Contes, légendes et anecdotes



Le manuscrit du chanoine Tremet


Un hasard a fait découvrir un précieux manuscrit qui n’est autre chose que le journal de Troyes de 1770 à 1790, c’est-à-dire l’histoire intérieure de la ville pendant 20 ans.

 

         L’auteur, du nom de Tremet, chanoine de la cathédrale de Troyes raconte sans juger, sans apprécier, mais c’est exact et de bonne foi. Son livre est ce que nous pourrions appeler « la Chronique de la localité » dans nos journaux de département. Ce manuscrit jouissait d’une certaine autorité, car il est cité comme pouvant faire suite aux « Annales Troyennes ».

 

         Les incendies étaient alors des plus fréquents, et l’abbé Tremet n’a pas de pages où ce fléau ne soit signalé. Il rapporte qu’en 1770, le feu s’était manifesté chez un M. Frobert, dans le quartier bas, au moment où le propriétaire recevait à dîner bonne et nombreuse compagnie. Le peuple accourut pour l’éteindre, mais, comme ce n’était qu’un feu de cheminée promptement comprimé, on ferma les portes et on ne voulut recevoir personne. Ce n’était pas l’affaire des hommes qui se pressaient dans la rue. Cherchant à pénétrer de gré ou de force, ils occasionnèrent à la porte un tumulte ressemblant à une émeute. Il fallut employer la force publique pour disperser ces étranges auxiliaires.

 

         La même année, la ville est inquiétée par des brigands et des rôdeurs de nuit, qui s’organisent en bandes redoutables pour commettre de nombreux vols dans la banlieue et dans les rues peu fréquentées. On dut prendre les mesures les plus vigoureuses pour les réprimer et les faire disparaître.

 

Nous voyons ensuite l’année 1771, mal notée dans les annales du chanoine. Cela n’est pas étonnant, ajoute-t-il avec naïveté : une prédiction n’avait-elle pas annoncé que quand le millésime amènerait 2 potences entre deux 1, l’année serait des plus malheureuses. Or, 1771 ne remplissait que trop bien ces conditions fatales. Aussi eut-on à inscrire une famine beaucoup trop prolongée, des inondations, des désastres de toutes sortes, et de plus de 40 maisons brûlées à Bréviandes. La ville, pendant le mois de juillet, fut effrayée par un météore. On démolit en automne un bastion pour donner du travail aux indigents. Nous trouvons signalé une particularité assez singulière : la mairie de Troyes étant vacante, on eut l’idée, pour créer des ressources à la ville, de la vendre comme une  charge de judicature. Un riche boucher en offrait déjà 220.000 francs, mais le contrôleur général décida que  « les choses resteraient sur l’ancien pied ». Même année, ravage des eaux, dévastation de la grêle et des ouragans.

 

La commune de Vauchassis fut décimée en 1772 par une maladie épidémique, on y compta 400 malades, et on y enterrait 7 à 8 personnes par jour. Le fléau ne disparut qu’après 6 mois de ravage. Incendie considérable dans la rue de la Grande Tannerie. Cette même année, les procureurs se battent avec les commis des aides et causent un grand tumulte dans la ville.

 

En 1773, l’Ecole gratuite de dessin est fondée. Chaque année il y avait « des solennités avec une pompe digne des siècles de Périclès et d’Auguste, avec des expositions de tableaux, des discours éloquents dirigés vers l’amour de la patrie, qui faisaient revivre Athènes au sein de la ville de Troyes ».

 

Le 11 mai 1774, vers 4 h du soir, toutes les cloches mises en branle annoncent à la ville de Troyes que le roi Louis XV vient de mourir.

 

Dans la nuit du 5 au 6 avril 1775, la salle de spectacle « La Comédie » est la proie des flammes. Le 13 mai, mort de Jacques Bruneval qui a légué par testament sa maison à l’Ecole de dessin. Le 11 juin, à l’occasion de son sacre à Reims, le roi Louis XVI confirme à la ville de Troyes le titre de capitale de la province de Champagne. Cette même année, on découvre entre Joinville et Saint-Dizier, l’emplacement d’une ville romaine.

 

En 1776, les « Ephémérides » publiées depuis 1757 sont remplacées par l’« Almanach de Troyes ».

 

En 1777, la salle de spectacle est reconstruite, c’est notre théâtre de la Madeleine.

 

Le 30 avril 1778, on pose la première pierre de l’abbaye de Notre Dame-aux-Nonnains. Tremet signale aussi le transport des restes de Voltaire à l’abbaye de Sellières. Cette même année se trouve aboli le déplorable usage d’enterrer les morts dans l’intérieur de la ville. Le 2 septembre, on fait la bénédiction d’un terrain destiné à la sépulture, dans un endroit nommé le Champ-Rameau, près de Sainte-Jule. Mme la duchesse de Bourbon, fille du duc d’Orléans arrive à Troyes où elle donne des audiences pendant toute une journée. L’infortunée reine Marie-Antoinette était alors enceinte. Les couvents et le Chapitre de la cathédrale chantent des messes et font des prières pour sa délivrance. Enfin la reine accouche d’une fille vouée comme sa mère au malheur : c’était Mme la duchesse d’Angoulême.

 

En 1779, le corps municipal ordonne l’ouverture d’une bibliothèque située au couvent des Cordeliers. Elle qui avait toujours été fermée au public. Troyes est effrayé par une inondation dont les ravages furent incalculables : la Vacherie fut submergée, les habitants se virent obligés de se sauver à Troyes en nacelles. La Seine avait crû de 10 pieds au-dessus de son niveau habituel.

 

En 1780, l’auteur arrête sa narration pour raconter un épisode qui le concerne : il a été accusé « de crimes horribles dont le seul récit fait frémir », crimes qu’il ne veut même pas répéter. On ne lui a pas laissé le temps de se justifier : il s’est vu tout à coup saisi, chargé de chaînes, emprisonné dans une forteresse où il a souffert du froid, de la faim, de tous les chagrins que sa position lui donnait. Enfin, les nombreux amis qu’il avait à Troyes parvinrent à intéresser le Garde-des-sceaux. Il fut admis à se justifier et bientôt mis en liberté. Il accuse de cette intrigue le doyen du Chapitre de Saint-Urbain, un autre prêtre et 2 procureurs.

 

L’année 1781 fut encore néfaste pour la ville de Troyes, un effroyable incendie éclata aux Faux-Fossés : 74 maisons devinrent la proie des flammes. 12 cadavres à demi consumés furent retrouvés dans les décombres. Le 9 août, l’empereur d’Allemagne Joseph II traversa la ville de Troyes. Il logea à l’hôtel du Mulet. Le jour suivant, par un triste contraste avec cette solennité, un empoisonneur fut roué vif et brûlé en face du même hôtel. Le 24 octobre, la cloche de l’hôtel de ville et la cloche de la cathédrale apprirent aux habitants de Troyes que le trône de France venait d’avoir un héritier, triste et malheureux héritier ! C’était le dauphin fils de Louis XVI. Le 4 novembre suivant, on chanta un Te Deum solennel en actions de grâces.

 

En juillet 1782, la grippe sévit et atteint les ¾ des Troyens. On apprend la mort funeste du frère ermite Hilarion, né au faubourg Croncels. Il a été assassiné dans son ermitage par des brigands qui supposaient que d’immenses richesses étaient enfouies dans son humble demeure. Le 11 décembre, la Cathédrale fait refondre toutes ses cloches. L’ensemble de la sonnerie pesait 22.500 livres.

 

1783 : des religieux arabes viennent à Troyes solliciter la charité publique en faveur de leur couvent incendié par les Turcs. Ils remportent d’importantes aumônes. Des brouillards épidémiques obscurcissent l’atmosphère fin juin et début juillet, ils occasionnent de nombreuses maladies.

 

L’auteur nous raconte les immenses misères de l’hiver 1784. La Seine est entièrement prise en janvier, on peut « la traverser sans péril ». Les rouliers mouraient sur les grandes routes, les habitants couchaient tout habillés, les loups envahirent les habitations des populations rurales… Le dégel arriva le 21 février et occasionna d’autres désastres, les ruisseaux coulaient comme des torrents… Le 7 août, le recteur de l’Académie de Paris vient à Troyes et est reçu avec les plus grands honneurs. On lui offre le vin, qu’il but au son de la trompette de la ville. Pendant son séjour, on trouva le moyen de l’intéresser à un jeune homme condamné à mort pour meurtre commis dans un moment de violence. Le recteur obtint sa grâce du garde-des-sceaux. Au mois d’août, un jeune homme, donnant le bras à sa sœur, fut rencontré par un garde-du-corps qui, prenant la jeune fille pour une femme de moyenne vertu, voulut l’enlever. Une lutte s’engage dans laquelle le malheureux jeune homme est tué. On comprend l’indignation soulevée par cet événement. Avant l’information de la justice, le garde-du-corps prit la fuite. Un sieur de Villette confronté avec la comtesse de Lamothe, de Fontette, prouve qu’elle a voulu empoisonner le Cardinal de Rohan, dans la fameuse affaire du collier. Le gouvernement et la municipalité de Troyes forment le projet de bâtir une immense caserne qui devait occuper l’emplacement de la rue Saint-Paul, de la rue Perdue, de la Grande et de la Petite-Tannerie, mais les événements politiques qui survinrent empêchèrent l’administration de donner suite à ce plan, qui aurait puissamment embelli et assaini la ville.

 

Le 8 août 1787, Messieurs du Parlement de Paris, exilés par un édit royal, arrivent à Troyes. Ils firent de nombreuses et abondantes aumônes.

 

L’hiver 1788-1789, douloureux hiver, la famine est menaçante, des discordes civiles s’annoncent. Les malfaiteurs reparaissent, aucune route n’est sûre, tous les troncs des églises sont volés, on vole la nuit dans les rues et sur les grands chemins. Le froid continuant sans interruption, la ville de Troyes crée des ateliers de charité. Elle donnait 12 sous par jour à ceux qui y étaient employés, mais ils vinrent demander une augmentation avec menaces. On repoussa leur demande : ils se répandirent dans la ville et au dehors volant de tous côtés. Il fallut en arrêter un grand nombre. Le 27 juillet 1789, Necker se rendant en exil, passe à Troyes où il est reçu avec les plus grands honneurs. Tremet rapporte un fait qui, sans la gravité des circonstances de la Révolution, présente un côté bien comique. Les vaches de Chamoy, d’Ozon et de Saint-Phal, paissaient fort tranquillement sur la lisière d’un bois. Mais comme elles étaient en contravention, les gardes arrivent et les chassent devant eux. Elles fuient en masse et à grande vitesse. Les habitants voyant ce tumulte, s’écrient que ce sont les fameux brigands. Ils prennent aussitôt la fuite et ne s’arrêtent qu’aux portes de Troyes, où ils jettent l’agitation et l’effroi. Pendant toute la nuit on fit bonne garde, et la force publique fut tenue en haleine. Il fallut 2 jours de sécurité pour démontrer que les brigands n’étaient qu’un rêve ou une mystification. Le 9 septembre, le maire de Troyes Claude Huez est horriblement assassiné (voir ce chapitre).

 

Le manuscrit du chanoine s’arrête en 1790.

 


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