La Politique



"Cahiers de doléances" pour les Etats Généraux de 1789


Il y a 230 ans, la France avait ses « Gilets Jaunes » de 2018 !

 

            Cédant aux sollicitations du Parlement, de l’assemblée des notables, des assemblées provinciales et d’élection, le Roi fait connaître par arrêt du Conseil du 5 juillet 1788, son intention de convoquer les Etats Généraux du royaume. La date du 27 avril 1789 fut fixée pour la tenue des « Etats libres et généraux du royaume » à Troyes et dans l’Aube.

 

            Les « assemblées primaires de paroisses » se tinrent partout très régulièrement. Tous les habitants, Français ou naturalisés âgés de 25 ans, domiciliés et portés au rôle des impositions, furent appelés à en faire partie. Ont envoyés leurs Cahiers : Troyes et ses faubourgs : Faux Fossés, Croncels, Hauts et Bas Trévois, Saint Jacques, Chaillouet, Pré l’Evêque et la Moline, et 295 paroisses du département. Sauf la communauté de Saint-Martin-ès-Vignes qui a vu l’assemblée de ses habitants annulée, pour avoir été présidée par les officiers municipaux et non par le juge du lieu.

 

            J’ai recherché sur les 1.571 pages de ces « Cahiers de Doléances du bailliage de Troyes », ce que réclamaient alors les communautés d’habitants. Ces « remontrances », dont beaucoup ressemblent à celles d’aujourd’hui, comme les « niches fiscales », sont environ mille fois plus nombreuses et beaucoup sont toujours d’actualité !

 

            Sur les procès-verbaux, les citoyens ayant participé (une très grande partie de la population), sont nommément désignés, avec leur métier, et ont signé (pour ceux qui savaient écrire).

 

            Lorsque l’on regarde les « Cahiers de doléances » pour les Etats généraux de 1614 (dont je ferai un chapitre plus tard), on retrouve souvent les mêmes revendications que celles ci-dessous. La plupart des requêtes des différentes communautés et corporations, des différentes villes ou villages, sont les mêmes qu’à Troyes. Je ne donne qu’un petit résumé, car les mêmes revendications sont pratiquement reprises par toutes les  communes ayant envoyé leur « Cahier de doléances », et qui comportent plusieurs pages d’explications pour chaque réclamation.

 

            « Que l’impôt des corvées frappe sur tous les Ordres, sans distinction… Il serait juste que les impôts s’établissent de préférence sur les objets de luxe et sur les célibataires.  Alors le peuple ne serait point surchargé comme il l’est aujourd’hui qu’ils se prennent sur les consommations, la plupart nécessaires à la vie… Que tous les impôts actuels soient supprimés et remplacés par d’autres impôts dont la perception soit moins dispendieuse, qui soient supportés également et proportionnellement par tous les membres des 3 Ordres sans exception… Qu’en laissant substituer les mêmes impôts qui existent déjà, s’il parait impraticable d’en substituer de moins onéreux, on veille plus exactement à leur juste répartition… Qu’à l’avenir il ne soit prélevé aucun nouvel impôt que d’après le vœu unanime de la NationQu’on ne peut appliquer l’impôt à d’autre usage que celui auquel la Nation l’a destiné… Qu’il serait naturel de laisser aux communautés la liberté de disposer du revenu de leurs biens communaux, sans être exposés à des formes qui entraînent à beaucoup de frais… Qu’avant de consentir aucun impôt, il soit mis sous les yeux de la Nation assemblée, l’état des dettes de l’Etat et qu’après l’impôt on prenne des mesures assez sûres pour empêcher la déprédation des finances… Que les aides (impôts indirects prélevés à tous les niveaux de la société, sur les biens de consommation, les marchandises…) et gabelles (dont impôt sur le sel, le plus honni) soient supprimées. C’est un joug trop accablant pour qu’il soit nécessaire de prouver combien il afflige un peuple né libre… Nous désirons avec la plus vive ardeur la suppression des fermes (partie des revenus du roi de France) et gabelles. Il n’est rien Sire, qui nous soit plus onéreux et qui soit plus préjudiciable aux intérêts de l’Etat… Sur le sel d’abord. Une province a permission d’user de sel blanc, une autre de sel gris, un village même, dont un côté a droit d’user d’un sel, et l’autre côté d’un autre sel, cela nous paraît contre la raison et la justice… Que le prix du sel soit fixé à un taux uniforme par tout le royaume… De plus, à quel prix n’ont-ils pas fait parvenir le sel et le tabac… Oui, les fermes ou gabelles sont tyranniques… Que le nombre des laboureurs est singulièrement diminué par la surcharge des impôts, qui par exemple à Buchères, de 8 qu’ils étaient il y a 20 ans, ne sont plus qu’au nombre de 4… Que la liberté individuelle et la propriété soient plus respectées à l’avenir que par le passé, qu’elles ne dépendent pas du caprice d’un ministre ou d’un homme en place qui abusent de leur autorité… Que les ministres soient responsables de leur gestion aux Etats généraux qui pourront les juger sur le fait de l’exercice de leurs fonctions… Que la liberté de la presse soit accordée : c’est la voix du peuple… Que les veuves de boulangers jouissent des privilèges de leur mari tant qu’elles resteront en « viduité » (veuvage)… Que les établissements puissent procurer des ressources aux ouvriers dans les moments de cessation de travail occasionné par le défaut d’ouvrage dans les fabriques… Supplier le Roi d’assurer la liberté des biens comme celle des personnes… Que les ministres soient comptables à la Nation de leur gestion… Que l’introduction des marchandises étrangères soit prohibée, à l’exception de celles considérées comme matières premières qui ne sont pas du produit de son sol… Que tout privilège de commerce exclusif soit supprimé. Il arrête l’émulation et concentre des succès qui ne sont dus qu’au talent… Que la réforme des codes civil et criminel procure une justice prompte et moins ruineuse… Que tous les biens du Clergé et de la Noblesse sans exception soient imposés dans la même proportion que ceux de la roture… Que la paie du soldat fantassin soit portée à 8 sols et celle du cavalier à proportion… La diminution des frais de procédure… Que la retraite accordée aux ministres soit modérée et proportionnée aux services, qu’elle ne soit attribuée qu’après un certain temps de travail… Que le nombre des employés et commis aux bureaux ministériels soit réduit, leurs appointements modérés et proportionnés au travail… Que tous les particuliers soient libres de se faire voiturer par qui ils jugeront à propos… Que toutes les charges de magistrats ne soient plus à l’avenir données à prix d’argent, mais qu’elles soient accordées au mérite connuNous demandons que le code civil soit réformé pour ce qui regarde la multiplicité des écritures… Qu’il ne soit accordé aucune retraite aux ministres, au conseil d’Etat du roi, mais bien aux officiers et soldats qui ont exposé leur vie pour notre soutien à tous… Il n’y a nul seigneur de campagne, nul fermier qui ne se plaigne de manquer de monde pour travailler à l’agriculture. Conséquemment, les terres sont incultes ou mal cultivées pour la plupart, faute de monde à cela propre… Qu’il soit fait un établissement dans chaque province qui prévienne la mendicité, assure la nourriture et l’entretien des vieillards et des infirmes de tout âge, et procure des secours aux ouvriers qui se trouvent sans ouvrage, dans les moments de cessation des fabriques… Que les ministres d’état renvoyés ne puissent prétendre à aucune retraite… Que les ministres, en cas d’abus des deniers de l’impôt, peuvent être poursuivis au nom de la Nation…  Que les commis du bureau ministériel soient réduits quant au nombre et quant aux appointements… Qu’il ne sera autorisé et toléré dans le royaume aucun autre culte public de la religion catholique, apostolique et romaine, sans préjudice néanmoins des effets civils de la société accordés par le denier édit à ceux qui ne professent pas ladite religion… Que cet édit ne s’explique pas suffisamment sur les formalités à remplir pour les mariages mixtes de personnes qui ne professent pas la même religion, on demande qu’il soit fait un règlement clair et précis à ce sujet… Que la moitié au moins des canonicats des églises cathédrales et collégiales soit affectée à des anciens curés qui auraient rempli en titre pendant 20 ans des cures dans les diocèses dans lesquels lesdits chapitres sont situés…Qu’il n’y ait à l’avenir de jours fériés dans tout le royaume que le dimanche, excepté la fête du Saint-Sacrement, le lendemain de Pâques et le lendemain de la fête de Noël, et que toutes les autres fêtes soient supprimées et transférées au dimanche… Que les filles ne puissent faire profession religieuse avant 22 ans accomplis, et les hommes avant 24 ans accomplis… Que les archevêques et évêques  du royaume seront invités à établir une liturgie uniforme dans tout le royaume, 1 seul missel, 1 seul bréviaire et 1 seul catéchisme… Que la dime de charnage (accroissement d'un troupeau) qui se perçoit sur les agneaux, les cochons de lait, les oies et autres animaux, soit entièrement supprimée comme vexatoire, peu décente pour les curés… Que, pour diminuer la quantité de procès trop souvent ruineux pour les familles, il soit établi dans les principales villes un conseil d’arbitrage et de conciliation, composé de personnes instruites dans la jurisprudence et désintéressées, qui acceptent librement lesdites places pour concilier autant qu’il sera possible à l’amiable les parties plaidantes, et dont les fonctions seraient absolument gratuites… Que le nombre des huissiers et sergents royaux étant trop considérable, il sera réduit au nombre nécessaire et qui sera indiqué par les officiers de chaque bailliage… Que les 2 brigades de maréchaussée résidant à Troyes n’étant pas suffisantes à cause de la quantité considérable de petit peuple et d’ouvriers qui l’habitent, le Tiers de ladite ville demande qu’il y soit établi une troisième brigade à pied seulement… L’art de conserver la santé et de guérir les maladies ne devrait appartenir et être exercé que par les seuls médecins. Mais il se trouve toujours en but au charlatanisme de gens ignorants et même sans aveu qui, sous prétexte de remèdes particuliers et par des pratiques ridicules et souvent même superstitieuses, en imposent à la crédulité du peuple et exercent, à la honte de l’humanité un art dont ils n’ont ni connaissance ni principe. Il est donc essentiel d’extirper ce fléau destructeur par une loi, sous des peines sévères, à toute personne d’entreprendre l’art de guérir, sans avoir été reçue dans l’une des universités du royaume, en cas de contravention lesdits charlatans et empiriques puissent être emprisonnés… On distingue 3 classes de pauvres : les pauvres honteux qui souffrent en secret dans leur maison des besoins pressants auxquels ils ne peuvent pourvoir faute de santé, ou d’occasions pour travailler, ceux qui comprennent l’enfance, la caducité et l’infirmité, et ceux enfin qui, quoique valides, préfèrent au travail une vie oisive et errante, en parcourant les villes et les campagnes, et s’emparent, par ce moyen, des aumônes qui ne sont dues qu’aux vrais pauvres. Les secours de charité sont dus aux premiers, les hôpitaux doivent être l’asile des seconds, les derniers sont l’objet des lois pénales, renfermés dans les maisons de force ou occupés aux ouvrages publics... La liberté de la presse doit être accordée, qu’il soit permis d’imprimer et distribuer tous livres, mémoires, factums (récits destinés aux juges) et autres ouvrages… Les corporations des menuisiers et des tonneliers demandent à être séparées, qu’un tonnelier ne puisse s’occuper de menuiserie, qu’un menuisier ne puisse faire ou raccommoder des tonneaux… Qu’il soit permis à tous propriétaires de prés de tirer de l’eau des rivières et ruisseaux pour l’irrigation des prés… Qu’il fut fait défense aux seigneurs de chasser ou faire chasser dans les enclos des particuliers… Qu’on abolit la loi qui assujettit l’agriculteur à une amende arbitraire, même à la saisie de sa voiture et de ses chevaux, lorsque, même par mégarde, il a oublié d’appliquer sur sa voiture une feuille de tôle ou de fer blanc, indicative de son nom et de sa demeure… Qu’il soit permis aux soldats de se marier… Que les troupes, en temps de paix, soit employées au rétablissement et à l’entretien des grandes routes… Qu’il y ait des maisons destinées à recevoir les fous où seront reçus et traités gratuitement les pauvres… Que soit prise en charge la dépense des soins des « enfants trouvés » jusqu’à 8 ans, et ensuite leur procurer des apprentissages dans les villes ou les rendre utiles à l’agriculture… Que le code pénal soit adouci, que la peine de mort ne soit prononcée que contre les meurtriers et les incendiaires… Feront les vœux les plus ardents et requerront avec un zèle vraiment patriotique que l’agriculture soit désormais encouragée comme formant l’objet le plus essentiel à la prospérité du royaume… Que les maisons des campagnes, granges, écuries et généralement tous les bâtiments qui servent à loger le cultivateur soient à l’avenir exempts de toute imposition, et que celle actuelle soit reportée sur les châteaux et maisons de campagne et de plaisance… Que les habitants sujets en tout temps soumis et dévoués à la patrie ainsi qu’à leur roi, ont supporté jusqu’à présent avec patience, quoique au détriment de leurs propriétés le poids énorme des impôts. Que les pigeons soient détruits ou au moins enfermés en juin, juillet et août, attendu qu’ils font la destruction des graines rondes… Que les habitants d’Aumont sont encore écrasés par un genre d’impôt qui devrait être inconnu dans un royaume tel que la France : c’est celui dénommé « gros manquant » ou « trop bu », qui consiste à faire payer à chaque habitant comme vin vendu celui qu’il boit au-delà de la quantité modique qu’on lui accorde, celui qui s’échappe des futailles, celui enfin que le propriétaire est obligé de jeter parce qu’il aura tourné par les chaleurs de l’été… Que les curés, vicaires et tous autres ecclésiastiques seront tenus de marier et enterrer gratis… Que le sort des curés à portion congrue (partie du revenu des dîmes reversée aux curés et vicaires des paroisses par les bénéficiaires de ces revenus : évêques, abbés, chapitres, seigneurs) soit amélioré par un revenu en nature et non en argent… Que les petites maisons de religieux où l’on voit étaler un luxe qui insulte la misère publique soient supprimées, que leurs revenus soient appliqués à la subsistance des pauvres et à l’éducation des orphelins… Les habitants demandent que la mendicité ne soit permise aux pauvres que chacun dans sa paroisse, sans pouvoir s’écarter dans les paroisses voisines sous prétexte d’infirmités, vieillesse ou autres empêchements de pouvoir gagner leur vie, attendu que la mendicité est aujourd’hui portée à tel excès que la majeure partie des mendiants mendient pour cause de paresse, gourmandise et autres vices, dont la plupart sont des voleurs, allant jusqu’à forcer, dans les maisons où ils ne trouvent que des femmes ou des enfants, sous peine de prison… Qu’il serait aussi à désirer pour les habitants de Buchères qu’on les changea de la paroisse de Verrières, parce que, plus de moitié de l’année, ils ne peuvent passer, à cause du débordement des eaux, pour assister aux offices divins, et que leur curé ne peut venir pour leur donner les secours spirituels… … …    


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