La politique



Procès politiques 1848-1852


Vous vous souvenez du « mouvement des Bonnets Rouges », mouvement de protestation apparu en Bretagne en octobre 2013, en réaction aux mesures fiscales relatives à la pollution des véhicules de transport de marchandise et aux nombreux plans sociaux de l'agroalimentaire. Cette mobilisation massive pour l’emploi et contre l’écotaxe en Bretagne déstabilise le gouvernement, au point de conduire le Premier ministre à annoncer, en moins de deux mois, une grande réforme fiscale et un « Pacte d'avenir pour la Bretagne ». Et bien, nous aussi, avons eu notre « Affaire des Bonnets rouges », en 1850 ! ! Tout au long de ces 4 années (1848-1852), les procès politiques et délits de presse furent dans l’Aube, en nombre impressionnant. Pourquoi une répression si sévère ? L’autorité ne reconnaissait pas les républicains démocrates pour un parti légitime. Les magistrats se scandalisaient de voir des ouvriers et des paysans manifester des passions politiques et faire de l’opposition au gouvernement. Hantés par la légende de la Terreur, ils les accusaient de vouloir le partage des terres, la guillotine, le massacre des riches. Voici par exemple, le dossier d’un nommé Jean-Baptiste Pillot, jugé aux Assises de l’Aube, le 22 août 1851. Dans une note, le Procureur de la République de Bar-sur-Seine écrit : « Dans le département de l’Aube, la commune de Juilly-sur-Sarce est une de celles où les doctrines démagogiques ont été accueillies avec le plus de faveur. Le parti rouge représenté par quelques hommes ardents y poursuit clandestinement son œuvre de propagande et d’embauchage ». Nous voyons le sieur Pillot, prévenu « d’excitation à la haine des citoyens les uns contre les autres par des discours proférés publiquement ». Voici quelques phrases de ses discours : « …ça ne peut durer comme ça… avant qu’il soit 6 mois, on brûlera Paris… Il faudra que tous les bourgeois et les gros propriétaires y passent… Je suis rouge, comme le sang, rouge comme un chien, je veux voir couler le sang… ». C’est la révolte ouvrière que l’on sent gronder à travers ces paroles exaltées. Le jury, pourtant, ne s’en émeut pas beaucoup, et déclare le prévenu non coupable. A côté de ces cas individuels, et ils furent nombreux, il y a des cas collectifs. Il s’était créé des sociétés secrètes républicaines. Les ceintures, cravates, casquettes rouges se transformaient en signe de ralliement. Toutes les manifestations qualifiées de séditieuses (écrits, placards, chansons, emblèmes…) étaient reportées sur un registre au ministère de la justice. Voici par exemple 2 affaires jugées aux Assises de l’Aube, qui semblent les meilleurs exemples de ce nouveau système de compression et de suppression de toute opinion républicaine un peu avancée. A la session du 25 août 1849, nous trouvons « l’Affaire Habert ». Les accusés sont prévenus de faire partie d’une société secrète dite : « La Solidarité Républicaine ». L’étude du dossier nous apprend que cette association, qui avait son siège à Paris, rue du faubourg Saint-Denis, s’efforçait d’organiser des succursales, relevant de son autorité dans tous les départements et imposait à ses adhérents l’obéissance dans le but, à peine dissimilé de changement de gouvernement. Certaine pièce du dossier nous révèle quels étaient les membres du bureau pour le comité de Troyes : on y trouve 1 architecte, 1 avoué, 1 avocat… Au dossier se trouvent également les statuts de la dite société et autres imprimés et circulaires. Il y a aussi une correspondance avec le Parquet de Dijon qui est prêt à entamer une procédure semblable contre les membres de la « Société Républicaine ». Qu’advint-il de cette société secrète ? Elle fera encore parler d’elle dans un nouveau procès qu’on lui intentera dans « l’Affaire Benoît Voisin », aux Assises du 14 mars 1851. Venons-en à « l’Affaire Jacquemard » du 16 décembre 1850, qui pourrait se nommer « l’Affaire des Bonnets Rouges ». L’étude de ce dossier est particulièrement intéressante car il renferme, au milieu des papiers de procédure, la pièce à conviction, l’un des fameux bonnets de coton de couleur rouge qui étaient alors fabriqués et mis en vente comme signe de ralliement et symbole de l’esprit de rébellion. Ces bonnets étaient confectionnés chez le sieur Jacquemard, fabricant de bas, demeurant rue de la Grille à Romilly-sur-Seine. Les porteurs de bonnets sont qualifiés par la Police de cette ville de « Démocrates socialistes très exaltés ». Le 14 août 1850, le Commissaire de Police adresse, à cette occasion, une première lettre au Procureur de la République de Nogent, et, au cours des mois suivants, il continuera à lui envoyer de nombreux rapports pour le mettre au courant de la tournure que prendront les événements. « L’Affaire des Bonnets Rouges » semble bien être une manifestation ouvrière à tendance socialiste. On craignit que les agitateurs ne viennent troubler la fête des bonnetiers qui devait avoir lieu le 27 août. Mais, la police était sur ses gardes. De nombreux bonnets rouges avaient été saisis. Certains manifestants, le faisaient même porter par leurs jeunes enfants. Déjà, Jacquemard et quelques autres étaient arrêtés, et le banquet socialiste qui devait avoir lieu au soir de la fête et où quelques 200 invités devaient être réunis, se trouva réduit à une cinquantaine de convives. Les bals qui suivirent et qui clôturaient la fête des bonnetiers se déroulèrent dans le plus grand calme. « L’Affaire des Bonnets Rouges » était terminée. Il ne restait plus qu’à juger les prévenus. Ils passèrent en Cour d’Assises le 16 décembre 1850 et furent acquittés ! A côté de ces manifestations séditieuses et ouvrières, il y eut de nombreux procès intentés à la Presse. Nous lisons à ce sujet : « Les procureurs généraux avaient adressé la liste de tous les journaux politiques et surveillaient étroitement la presse républicaine. Ils faisaient poursuivre tout article où l’on pouvait relever un délit d’outrage contre l’Assemblée, le Président ou l’Ordre Social. La propagande active que faisaient les colporteurs en vendant dans les villages les brochures et les almanachs, unique lecture du peuple des campagnes, fut arrêtée par la loi de 1849, qui exigeait l’autorisation du Préfet ». C’est ainsi que nous voyons à cette époque, dans notre département, un certain nombre de procès intéressant la Presse locale. Tout d’abord, 3 affaires sont jugées aux Assises des 12 et 16 décembre 1850 dont l’inculpé, Luc Desages, était le gérant et rédacteur en chef du journal « La réforme sociale ». Le bureau d’administration de ce journal avait son siège 3, rue de Preize. Desages se voyait successivement accusé « d’excitation à la haine des citoyens, de provocation à des militaires dans le but de les détourner de leurs devoirs et d’outrages envers la religion ». En même temps que lui étaient inculpés l’imprimeur Cardinet, les nommés Charpentier et Basset, auteurs des articles incriminés. A son tour, Ch. Costel dut également passer en Cour d’Assises, une première fois le 12 juin 1851, en tant que gérant, pour Troyes du journal « Le Populaire de 1841 » et une seconde fois le 8 novembre de la même année, comme gérant du journal « Le Républicain Populaire et Social ». Puis, ce sera Louis Ulbach, rédacteur en chef du journal « Le Propagateur, Sentinelle Républicaine de l’Aube ». Il passera devant le jury d’Assises le 13 juin 1851, pour répondre d’un article rédigé par lui et signé par Adolphe Boyau, gérant du même journal. Cet article fait, en termes véhéments, le procès des monarchistes et attise la haine de la classe ouvrière. Autre dossier : « L’Affaire Farjasse » de décembre 1852. Farjasse était un ancien préfet de l’Aube, qui demeurait au château de Courtenot. Dans la même affaire se trouvaient incriminés l’imprimeur Cardon, le libraire Vigreux, un homme de lettres du nom de Bonnin et Ambroise Cottet, professeur de mathématiques. On les accusait d’avoir publié et mis en vente un volume intitulé : « L’Almanach Démocratique du département de l’Aube pour l’année bissextile 1852 ». Dans ledit Almanach, un article ayant pour titre « La Jacquerie » et une fable intitulée « Les Charlatans », furent l’objet des réquisitions du Procureur de la République près le Tribunal de Troyes. Mais la Cour d’Assises n’aura pas à juger cette affaire car, en raison de son caractère politique, elle fut brusquement arrêtée par mesure administrative. Nombre d’affaires politiques furent d’ailleurs retirées du rôle des sessions de Cour d’Assises devant lesquelles elles étaient appelées à passer. On lit ainsi dans une pièce signée du Procureur de la République : « Attendu que, dans l’état actuel des esprits, l’examen d’une affaire ayant un caractère politique pourrait donner lieu à des débats contraires à la bonne administration de la justice, cette affaire est arrêtée par mesure administrative ». C’est ainsi que nombreuses furent les affaires qui, en 1851 et 1852 bénéficièrent de la prudence des magistrats dans leur crainte de voir les esprits s’échauffer. 

 

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