Aubois très célèbres



Philibert Orry

C’est le fils de Jean Orry (voir ce chapitre), seigneur de Vignory (1651-1719). Il nait le 22 janvier 1689, et n’a pas 11 jours, quand Jeanne sa mère meurt.

 

         Sa petite enfance s’écoule dans la demeure où il est né, rue du Temple (rue Général Saussier) à Troyes. Quand son père est envoyé en Espagne, en 1701, pour examiner la situation financière de ce royaume, dont l’administration des finances devait lui être confiée plus tard par Philippe V, il n’emmène pas son fils avec lui.

 

         Lors du très brillant mariage de sa sœur Jeanne avec Berthier de Sauvigny, en 1708, Philibert était capitaine-cornette (officier de la maison du roi) dans un régiment de cavalerie. Il devient conseiller au Parlement en 1713. A la mort de Louis XIV, en 1715, nous le voyons Maître des requêtes (officiers propriétaires d'une charge extrêmement prestigieuse). Il avait donc très vite abandonné la carrière militaire.

 

         En 1725, sous le ministère du duc de Bourbon (le testament de son grand-père le roi louis XIV lui avait donné une place au Conseil de régence), le cardinal de Fleury, aumônier de la reine Marie-Thérèse, précepteur de Louis XV puis Premier ministre du roi, a occupé l’une des fonctions les plus importantes de l’État. C’est grâce à lui que Philibert fut nommé intendant à Soissons. Il avait été auparavant, conseiller du commerce et conseiller au Parlement de Paris. Ces fonctions l’avaient préparé au poste élevé qu’il allait occuper.

 

         Philibert eut tôt fait de remettre en ordre les finances du Soissonnais. Il fut alors nommé intendant du Roussillon en 1727.  Etre transféré du Nord au Midi et chargé en si peu de temps d’administrer des provinces si différentes par leurs ressources, par le tempérament et les besoins de leurs habitants, lui fit acquérir une expérience, non seulement de l’administration, mais aussi des conditions financières du royaume.

 

         Après avoir, dans un temps record, remis en ordre les finances du Roussillon, Philibert fut envoyé à Lille en 1730, où sa réputation d’habile financier l’avait précédé.

 

         Un incident, bien banal en lui-même, le mit tout à fait en évidence. Le cardinal Fleury goûta fort la façon habile dont il s’acquitta de l’affaire et se montra très satisfait de son ingéniosité : le Roi avait décidé de se rendre à Corbeny et se montrait très désireux de partir. Le voyage, long et fatigant, n’avait pas l’heur de plaire à l’entourage royal. Le Cardinal, en particulier, accumulait toutes sortes d’objections. Louis XV, toutefois ne voulait rien entendre. Fleury, à bout d’expédients, ne savait plus que faire, quand il reçut de Philibert cette lettre : « J’ai l’honneur de vous informer que le voyage de Sa Majesté ne peut avoir lieu le pont bâti pour faciliter son passage a été emporté par les eaux du fleuve dans la nuit du 27 de ce mois. L’Intendant de la Province, en l’occurrence, est le seul à blâmer. » Philippe Orry, signataire de cette lettre, n’était autre que l’Intendant offert en holocauste.

 

         Quelques mois après son installation à Lille, en 1730, Philibert était appelé à remplacer Pelletier des Forts comme contrôleur général des Finances. La même année, il est nommé conseiller d’Etat à vie.

 

         En 1736, il devient ministre d’Etat et directeur général des Bâtiments, Arts et Manufactures.

 

         La situation financière de la France était alors lamentable, les guerres et les dépenses de Louis XIV avaient saigné à blanc le royaume. Pourtant, la population de la France ne cessait de s’accroître, le commerce et l’industrie prospéraient. Jouissant de l’estime confiante du cardinal Fleury, Orry plaisait également au Roi, avec lequel il gardait pourtant son franc-parler : ayant un jour à s’opposer à quelque dépense extravagante de Louis XV, il eut le courage de lui dire : « Sire, en 1701, j’ai fait l’aumône sous les murs même de Versailles à des homme portant la livrée royale. Je ne voudrais pas qu’une telle chose se renouvelât sous mon administration ».

 

         Pour lui, les dépenses doivent être proportionnées aux recettes, d’où la suppression de maintes charges publiques, qui devait lui attirer de violentes inimitiés. D’où son effort pour appliquer à partir de 1733, le principe de l’égalité devant l’impôt : il institua une taxe de 10 % sur le revenu de tous les Français, à quelque classe qu’ils appartinssent, sans tenir compte des droits et des privilèges. Cette mesure fut des plus mal accueillie par la Noblesse et par le Clergé. Le « dixième » fut l’effort suprême de Philibert pour établir l’égalité de l’impôt en France. Cette mesure, si elle avait été maintenue, aurait pu avoir des répercussions incalculables et éviter peut-être même la Révolution ! Il travailla à maintenir énergiquement la stabilité de la monnaie, cette mesure demeura jusqu’en 1789.

 

         La réalisation, en 1739, de l’équilibre du budget est encore à mettre à son actif. Il s’ingénia à combattre la corruption sous toutes ses formes, notamment dans la magistrature, et à mettre fin aux gratifications malhonnêtes.

 

         Pour faciliter les transports et inaugurer un système de messageries, il accrut le réseau de bonnes routes, si bien qu’on lui décerne encore quelquefois, le titre reconnaissant de « Père des routes françaises ». Afin de faire face aux besoins en main d’oeuvre nécessaire à la réalisation de ce projet, Orry propose au roi Louis XV la généralisation du travail par corvée : la corvée royale. Il s’agit d’un impôt en nature sous forme de journées de travail. Obligation est faite, au printemps et à l’automne, aux habitants des zones rurales, de consacrer une à deux semaines de travail gratuit à la construction ou à l’entretien de tronçons de route locaux. Des bornes sont implantées toutes les mille toises (unité de longueur ancienne qui correspond à six pieds français, soit 1,949 m.) afin de délimiter les obligations de chaque paroisse.

 

         L’expansion coloniale lui tint passionnément à cœur. L’aggravation des dépenses qu’entraîna la guerre de Succession d’Autriche contrecarra les projets d’Orry, sauf toutefois dans l’Inde, où un demi-frère de Philibert, Jean-Henry-Louis Orry, était l’un des directeurs de la compagnie privée chargée de l’administration des possessions françaises.

 

         Un des soucis majeurs de Philibert Orry, fut la question du blé.

 

         Il aimait se délasser de ses tâches ardues, dans la fréquentation des artistes. Il rétablit à Paris les « Salons », expositions annuelles de peinture et de sculpture. Malgré son amour de l’épargne et sa rigueur comptable, Philibert aida et encouragea les jeunes artistes et pensionna les vieux.

 

         Personne ne mit jamais en doute son extrême probité, il était incapable de recourir à la flatterie pour désarmer les malveillances. Il garda toujours la confiance du roi. Profondément loyal à son souverain et à sa patrie, il les servit de toutes ses forces, sans se ménager. Il avait dans le palais de Versailles un appartement à sa disposition, mais à Paris il habitait l’hôtel de Beauvais, avec son frère et sa belle-sœur.

 

         A son retour de Metz, Louis XV passa une nuit dans son château campagnard de La Chapelle Godefroy (voir ce chapitre). Le Roi se montra fort surpris de ce qu’il vit : « Je ne crois pas, dit-il, qu’il y ait dans mon royaume un financier aussi mal logé que mon ministre des Finances ».

 

         Ses années d’administration furent une besogne ingrate, où il se fit peu d’amis. Si utile et salutaire que fût son oeuvre, ce ministre fut, comme Colbert, un des hommes les plus détestés de son temps.

 

         Jeanne-Antoinette Poisson, épouse d’Etioles aspirait à remplacer Mademoiselle de Châteauroux dans les faveurs de Louis XV. Avant d’être reconnue maîtresse en titre du roi, elle vint demander à Philibert une place de Fermier Général pour son mari. Bien qu’il eût raison, il fut imprudemment très impoli et brutal avec elle, et l’éconduisit avec des mots blessants : « Madame, si ce qu’on dit est vrai, vous n’avez pas besoin de moi. Si ce n’est vrai vous n’aurez pas la place ». La nouvelle favorite lui voua alors une rancune impitoyable, que l’esprit d’économie d’Orry ne pouvait qu’entretenir. Avide et ambitieuse, elle ne cessa plus de provoquer sa perte. Maîtresse en titre, puis marquise de Pompadour, elle prit sur le monarque un tel ascendant que sa victoire devint inéluctable. Louis XV était si épris qu’il laissa ouvertement attaquer devant lui le serviteur qu’il avait si longtemps entretenu. « Qu’allons-nous chasser ce matin ? », demanda-t-il un jour. « Le contrôleur général sire ». Et le roi laissa passer sans réprimande. En 1745, sachant qu’elle pouvait tout se permettre, la favorite se livra, malgré les remontrances d’Orry, à d’extravagantes dépenses.

 

         Le ministre eut alors l’intelligence de se reconnaître vaincu. Il offrit au roi sa démission. Désolé et honteux, mais complètement dominé par sa passion, Louis XV l’accepta sans protester, bien qu’il ne cessât d’affirmer hautement, jusqu’à la fin, son estime pour Orry.

 

         L’opinion publique n’était pas contre Philibert Orry : on le fêta à Bercy. On note dans le « Journal » : « Il quitte son poste comblé d’éloges et d’estime. Il s’est bien acquitté de ses devoirs ».

 

          Le 9 novembre 1747, il décède dans son château de La Chapelle-Godefroy, sans avoir la joie de voir Natoire (voir ce chapitre) accéder à la direction de l’Académie de France à Rome.

 

         En 1768, voyant accroché à un mur un portrait gravé de Philibert, dans le bureau des Fermiers Généraux,  un M. Périnet, d’un ton pénétré, dit à un collègue : « Ah, mon cher ! Quel homme ! Quel ministre ! Quelle administration ! Reverra-t-on jamais en France, une période si heureuse ? ».  

 


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