La Politique



Aux électeurs (1823)


Je ne fais que transcrire « Deux mots aux électeurs », écrits par M. Fiot, juge à Arcis-sur-Aube, membre de la Légion d’Honneur. A la suite de sa prise de position, le « Constitutionnel » du 4 mai 1823 a retiré à l’auteur, sans explication préalable, l’instruction des procès criminels dont il était chargé depuis 6 ans.

         « Electeurs, le vœu que j’exprimais à la fin des dernières élections, j’oserai le répéter au moment des élections nouvelles : « N’oubliez pas la Charte, messieurs, rallions-nous tous au nom du Roi et de la Charte ». Ces paroles, inspirées par l’amour du bien public, ont été jugées séditieuses, qui le croirait ! et le ministère m’a frappé, pour m’avertir qu’au nombre des devoirs du magistrat, il plaçait aussi le silence. Pourquoi donc la magistrature ne prendrait pas une part active au mouvement de la société réunie, pour veiller à ses intérêts les plus chers ? Ses serments de fidélité au Roi et à la Charte, la nature de ses fonctions ne lui font-ils pas, au contraire, un devoir de rappeler ouvertement à qui les oublie, les institutions protectrices du trône et des libertés publiques ? Il y a 4 ans, on poussait déjà le mépris des hommes et l’oubli de nos droits électoraux, jusqu’à dire que « les fonctionnaires publics appartiennent au gouvernement qui les paye » (Le gouvernement paie les fonctionnaires, oui, mais qui fournit l’argent ? C’est mon peuple qui me nourrit disait Henri IV), eux qui dans toutes les circonstances, et surtout dans les élections, ne doivent dépendre que de leur conscience. Est-il un Français, véritablement dévoué au roi, qui n’ait pas gémi de ce système de corruption et d’avilissement qui tend à démoraliser la nation ? C’est mal servir le Prince que de détruire les vertus publiques. Lorsqu’elles périssent, l’Etat périt bientôt avec elles. Placé à la tête des intérêts généraux, le Roi ne peut en avoir d’autres que ceux de ses peuples. Son premier devoir est de les rendre heureux, et il recueille leur amour, en échange et en proportion du bien qu’il leur fait. Cette politique est la seule véritable, noble et loyale, comme le caractère français. Sa source est dans la Charte elle-même. Il en est une autre, désastreuse et dévorante comme l’égoïsme qui en est l’âme, qui gouverne non pas pour la masse, mais pour quelques intérêts privés, qui favorise, aux dépens du pays, des partis toujours avides, jamais satisfaits, qui, pour se rendre nécessaire, imaginent de pernicieuses mesures, se présente ensuite comme le seul remède au mal dont elle est l’artisan, et l’aggravant par des mesures plus pernicieuses encore, se fait ainsi un jeu cruel des alarmes des rois et des angoisses des peuples. Elle cherche à isoler le monarque de la nation pour le gouverner lui-même, et lorsque après des moyens empruntés à Machiavel, elle l’a insensiblement dépossédé de l’amour de son peuple, elle lui conseille d’obtenir par la force ce que l’amour ne peut plus lui donner. Voilà la politique dans laquelle se sont engagés les ministres : elle tend à détruire la Charte, et mène droit au despotisme, qui se détruit lui-même et précipite les Etats dans l’anarchie. Electeurs, envoyez des députés courageux se placer entre le trône et les imprudents conseillers de la couronne. Que, réunis à toutes les sommités sociales, ils se plaignent au Roi de l’avilissement dans lequel ils ont jeté la chambre de vos députés, et de la blessure profonde qu’ils ont osé faire à la dignité des pairs de France, pour les punir d’avoir protégé vos droits restés sans défenseurs. Qu’ils s’empressent de lui dire qu’il doit être le père du peuple comme Louis XII, qu’il en a pris l’engagement, facile pour son cœur, en jurant la Charte au pied des autels, qu’ils le supplient de nous délivrer de l’administration qui pèse sur la France, et qui pourrait compromettre jusqu’à notre amour pour lui, en achevant la destruction de nos dernières libertés. Electeurs, gardez-vous de confier un mandat d’une si haute importance aux hommes qui viennent vous imposer des choix au nom des ministres. De véritables députés doivent représenter la nation, et ceux que l’on vous propose de leur part, ne seraient que les représentants des ministres. Accourez tous pour défendre le trône et nos libertés en péril, leur salut est entre vos mains, faites, sans hésiter, à l’intérêt public, le sacrifice de vos intérêts privés, des rivalités de l’amour propre et de toutes les passions qui pourraient vous désunir. N’ayons tous qu’un cœur et qu’une âme pour notre pays. Le poste où nous sommes appelés est un poste d’honneur, où les citoyens ne doivent combattre que de vertu et de patriotisme… Vos députés ne tiennent leurs droits que de vous, et ne doivent les exercer que dans les intérêts que la Charte a créés pour vous. Ces principaux intérêts sont : « l’égalité devant la loi, la liberté individuelle, la liberté des Cultes, la liberté de la Presse et la garantie des biens nationaux ». Par l’influence de la Charte, vous devez trouver dans l’agriculture, l’industrie et le commerce des sources inépuisables de richesse. Vous devez en retour au Roi, le paiement des impôts, vous lui devez aussi, fidélité, amour, respect et reconnaissance. Un de vos devoirs les plus sacrés dérive de ce que le choix que vous devez faire n’est pas pour vous seuls, mais pour votre département, mais pour toute la France, que vous représentez. Ce devoir nous dit, comme la loi dit aux jurés : « n’écoutez ni la haine, ni la crainte, ni l’affection, décidez-vous suivant votre conscience, et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à des hommes probes et libres ». Aucune considération d’avancement, de fortune, de famille, d’amitié, de patronage et de reconnaissance, ne doivent vous toucher au moment de l’élection, et si vous aviez la faiblesse d’obéir à l’un ou l’autre de ces sentiments, et de nommer, sous leur influence des hommes que vous sauriez ne pas convenir aux intérêts du pays, et plus disposés à les compromettre qu’à les défendre, instruits, comme vous l’êtes, des hommes et des choses, et en présence des dangers qui nous menacent, vous seriez plus coupables que des juges et des jurés prévaricateurs, car vous seriez complices des malheurs de 30 millions de Français. … Si vous nommez pour vos représentants des hommes ambitieux, des amis reconnus du ministère, des fonctionnaires publics placés dans sa dépendance, ils feront auprès des ministres leurs propres affaires, et ne feront pas les vôtres. Si vous choisissez au contraire, des hommes libres de l’influence ministérielle, indépendants par position et par caractère, distingués par leur éloquence ou leur patriotisme, des hommes qui aient les mêmes intérêts que vous à défendre, ou qui soient déjà connus par leur fidélité à remplir les mandats que vous leur auriez confiés, Electeurs, par de tels choix, vous conserverez, avec l’estime publique, la jouissance de tous vos droits, et vous aurez bien mérité du Roi et de la Patrie ». 

(La Charte est un écrit regroupant un ensemble d’articles qui définissent les responsabilités des acteurs de l’Etat français – le Roi et les 2 Chambres -, que Louis XVIII a octroyée le 4 juin 1814, mais qui n’a été mise en application qu’en juillet 1815).

 

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