Métiers anciens




Les Voyeurs


Au XIII° siècle,  de nouvelles fonctions sont créées : ce sont celles du « voyeur » des habitants de Troyes. Ces fonctions sont laconiquement définies dans les lettres d’institution de Thibault V, qui s’y qualifie : « par la grâce de Dieu, roi de Navarre, de Champagne et de Brie », et qui les date de « Nuits, l’an 1270, au mois d’avril, le prochain dimanche d’après Pâques ». Le roi octroie à « ses hommes et à ses femmes » de Troyes, le droit d’élire un prudhomme qui, avec celui qu’il choisira, connaîtra des dépenses et recettes de la chaussée, en spécifiant que les 2 voyeurs « connaîtront du guet de la ville, le mèneront à son profit et en règleront à son profit les recettes et les dépenses ».

 

         Sous le nom de « voyeur », il ne faut pas voir un fonctionnaire chargé seulement de l’entretien des chemins, mais bien la concession d’un droit nouveau accordé aux habitants de Troyes, celui de gérer eux-mêmes ou par un mandataire de leur choix, toutefois avec l’assistance d’un officier souverain, la partie la plus importante de leurs intérêts communs : la voirie et la garde de la ville. Les voyeurs sont donc administrateurs et comptables

 

Cette création était donc un pas de plus vers la liberté.

 

Le voyeur avait la police des bâtiments et celle de la voirie. Il ne devait souffrir sur la voie publique aucun obstacle, aucun encombrement. Devant faire tenir les chemins libres, il percevait les amendes dues par les contrevenants. Un droit de chaussée ou de voirie, perçu par char ou charrettes, constituait le chapitre principal des recettes de son budget. Ses dépenses étaient l’entretien des rues de la ville et des chemins, qui mettaient Troyes en communication avec l’extérieur, et les frais qu’entraînait la garde de la ville, mais encore sur la banlieue qui avait environ 4 lieues de rayon. Les voyeurs étaient donc administrateurs et comptables.

 

En concédant au « voyeur » la connaissance du guet de la ville, c’était ajouter à ses attributions de voirie le droit de surveillance et de direction sur la garde de la ville, qui, dès ce moment, paraît être confiée aux habitants seuls. Cette concession donnait au voyeur une certaine autorité sur tous les habitants de la ville de Troyes. Car les hommes, dépendant des justices seigneuriales qui divisaient la ville, relevaient nécessairement du voyeur, en ce qui concernait la garde de la ville, lien commun entre tous les habitants.

 

La situation de Troyes, au milieu des marais, rendait nécessaire la création de cet office, et les services, que la population troyenne pouvait en attendre, ussent été trop limités si son autorité eut été renfermée dans l’enceinte fortifiée. Dès l’origine de l’institution, les 2 voyeurs travaillent conjointement à l’amélioration de la voirie, en dehors de la ville et sur toutes les avenues qui traversent les marais avant d’aborder aux portes de la cité.

 

La fin du XIII° siècle ne trouve donc à Troyes, comme fonctions administratives, que celles de « voyeur des habitants », fonctions exercées collectivement avec celles qui étaient confiées au « voyeur du roi », nommé pour la ville de Troyes. Ces fonctions, qui s’exerçaient au-dedans et au dehors de la ville, prirent de l’importance dans le cours du siècle suivant et, bientôt, le voyeur est appelé à exercer les mêmes droits, les mêmes prérogatives que ceux dont un maire aurait pu être revêtu.

 

Dès le XIV° siècle, on ne peut construire, dans la ville de Troyes et même dans les faubourgs et sur la voie publique, sans appeler les voyeurs.

 

L’autorité du voyeur de la ville et de celui du roi, fut contestée en 1407 par les religieux de Montiéramey, seigneurs du faubourg Saint-Martin. Ceux-ci faisaient édifier un four placé sur la voie commune de Saint-Antoine, et le bâtiment avait été dressé sans prévenir les voyeurs. Le bailli donna gain de cause aux voyeurs, rappelant que nul dans la ville et les faubourgs de Troyes, ne pouvait édifier, sans prévenir les voyeurs et sans avoir payé le droit dû à cette occasion.

 

Les besoins de la population, en se développant, firent attacher, aux fonctions de voyeur des habitants, certaines attributions. Cette branche de l’administration de la cité fut permanente et fonctionna près de 3 siècles, à côté de la mairie et de l’échevinage installé en 1493. Ce fut l’administration municipale la plus populaire. Les comptes du voyeur étaient rendus dans une assemblée générale des habitants, convoquée au son de la cloche et tenue au Beffroi, le 11 juin de chaque année, jour de la Saint-Barnabé. Le voyeur recevait ses instructions de cette assemblée. Le voyeur du roi et celui de la ville, recevaient chaque année, une robe de livrée à 2 couleurs (bleu et violet), à la charge de porter ces robes.

 

Cependant, les fonctions de voyeurs furent absorbées peu à peu par le conseil de ville, (qui fut spontanément élu à partir de 1354) pour gérer les travaux aux murailles et aux fossés. Celui-ci fut un corps de 18 à 37 élus, à qui leurs concitoyens firent plus volontiers confiance, car  ils étaient plus nombreux et avaient des compétences plus étendues, bien qu’ils dépendissent plus étroitement du bon vouloir royal. En effet, aucune charte ne leur accordait de privilège, contrairement au voyeur. La ville resta une communauté et non une commune.

 

Bientôt, les recettes de la voirie et celles du conseil de ville, « les deniers communs », furent confondues, à partir de 1447, et les maîtres des œuvres contrôlèrent les travaux des voyeurs à partir de 1431. Le conseil de ville, vu le peu d’importance des recettes de la voirie, prit à sa charge des travaux de pavage, de dérivations d’eau (1432-1434), puis de vannes et écluses à partir de 1458. Jusqu’en 1462, le voyeur du roi, dans comptes de la voirie, occupe la première place. A partir de cette date, c’est le voyeur de la ville, alors Jacques Mauroy. Depuis, ce rang a toujours été ainsi gardé entre les 2 voyeurs.

 

         Les voyeurs devinrent dès 1430 de simples exécutants des désirs du conseil qui, transformé en échevinage en 1470, prit régulièrement à son compte les décisions de réparer les voies, ponts, ruisseaux à partir de 1483.

 

Le bail à ferme des revenus des droits de passage, « les deniers de la chaussée », devint à partir de 1506, l’affaire des maires et échevins.

 

En 1517, le Conseil décide que la veille de Noël, une quarte d’hypocras (apéritif) sera envoyée au voyeur.

 

En 1525, le Conseil ordonne aux voyeurs de la ville et du roi de faire construire « des retraits » dans les maisons où il n’en existe pas.

 

En avril 1580, le Conseil défend qu’il soit construit des caves sans la visite du voyeur. On se plaint alors de ce que l’on creuse des caves sous les rues et places publiques, sans consolider par des voûtes. De plus en plus l’influence monarchique pénètre dans l’administration des villes.

 

 La ville de Troyes eut toujours son voyeur, mais dans le cours du XVI° siècle, Richelieu fit du voyeur de la ville un agent subordonné au maire et aux échevins.

 

Le voyeur pour le roi a succédé à celui du comte, après que la Champagne ait été rattachée au domaine royal.

 

En 1604, le voyeur du roi veut, aux assemblées de Pâques et de la Saint-Barnabé, une place officielle. Il obtient un bas escabeau placé en dessous des conseillers de ville, mais à la condition de revêtir sa robe mi-parties aux couleurs de la ville.

 

Pour élire leur voyeur, et souvent même le réélire, contrôler les comptes, décider les travaux, les habitants prirent l’habitude de se réunir chaque année au Beffroi, entretenu par les mêmes voyeurs. En principe, les voyeurs élus par l’Assemblée générale changent souvent. Ceux que désigne le roi gardent bien plus longtemps leur charge.

 

Les voyeurs élus pour la ville sont des bourgeois, souvent des marchands, même s’ils ont des prétentions à la noblesse. Ils sont parfois choisis dans les mêmes familles qui forment des sortes de dynasties : Le Tartrier, Léguisé, Marisy, Mauroy…

 

Les voyeurs pour le roi sont des nobles. Cependant, Jacques Mauroy est passé de l’un à l’autre office. Ces deux voyeurs reçoivent des gages de la part de la ville, et sont aidés d’un clerc.

 

Les deux organismes coexistèrent longtemps, l’assemblée générale annuelle continuant à élire le voyeur du Beffroi, et le conseil de ville, puis l’échevinage, se réunissant tout au long de l’année. Au cours du XVI° siècle, tous deux perdirent de leur pouvoir au profit de l’administration royale. 

 

En 1652, les voyeurs doivent être originaires de la ville.        

 



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