Métiers anciens




Colporteur de livres


Héritiers d’une tradition remontant au Moyen Age, les colporteurs de livres continuent de parcourir les communes auboises et plus particulièrement Troyes, au cours du XIX° siècle. La cité tricasse est alors encore considérée comme l’un des plus importants centres de production d’ouvrages de colportage.

 

         Le mot colporteur vient du latin comportare « transporter ». Dans le dictionnaire de 1694, on lit : « Le colporteur est celui qui porte une manne, ou cafette pendue à son cou et qui vend par les rues des marchandises qu’il y transporte. Mais particulièrement, on appelle ainsi celui qui vend les gazettes, les arrêts, les ordonnances et les déclarations du roi…». Le métier de colporteur (appelé aussi mercier et crieur), remonte aux temps les plus anciens. Ce marchand ambulant porte ses marchandises sur un petit éventaire suspendu au cou. Au XV° siècle, il adjoint à ses articles habituels, des ouvrages bon marché, de petit format, imprimé sur du papier de mauvaise qualité, enrichis de gravures sur bois. Troyes est à l’origine de la littérature de colportage avec ses almanachs, nous en avons retrouvé imprimés en 1497. Troyes se positionne comme le plus gros centre de production. En effet, les almanachs ont des tirages moyens se situant entre 30.000 et 40.000 exemplaires. Cette facilité d’approvisionnement direct que propose Troyes,  ne peut qu’avoir influencé les colporteurs dans le choix de leur itinéraire : « Zone de contact entre plusieurs réseaux de colportage, notre région semble avoir enregistré une concentration exceptionnelle de colporteurs dans ses frontières ». Ces petits ouvrages comportent un calendrier avec les fêtes à souhaiter, les oracles du destin et les explications des songes, des anecdotes, des récits de vols et de crimes, des conseils concernant les cultures, les maladies, les recettes de cuisine… Les colporteurs troyens jouent donc un rôle essentiel dans la vie des Français. Sur l’ensemble du territoire, ils proposent leurs produits jusqu’aux zones les plus reculées des campagnes. C’est une réussite immédiate. Ces almanachs se vendent 1 ou 2 sols, et sont donc à la portée de tous. Ils sont regardés par ceux qui ne savent pas lire et lus à haute voix à la veillée

 

         Cependant, dès le XVI° siècle, des règlements tentent de limiter l’étendue du colportage de livres afin d’éviter la concurrence sauvage, en utilisant des arguments qui perdureront : « le colporteur favorise la fraude, la fabrication défectueuse, l’importation illicite, la concurrence déloyale occasionnée à l’imprimeur libraire…». Les imprimeurs finissent par s’incliner devant l’activité des colporteurs. En effet, ce commerce ne laisse pas d’être avantageux aux libraires auxquels les colporteurs se fournissent. Par contre, les colporteurs peuvent, par bien des abus, faire tort aux libraires domiciliés et établis dans les grandes villes, attendu que « n’ayant ni feu, ni loyers, ni charges à payer, ils donnent souvent les livres à vil prix…». Mais, si l’on supprimait ces colporteurs, on ferait un tort considérable à la librairie de province qui serait privée d’une consommation pour laquelle ces gens sont absolument nécessaires, car dans les petites villes, villages et bourgs « nombre de personnes seraient privées par la suppression des colporteurs de nombre d’ouvrages qui leur sont nécessaires ». En 1752, Malesherbes écrit : « Supprimer les colporteurs, ce serait priver d’une grande commodité les seigneurs qui vivent sur leurs terres, les curés de campagne et beaucoup de particuliers qui sont retirés dans les bourgs et les villages où il n’y a pas de libraires ».  Les statuts de la Communauté des imprimeurs-libraires de 1618 indiquent les limites de colportage de librairie : « interdiction de tenir boutique et de faire imprimer au nom du colporteur, obligation de vendre des marchandises imprimées à Troyes…». Les édits et règlements successifs, dont celui de 1723, réitèrent ces interdictions et ajoutent l’obligation de savoir lire et écrire. Un texte de 1660 décrit pour la dénoncer la balle des colporteurs-merciers : « Mais proprement qu’est-ce qu’un colporteur ? C’est un mercerot qui porte un panier, pendu à son col, garni de rubans de soie, de fleuret, ou de laine, lacets, aiguillettes, peignes, petits miroirs, étuis, aiguilles, agrafes et autres semblables chosettes de petit prix. Il porte ça et là des almanachs avec des Chansons Mondaines, sales et vilaines, dictées par l’Esprit immonde, Vaudevilles, villanelles, airs de cour, chansons à boire…», et les titres cités sont des classiques de la Bibliothèque bleue, que les colporteurs s’approvisionnent à Troyes, directement auprès des Oudot et des Garnier, ainsi que le mentionne un mémoire des échevins de Troyes rédigé en 1760 : « La majeure partie du commerce de mercerie de la ville de Troyes se fait avec les colporteurs qui viennent s’y fournir de la Bibliothèque bleue. Si l’imprimerie de la veuve Oudot était supprimée, cette branche de commerce de la ville de Troyes serait bientôt desséchée et tarie, l’imprimerie du sieur Garnier qui travaille concurremment avec celle de la veuve Oudot à ce genre d’ouvrages ne pourrait jamais fournir au débit considérable qui s’en fait tous les ans. Les colporteurs, ne trouvant plus alors à s’assortir de la Bibliothèque bleue comme auparavant, ne se détourneraient pas exprès de leur route comme ils le font pour venir seulement acheter à Troyes, des marchandises de mercerie, qu’ils trouveraient également partout ailleurs ». Ce texte est capital pour bien comprendre l’économie de la ville de Troyes au XVIII° siècle : manifestement elle repose sur un fragile équilibre où le livret bleu permet l’écoulement de la mercerie, le lien entre les 2 étant le colporteur. Cependant, d’après une lettre du préfet de l’Aube au maire de Troyes du 22 octobre 1817 «  il y a une animosité de la part des marchands de Troyes qui s’élèvent contre le colportage les jours de marché ». Dans une autre lettre du 21 novembre 1821 du préfet  aux officiers de gendarmerie et aux commissaires de police, on lit : « Les colporteurs doivent surtout fixer notre attention. C’est parmi eux que les mal intentionnés ont trouvé leurs agents les plus actifs. C’est également parmi eux que se rencontre une foule d’escrocs sur lesquels les tribunaux ont fréquemment à se prononcer. Il importe de s’assurer s’ils sont porteurs d’un passeport et du livret dont ils doivent être munis depuis le 1er juin 1816, conformément à la circulaire ministérielle du 12 avril de la même année ». L’Assemblée législative vote le 27 juillet 1849 une loi : « tous colporteurs de livres, écrits, brochures, gravures, lithographies, devront être pourvus d’une autorisation qui leur sera délivrée par les préfets. Les contrevenants seront condamnés par les tribunaux correctionnels à un emprisonnement de 1 à 6 mois et à une amende de 25 à 500 frs, sans préjudice des poursuites qui pourraient être exercées pour crimes ou délits, soit contre les auteurs ou éditeurs de ces écrits, soit contre les colporteurs eux-mêmes ».

 

         En décembre 1879, au terme d’un rapport d’enquête devant le Sénat, le rapporteur sonne le glas de la profession : « … le colportage à l’heure qu’il est, n’existe plus ou existe dans une telle mesure qu’il est insignifiant. Il faut tendre de plus en plus à la suppression des librairies nomades, à leur remplacement par des librairies sédentaires…Comment voulez-vous que l’industrie du colportage, qui se fait à dos d’homme avec une matière pesante et encombrante, puisse lutter maintenant contre la rapidité et la facilité des communications ? ».

 

         Le colportage a vécu !

 




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