J’ai déjà traité de nombreux sujets sur l’occupation à Troyes de 1940 à 1945.
Mon ami Jean Lefèvre, ancien Président national de l'association des « Croqueurs de pommes », ancien Rédacteur en chef de la « Dépêche de l’Aube » et un de mes anciens collègues au Conseil Municipal, écrivain très prolifique, me fait remarquer que je n’ai pas parlé d’un sujet sur lequel il s’est entre autres penché :
« Le Centre Jules Ferry de Troyes de 1940 à 1943, un camp de concentration ? »
C’est exact, et c’est pourquoi je vous donne ci-dessous un très court résumé de son étude sur ce sujet :
« Le titre peut surprendre. Le groupe scolaire Jules Ferry de Troyes, rues Pierre Murard et Jean Lacoste, a été utilisé durant l’occupation, par l’administration française, sous le strict contrôle de l’occupant, pour y interner différentes personnes en provenance d’autres prisons ou de territoires sensibles.
Le Commandement allemand à Bruxelles fait expulser de la « zone rouge », c’est-à-dire la zone côtière du Nord, les « indésirables » : Anglais, Belges, Polonais, et avec eux, une centaine de Juifs venus de la caserne Foch à Saint-Omer, ainsi que des politiques, communistes pour la plupart. Certains de ces derniers, venant de Fresnes, seront enfermés aux Hauts-Clos.
On trouve aussi quelques prostituées qui feront commerce avec la Gestapo, au grand dam des autorités civiles françaises.
Ces gens, enfermés à Jules Ferry, sont le plus souvent regroupés sous l’appellation de « Refoulés du Nord et du Pas-de-Calais ». Ils ont été transportés, comme pour les déportés, en wagons fermés, mais pourvus de banquettes en bois. Il leur a été fait défense de descendre pendant 3 jours et 2 nuits. Du ravitaillement leur est cependant parvenu par la Croix Rouge.
Quand ils arrivent à Troyes, l’école Jules Ferry qui fut un temps caserne pour l’armée allemande, est aménagée pour recevoir les « refoulés », « internés », « internés civils », « expulsés », « déportés » ou simplement « réfugiés ». On parle de « camp d’hébergement », puis de « camp d’internement ».
Les 14 classes vont être utilisées pour loger les personnes seules, les couples ou les familles, mais les 2 ailes du bâtiment ont des destinations différentes : l’aile gauche (école de filles) possède un régime strict avec interdiction de sortir, l’aile droite (école de garçons) sera plus familiale.
J’ai étudié le courrier échangé, environ 200 lettres, entre la préfecture de l’Aube et la Kommandantur allemande. On écrit côté français dans les 2 langues avec l’aide de traducteurs rémunérés. On se souvient qu’Eugène Kilian en fit partie avant d’être arrêté, battu et emprisonné. Côté allemand, on ne connaît que la langue d’Hitler.
Camp de concentration ? Les appellations pour Jules Ferry sont diverses et le Préfet régional va même jusqu’à écrire une fois, le 23 février 1943 : « Camp de concentration ». L’expression pouvait effectivement s’appliquer aux camps connus sous cette appellation, puisqu’il s’agissait bien d’une concentration d’individus emprisonnés sous surveillance étroite, sauf que le « travail obligatoire » n’y était pas institué.
Ce Centre Jules Ferry va accueillir plusieurs centaines de « refoulés ». Les 127 premiers sont annoncés fin décembre 1940, dont 73 Polonais. La liste est prête et donnée aux autorités préfectorales par l’auxiliaire administratif allemand, le Dr Schultheis.
La mairie de Troyes et son maire René Douet, doivent faire face à des arrivées parfois intempestives, chaque fois nombreuses.
En janvier 1941, 337 internés, en mars 1941, 166, dont seulement 23 français. Mais, le 18 avril 1941 arrivent 268 personnes. En mai, ce sont 606 refoulés à caser dans la ville. Jules Ferry en absorbe une partie. Les malades sont dirigés à l’hôpital allemand de la caserne Beurnonville, ou à l’Hôtel-Dieu. Le 19 décembre 1941, les Allemands « livrent » en gare 350 personnes. Le préfet proteste en disant qu’elles sont « remises en vrac » aux autorités françaises, dans le hall de la gare de Troyes, avec 14.000 kg de bagages qui restent abandonnés sur les quais. « Contrairement aux promesses faites, aucun camion allemand ne va assurer le transport des expulsés et des bagages. Dans la rue, 10 cm de neige, recouverte de verglas qui nous mirent dans l’impossibilité de conduire les réfugiés aux centres Jules Ferry et Diderot, nous avons personnellement transporté et chargé les bagages ».
Dès qu’ils arrivent au camp, les papiers d’identité leur sont retirés « par mesure de précaution », mais une autre carte « spéciale » leur est donnée. On prend leurs empreintes digitales, et une photographie anthropométrique est réalisée.
Permission est donnée à chacun de se promener en ville. Les sujets anglais sont interdits de sortie, « par précaution personnelle » dit le préfet. Exception est faite pour 3 religieuses de nationalité britannique qui logeront au Couvent, à la demande de Mgr Lefèvre, évêque de Troyes.
La garde de ces prisonniers est conférée à quelques gendarmes et à l’autorité municipale, qui fait ce qu’elle peut, réclame des moyens et ne peut offrir que du personnel peu formé et parfois même sympathisant. C’est ainsi qu’on trouve parmi les gardiens employés municipaux, le nom de Jacques Jeanny, futur résistant, qui sera fusillé à Dijon.
Le nombreux courrier retrouvé donne des renseignements concernant les individus internés : âge, métier, nationalité, caractère, mœurs. Sont arrivés des enfants et des vieillards, des femmes, des hommes, des couples, des familles entières ou privées de l’époux, prisonnier, emprisonné ou fusillé. Il y a des célibataires des 2 sexes. L’appellation « juif » n’est jamais oubliée dans les comptes-rendus et les courriers, dès leur arrivée en décembre 1940, les Allemands les ont considérés comme une catégorie à part.
Nous avons donc affaire à une population cosmopolite, qui ne permet guère l’échange entre les intéressés. Cette diversité est voulue par l’occupant, le résultat étant d’éviter les revendications collectives, les complots, les ententes entre groupes. Français, Belges, Russes, Allemands, Autrichiens, Turcs, Grecs, Hollandais, Bulgares, Roumains et apatrides sont donc regroupés là et d’autant plus isolés qu’ils ne se connaissent pas.
Il y a 2 types d’internés, les surveillés consignés dans l’école des filles et les autres, un peu plus libres. Parmi ces derniers, certains sont autorisés à résider à Troyes, à visiter même, sinon à travailler dans le département.
Les locaux, mal adaptés, permettent aussi des fuites. Le statut de certains internés à qui on permet de travailler au dehors, augmente les occasions de disparaître. Il n’est pas rare que certains manquent à l’appel, Juifs compris. Ces disparitions provoquent courriers sur courriers. Il faut retrouver à tout prix ces « Flüchtlinge » ! Il s’agit par exemple de 4 Juifs qui ont disparus le 28 décembre 1940, avec leurs bagages et en emmenant une vieille femme de 81 ans. Du coup, 2 agents de surveillance seront sanctionnés.
Les cartes d’identité spéciales sont retirées aux Juifs et aux Anglais, qui sont interdits de sortie. Des enquêtes, recherches, poursuites sont engagées par l’autorité française qui transmet les résultats à la Kommandantur.
Certains internés demandent à travailler en ville, parfois en Allemagne, comme les Polonais qui espèrent ainsi se rapprocher de leur pays. D’autres demandent à retourner chez eux ou dans leur famille, ce qui est parfois accordé sous condition ».
Merci Jean.
Pour que les Troyens se souviennent de ces moments douloureux de notre histoire, le 13 novembre 2015, notre maire François Baroin a dévoilé la plaque ci-dessous, sur le mur de l’Ecole Jules Ferry :
« A la mémoire des Femmes, Enfants
Hommes et vieillards
Internés dans cette école de 1940 à 1943
Certains disparurent
dans les camps de concentration ».
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