Les Crimes



Elle s’achète un mari



Les parents de Nga Tran Minh appartiennent à la haute bourgeoisie de la société saïgonnaise, dans son Vietnam natal. Elle a une vie faite de luxe et de facilité. Après son baccalauréat obtenu au lycée français, elle trouve en 1966, un emploi dans une compagnie d’aviation américaine. Des tas d’hommes lui font la cour. Nga garde la tête froide. Mais un beau jour apparaît N’Guyen, qui possède une confortable fortune. Elle fait sa connaissance au printemps 1973. Elle a 24 ans et lui 40 ! Ils se mettent en ménage dans un appartement luxueux. « Naturellement, il est hors de question que nous puissions nous marier pour l’instant », décide Nga. Un fils naît en 1974. 30 avril 1975 : Saïgon tombe aux mains des troupes du Nord. Son amant s’envole pour la Californie :« Quand tu pourras, tu viendras me rejoindre avec le petit », lance-t-il à sa maîtresse. Nga est désorientée, elle a peur de la guerre, de la misère. Elle abandonne son logement et se retrouve dans une chambre sordide, avec la charge d’un jeune enfant. Pour le nourrir, elle fait des ménages, sert dans un restaurant. Ses amis ont fui à l’étranger, ses parents ont quitté la ville, et elle ne sait où ils sont, il ne lui reste plus qu’une solution : quitter le Vietnam.

Mai 1977 : Nga se rend au consulat de France, pour faire une demande de visa :« Je regrette, Mademoiselle, pour les autorités vietnamiennes, seules les femmes mariées à un citoyen français peuvent s’embarquer pour Paris ». Elle fait part de son problème à une voisine :« Vous n’avez qu’à vous marier avec n’importe quel Français célibataire. Vous payez un homme pour qu’il vous épouse et puis une fois là-bas, vous divorcez ».

Une ancienne camarade lui prête une petite somme, à laquelle elle ajoute ses économies. En juillet, dans une cantine de Saïgon, son attention est attirée par le jeune serveur Boris Kopatoff. Visiblement, il n’est pas Vietnamien. Elle interpelle l’inconnu :« Vous n’avez pas envie de vous réfugier à l’étranger ? ». Il est à moitié européen, fils d’un père français, d’origine russe, et d’une Vietnamienne, il est célibataire, a gardé la nationalité française, et a l’intention de s’exiler aussi. Nga lui dit :« Rendez-vous ce soir j’ai un marché à vous proposer ». A l’heure dite, elle l’entraîne dans un café :« Je veux que vous m’épousiez, votre prix sera le mien, il me faut absolument quitter le Vietnam, avec mon enfant. Les autorités exigent que je sois mariée à un étranger. Je deviens votre femme, et une fois en Europe, nous divorçons. Bien sûr, il s’agira d’un mariage blanc. D’autre part, je vous donnerai une confortable somme d’argent ». « D’accord, j’accepte ». Boris est payé, le mariage est fixé au 17 juillet. La veille, la jeune femme dîne en compagnie de son « fiancé », dans un restaurant :« Vous savez, je suis plutôt content de vous épouser, vous me plaisez bien ». Boris la prend par les épaules, cherche sa bouche :« Demain, tu seras ma femme, laisse-toi aller ». Elle est décidée à le gifler, à rompre le marché, mais elle doit quitter ce pays. Frémissante de dégoût, elle offre ses lèvres. Le mariage a lieu, Nga obtient son visa, et des places d’avion pour le 28 juillet.

Nga débarque à Roissy. Le couple est alors orienté sur Troyes, dans le foyer Sonacotra de la rue Michelet. Le gîte et le couvert sont gratuits et il leur est même attribué une somme journalière jusqu’à ce qu’ils trouvent une situation. Aussitôt, Nga se met en quête d’un travail, mais ses démarches demeurent vaines. Au fil des jours, les disputes se multiplient :« Après tout, tu es ma femme, tu m’appartiens !». Le soir du 15 novembre, une altercation encore plus violente que les autres éclate. Boris vient d’apprendre que son épouse a été vue dans un bar de la ville :« Je t’ai épousé Nga ! Tu es à moi ! Tu n’as pas le droit de sortir avec d’autres, je suis ton mari ! », vocifère-t-il, fou de rage. Elle lui fait face, lui jette son dégoût à la figure :« Mon cher ami, tu sembles oublier une clause de notre marché ! Je t’ai épousé uniquement pour pouvoir venir en France et bientôt, je te quitterai ! C’est bien ce qui avait été convenu, non ? Tu n’as aucun droit sur moi ! D’ailleurs, tu ne me toucheras jamais plus, tu entends ! ». Il la cloue sur le lit, et une fois de plus, crucifiée sur sa couche, il lui faudra lui appartenir.

La décision de Nga est prise, elle va brusquer leur séparation. Samedi 26 novembre 15 h 30 : ils sont là tous les deux, le petit fait la sieste. Depuis le matin, le couple n’a pas échangé une parole. Nga épluche des châtaignes avec un grand coutelas. Boris lui dit :« Au lieu de sortir, tu devrais faire le ménage ». « Tu croyais peut-être que j’étais ta femme pour la vie ? Tu me dégoûtes, tu m’entends ? Tu me dégoûtes ! ». Et soudain, tout se passe rapidement, comme dans un cauchemar. Hors de lui, l’homme se jette sur elle, veut la gifler. Elle tente de se défendre à l’aide de son couteau, blesse légèrement son mari aux mains. Mais Boris s’est saisi de l’arme. Aveuglé par la fureur, il frappe, au ventre, encore et encore, la malheureuse qui s’écroule dans une mare de sang.

Quelques minutes plus tard, le criminel est interpelé dans la rue, alors que hagard, il tente de trouver le poste de police. Les commissaires Danet et Schweitzer recueillent ses aveux complets. Nga, elle, est transportée d’urgence à l’hôpital des Hauts-Clos, où elle décède de ses blessures, le jeudi 1er décembre, à 5 h 45.

Au substitut Bernard, saisi de l’affaire, Boris Kopatoff ne cesse de répéter, d’une voix blanche, lamentable :« C’était plus fort que moi, je l’aimais, après tout, elle était ma femme ! »



 

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