna quittance finale le 7 avril. Malheureusement, le monastère ne put jouir de son orgue si remarquable que pendant 56 ans, au cours d’une histoire brève et tragique comme celle de la révolution naissante. Le 10 février 1792, l’abbaye passa entre les mains de mauvais maîtres et l’administration de l’époque se réserva l’orgue pour le faire enlever. Des affiches furent apposées dans le district de Bar-sur-Aube et dans les villes importantes des départements voisins : l’orgue de Clairvaux était à vendre, l’adjudication devait se faire à Bar-sur-Aube le 10 septembre 1792. Or, dès le mois de mars 1791, Milony,  architecte à Troyes, proposait déjà l’achat  du superbe orgue de Clairvaux qui ne pourrait qu’ajouter à la décoration et à la mélodie du chant, et dont la place pouvait être réservée au-dessus de la porte de la croisée nord de la cathédrale sur une tribune dont le dessous ferait tambour. Par la même occasion, l’architecte troyen proposait de placer le maître-autel de la cathédrale dans le milieu de la croisée de l’église. Reprenant l’idée de Milony, les marguilliers de l’église cathédrale de Troyes, émus de la mise en vente de l’orgue de Clairvaux, adressèrent leurs doléances à l’administrateur dès le 10 août 1792. « L’orgue de Saint-Pierre, placé mesquinement entre 2 piliers de chœur ne répondait pas à la beauté du vaisseau, la vente de l’orgue de Clairvaux ne produirait qu’un mince bénéfice, sa véritable place était à la cathédrale, dans une tribune qui serait construite au-dessus de la porte principale ». L’évêque constitutionnel Augustin Sibille signa la requête des marguilliers. Le Directoire du département la renvoya au Directoire du district de Troyes. Ce dernier, considérant que l’orgue de Clairvaux « devait être mis au nombre des ouvrages d’art, dont la conservation était dans les principes et les lois de l’Assemblée Nationale, que d’ailleurs la vente annoncée ne produirait  à la nation qu’une somme médiocre », consentit à la demande des marguilliers, à la condition, toutefois, que la Fabrique supporterait les frais. En contrepartie, il autorisait le 17 août, la vente du vieil orgue de St-Pierre endommagé lors de l’incendie de 1792, pour couvrir une partie de la dépense. Cependant, l’autorisation de la vente n’ayant pas reçu l’accord du ministre, le Directoire du département décida le 11 février 1793, que l’orgue serait vendu à Bar-sur-Aube, suivant la forme prescrite par la loi. La vente fut fixée au 12 mars, date à laquelle l’orgue fut adjugé moyennant la somme de 12.300 livres au sieur Bernard Lécuyer, entrepreneur de bâtiment à Bar-sur-Aube, sous le cautionnement du sieur Joachim Girardon. Le 24 mars, le ministre donnait son accord à la vente de l’orgue à la commune de Troyes, à la charge pour elle de pourvoir aux frais de placement et de déplacement. Les citoyens Lécuyer et Girardon résilièrent la vente qui leur avait été faite, et le 19 juin, le Directoire du département « autorisa la municipalité de Troyes à faire transporter l’orgue de l’église de l’abbaye de Clairvaux dans celle de St-Pierre de Troyes, à charge pour elle d’entretenir le dit orgue, sans néanmoins que cela puisse nuire au droit de propriété de la nation sur le dit orgue, dont la municipalité de Troyes ne pourra disposer en aucune manière sans l’approbation de la Nation ». René, fils de Jacques Cochu, facteur d’orgues, comme son père, à Châlons-sur-Marne, fut choisi pour amener l’orgue à Troyes. Il le démonta en numérotant toutes les pièces et les fit déposer dans la cathédrale. Malheureusement, les graves événements qui se succédèrent alors firent oublier l’orgue pendant de nombreuses années et la poussière et l’humidité lui portèrent de graves atteintes. Enfin, le 19 Brumaire an XII (11 novembre 1803), la Fabrique de St-Pierre se trouva légalement constituée et son premier acte fut de décider la restauration de l’orgue. L’Archevêque-évêque, le préfet, le maire se mirent d’accord pour seconder ses efforts. Mais, les ressources manquaient et il fallut en appeler à la générosité publique. Le 23 avril 1804, une souscription fut ouverte « pour la restauration et l’établissement de l’orgue de Clairvaux en l’église-cathédrale St-Pierre de Troyes ». Prélevant une partie de la vente de la coupe de la réserve de ses bois, la Fabrique décidait, le 21 août 1805, la construction d’une tribune destinée à supporter l’orgue. Le Conseil de Préfecture accepta le devis présenté, établi par Gueffrin et Petit-Laudereau, architectes à Troyes. Pierre-César Vivien, autre architecte troyen et Jean-Baptiste Vaudé, entrepreneur de bâtiments, devaient assurer les travaux pour une somme de 34.567 frs 81 centimes. Quelques marguilliers avancèrent des fonds, ce qui permit de commencer la construction sans attendre le résultat de la collecte publique. René Cochu, de son côté, entreprenait la restauration de l’orgue. Son devis de 11.050 frs, présenté le 2 janvier 1807, fut approuvé. Le 3 décembre suivant, il s’engageait à « réparer l’orgue, à le poser sur la tribune et à le mettre en état d’être touché le 20 avril suivant au plus tard ». En mai 1808, la tribune était terminée et l’orgue rétabli dans sa beauté première. M. Nicolas Sejean, organiste de l’église St-Sulpice à Paris, vint examiner le travail de Cochu et admira particulièrement la disposition ingénieuse de la soufflerie « qu’un seul enfant pouvait mettre en mouvement au moyen d’un unique balancier ». Le buffet de l’orgue de dimensions imposantes, 14 mètres de hauteur sur 15 mètres de largeur, cachait malheureusement en partie la splendide rosace du portail central. Il comportait 5 tourelles, la tourelle centrale supportant sur sa corniche la statue du roi David jouant de la harpe. Sur le haut de cette tourelle  figurait le blason de Dom Gassot de Deffens, abbé de Clairvaux. Sur le plus gros tuyau de montre de la tourelle centrale, on peut encore lire : « L’an second de l’Empire de Napoléon 1er ». Sous l’épiscopat de Mgr Louis-Appolinaire de la Tour du Pin Montauban, Archevêque-Evêque de Troyes, la Préfecture de M. Claude Brûlé, la mairie de M. Joseph Bourgoin et les administrateurs de la Fabrique, cette tribune a été construite l’an 1806 sur les devis de M. Jean-Baptiste Vaudé, fils, dont l’exécution a été suivie par M. Vaudé son père et par lui. Les orgues de l’abbaye de Clairvaux, faites an 1735 par Jacques Cochu, natif de Châlons-sur-Marne, ont été placées sur cette tribune par M. René Cochu, petit-fils du précédent, qui a adapté la soufflerie dont il a perfectionné le mécanisme et ajusté plusieurs jeux ». La Fabrique nomma alors un organiste le 15 juillet 1808. Son choix tomba sur Sébastien Jully. Son fils Auguste lui succéda  en 1826, puis en 1844 M. Grégoire Uffoltz, qui créa à Troyes en 1846, un cours de chant public et gratuit et, par la suite, la société de l’Orphéon. Paul Uffoltz, son fils fut nommé organiste en 1858. En 1876, chaudement soutenue par M. Vervoitte, Inspecteur Général des Maîtrises de France, la Fabrique de l’église-cathédrale décidait de restaurer le grand orgue. De nouvelles combinaisons furent introduites, en particulier le « tonnerre ». Les anciens claviers furent remplacés par des claviers plus modernes. Le ton de l’orgue était toujours l’ancien ton de chapelle, ce qui obligeait les organistes à une transposition continuelle. Sur intervention de grands organistes parisiens : Guillaume Dallier, Widor et même de compositeurs comme Massenet et Léo Delibes, la mise au ton normal fut votée. Les travaux nécessaires furent exécutés par un facteur d’orgues de Rambervilliers (Vosges), M. Jacques Jean-Pierre. L’inauguration de l’orgue restauré eut lieu le 8 mars 1877. L’exécution des divers morceaux était placée sous la direction de M.Verwoitte, alors Inspecteur principal de la musique religieuse  dans les maîtrises et les Ecoles Normales de France.  La musique du 79° régiment de ligne prêtait son concours, ainsi que l’Orphéon de Troyes, l’Ecole Normale, les élèves des Séminaires et du Collège St-Bernard. Ainsi, les grandes orgues de l’église cathédrale de Troyes, munies d’une soufflerie électrique à aspiration pouvant contenir 12.000 litres d’air, de 3 claviers et d’un pédalier comportant 3.430 tuyaux et 54 jeux, venaient en bonne place à côté des orgues renommées de Paris : Notre-Dame, St-Sulpice ou St-Eustache.

 

Organistes des grandes orgues de la cathédrale de Troyes suivants : 1917-1921, le chanoine Zephirin-Auguste Duchat, 1921-1971 René Saint-Pé, qui a joué pour mon mariage, 1971-1997 mon camarade l’abbé Guy Barbier (en 1965, il crée l’Ensemble vocal « Maurice Emmanuel », et est le fondateur des « Amis de l’orgue de la Cathédrale »). Depuis 2000, c’est mon ami Michael Matthès, l'un des plus renommé de France, lauréat de la Fondation G. Cziffra en 1986, Médaille d’Or 1987, plus jeune soliste de Radio-France, ayant donné son premier récital à Notre-Dame de Paris, ayant une carrière de concertiste international. Les plus grands festivals l’invitent dans le monde entier : Villa Medicis, Istanbul, Athènes, Berlin, République de Russie, Darmstadt, Aix-en-Provence, Montpellier, Avignon... Soliste, il joue et enregistre, sous la baguette des plus grands chefs, avec l’Orchestre de Paris, l’Orchestre National de Lyon, l’Orchestre de l’Opéra Bastille et l’Orchestre Colonne. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des plus brillants représentants de la tradition de la grande école d’orgue française du XX° siècle fondée par Marcel Dupré. En 1991, il interprète en première mondiale, l’intégrale de l’œuvre pour orgue de Marcel Dupré en neuf concerts. Auteur de nombreux enregistrements discographiques (Deutsche Grammophon Gesellschaft, Denon, Editions Passions), il dispense régulièrement des master-classes sur le XX° siècle, en France et à l’étranger. Michaël Matthès, titulaire des Grandes Orgues de la Cathédrale, est professeur au Conservatoire National « Marcel Landowski » et professeur intervenant à l’Ecole Supérieure de Commerce de Troyes. C’est lui qui bénévolement, a accepté d’interpréter une improvisation aux orgues de la Cathédrale, qui accompagne le DVD « Eglise Saint-Jean-au-Marché de Troyes », et où vous pouvez voir ce grand maitre en pleine action.

 

« Le célèbre monastère de Clairvaux a perdu ses moines et leurs oraisons, mais son orgue, d’une valeur inestimable, demeure et continue de chanter les louanges de l’Eternel ».  

Jeanine Bury-Conrad et Michael Matthès pensent organiser en 2019 un festival d'orgue à Troyes, avec un tremplin destiné aux jeunes artistes.

En janvier 2019, mon ami Michael Matthès quitte les grandes orgues de la cathédrale, pour celles prestigieuses de Saint-Germain-l'Auxerrois de Paris, d'autant plus que cette église remplace provisoirement, depuis son l'incendie, Notre-Dame de Paris. De plus, lors d'un déplacement de 3 semaines aux USA, Michael jouera sur l'un des plus grands orgues du monde, à la cathédrale St Patrick de New-York. BRAVO !

 

 

 

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Michael Matthes on the Rodgers 538


Extrait du concert du 12 février 2012 à l'église de la Madeleine


Michaël Matthes à l'orgue Dom Bedos de Celles, extrait du concert donné le 20 Août 2014