La Révolution




Actes de vandalisme


Le représentant Bô, que la Convention envoyait dans l’Aube, avec des pouvoirs illimités, avait écrit d’enlever tous les objets relatifs au culte catholique, qui se trouvaient dans le « Temple de la Vérité et de la Raison » (la Cathédrale) pour les déposer à la maison commune. Toutes les richesses des églises supprimées avaient été transportées à Saint-Pierre, et avait augmenté son trésor déjà si remarquable. On y admirait des châsses, des croix, des reliquaires, ciselés avec art et resplendissants de pierres précieuses. Tel était le reliquaire contenant le chef de saint Loup, orné de pierreries d’une richesse, d’une rareté et d’une beauté exceptionnelles. Parmi les merveilles de ce trésor figuraient une cornaline sur laquelle étaient taillées les figures des 12 apôtres, et une émeraude d’un pouce de long fixée au centre d’un reliquaire contenant un morceau de la vraie Croix. On y conservait aussi une croix processionnelle gothique, en vermeil orné de filigranes, dont plusieurs, selon le trésorier, « en avaient offert 300.000 livres ». Les administrations connaissaient la valeur de ces objets d’art, et pour en assurer la conservation, avaient publié les inventaires. Le 23 février 1792, le directoire du département avait fait faire une « description très complète des châsses, croix, vases, pièces gravées, inscriptions existant dans l’église et le trésor de Saint-Etienne ». Le 12 novembre 1793, un autre inventaire fut dressé à Saint-Pierre, et 8 chefs-d’œuvre d’orfèvrerie, entre autres le chef de saint Loup, et la croix processionnelle furent désignés pour le muséum. Le mérite artistique de ces objets précieux aurait dû suffire à les protéger contre les violences du fanatisme anti religieux. Ils étaient les témoignages admirables d’un passé généreux, et s’ils avaient cessé d’être vénérés par les fidèles, ils auraient pu du moins faire l’ornement et l’orgueil d’un musée. Ce fut pourtant un homme, qui se disait artiste, qui porta sur eux une main barbare. Fils d’un orfèvre estimé, Louis-Joseph Rondot, orfèvre lui-même, graveur et professeur à l’école de dessin, aurait dû les protéger au lieu d’en provoquer la destruction. Mais des préjugés aveugles contre l’art gothique l’animaient, non moins que l’ardeur révolutionnaire. Ils le portèrent à présider à des actes à jamais regrettables que Bô n’avait pas ordonnés, et que le district et le département ne connurent que lorsqu’ils furent accomplis. La municipalité elle-même ne voulait pas la destruction immédiate des objets relatifs au culte catholique. Conformément aux instructions de Bô, elle s’était bornée à en ordonner le dépôt à la maison commune. L’agent national Rondot et MM. Berthier, Bouillé et Coquet, en furent chargés. Sans consulter ses 2 derniers, sans appeler les marguilliers qui avaient la garde du trésor, Rondot se rendit à Saint-Pierre avec 2 commissaires de la commune et plusieurs des membres influents de la Société populaire, au milieu de la nuit du 22 janvier 1794. Craignant une explosion de l’indignation publique, il avoua lui-même qu’il avait dû exécuter la commission qui lui était donnée, pendant la nuit, pour ménager la crédulité et la superstition du peuple. Parmi ceux qui l’accompagnaient se trouvait un maître-maçon, muni d’un marteau à taillants et de ciseaux. A l’aide de ses outils, Rondot fit briser les châsses, enlever le métal qui les recouvrait, détacher les pierreries qui les ornaient. Tous les objets précieux furent apportés par ses ordres dans la sacristie des messes basses et successivement déposés sur une table, dans une chambre à feu voisine que l’on appelait la chambre du prédicateur. Le chef de saint Loup fut brisé le premier, la croix que les comtes de Champagne avaient rapportée de Constantinople fut mise en morceaux. Dans une des châsses, on trouva le squelette de sainte Mâthie, réduit en poussière. Dans un autre, celui de sainte Hélène presque entier, dont la tête et les pieds reposaient sur des coussins de taffetas rouge pâle. Les bois des châsses furent brûlés ou donnés aux suisses, les ossements qu’elles renfermaient livrés aux flammes ou portés dans l’ancien charnier de Saint-Jacques. Un assistant déroba au feu quelques procès-verbaux contenus dans les châsses. On jeta pêle-mêle dans un panier à bouteilles les morceaux de cuivre et d’argent, et les pierreries furent recueillies dans des corbeilles à pain bénit. Les tombeaux des comtes de Champagne Henri-le-Libéral et Thibaut III étaient justement célèbres. Ces chefs-d’œuvre de l’orfèvrerie artistique du moyen-âge avaient été déposés dans la chapelle Notre-Dame. Dans la nuit du lendemain, Rondot et ses complices complétèrent leur œuvre de destruction, et les brisèrent à coups de marteau. Les châsses de saint Savinien et de sainte Hoïlde furent également mises en pièce. Les pierres et les émaux furent réservés. On les joignit aux pierres détachées la veille, et 2 sergents de ville les portèrent à la maison commune dans les corbeilles à pain bénit où elles avaient été rassemblées. Les objets enlevés à Saint-Pierre furent déposés au trésor de la commune, sans procès-verbal de réception, ni récolement. Rondot acheva d’extraire l’or et l’argent de quelques morceaux des bois des châsses en les brûlant. Ce ne fut qu’après cette opération que l’on procéda aux pesées en présence de plusieurs commissaires. 21 marcs 2 onces d’or, 512 marcs 3 onces d’argent doré et 402 d’argent, 620 de cuivre doré et 870 de cuivre, furent enfermés dans des tonneaux pour être expédiés à Paris. On les joignit à d’autres dépouilles des églises, qu’une députation de la Société populaire et des corps administratifs remit le 7 février à la Convention. 7,794 marcs d’or et d’argent, et 13,461 marcs de cuivre furent à cette date versés par elle à la Trésorerie. Différentes pièces en or émaillé ou travaillé en filigrane, des bas-reliefs en argent, des pierreries, des perles et des antiques furent cependant réservées pour le muséum que le département avait l’intention de fonder. Parmi ces objets se trouvaient des émaux de cuivre, représentant des scènes de la vie de saint Loup, qui figurent encore aujourd’hui au Trésor de la cathédrale de Troyes. La plupart des objets précieux mis en réserve furent emportés au domicile de Rondot. Il voulait, disait-il, les nettoyer. Il prit en même temps plusieurs morceaux d’or sans les peser. Un des plus beaux reliquaires resta dans le bureau de l’agent national. On en vit un autre couvert d’écailles, mais sans pierreries dans son laboratoire, après l’envoi des métaux précieux à la Convention. Au milieu de juin, de nombreux débris, provenant de ces déplorables brisements, furent trouvés à son domicile. Le mystère dont les auteurs de cette œuvre de destruction s’étaient entourés en l’accomplissant au milieu de la nuit, l’absence de procès-verbaux, l’irrégularité des opérations, le défaut de contrôle, le transport des pierreries et de certains métaux chez Rondot, contribuèrent plus tard à le faire accuser, ainsi que 2 de ses coopérateurs, d’avoir détourné une partie des objets de prix qu’il avait reçu l’ordre de faire enlever de Saint-Pierre. 4 mois plus tard, l’agent national adressa au district les objets précieux qui lui avaient été confiés. Le district « désavoua hautement », et refusa de recevoir le dépôt qu’il voulait lui remettre : « Nous avons, citoyen, lui écrivait-il, pris lecture de ta lettre du 27, et de l’état joint. Nous n’avons jamais, d’accord avec la municipalité, décidé que telle ou telle pièce du trésor de Saint-Etienne serait conservée. Nous ne pouvons en conséquence recevoir les lambeaux que tu nous renvoies. Ce dépôt ne pourrait nous concerner qu’autant que nous aurions concouru avec le département au brisement de ce trésor, pour la conservation duquel il avait été pris toutes les précautions possibles. Le dépôt légal des pierreries regarderait le receveur du district… ». Cette désapprobation se produisait sous la pression de l’opinion, depuis longtemps surexcitée contre les auteurs des actes de vandalisme commis à Saint-Pierre. Plus tard, le comité d’instruction publique eut connaissance des destructions qui avaient eu lieu, et il les blâma : « Ce n’est pas sans regret que nous avons vu que beaucoup d’objets dignes de figurer au muséum national, en raison de la beauté de leur travail, avaient été dépecés et dilapidés ». Le représentant Albert en estimait la valeur à plus d’un million. Des morceaux d’orfèvrerie, des galons et des broderies tirés des autres églises furent également envoyés à la Trésorerie nationale, pour être convertis en lingots. A Troyes, on pressait la vente du mobilier des églises. L’adjudication de celui de Saint-Pierre fut faite le 23 janvier 1794, les autres dans les 15 jours qui suivirent. A l’église Sainte-Madeleine, le jubé, le plus célèbre d’Europe, ne fut préservé que grâce à la présence d’esprit d’une des paroissiennes de cette église. Comme les ouvriers se préparaient à le détruire, elle leur affirma qu’il maintenait les piliers voisins, et que s’ils le démolissaient, l’église s’écroulerait. Les ouvriers se bornèrent à briser les fleurs de lys du couronnement et les statues des saints placés dans les niches. Ce n’était pas assez de dépouiller l’intérieur des églises de leurs ornements, on en dégrade l’extérieur. On ordonne la démolition des clochers de la Trinité, du Petit-Saint-Nicolas et des autres maisons dépendant des hospices. Toutes les croix sont abattues, les plombs enlevés : « le district s’est empressé de découvrir tous les clochers pour y prendre du plomb, là où il y en avait. A l’Hôtel-Dieu, le plafond est tombé ». L’agent national de la commune ordonne d’enlever des vierges, des anges et des armoiries, placés au coin de certaines rues, sur les remparts et au-dessus des portes de la ville. On poursuivit la suppression des cérémonies du culte, qui se célébraient encore dans les communes voisines de Troyes. Dans certaines communes du département, les femmes résistent aux décrets de la Convention et aux arrêtés de ses agents. A Arrentières, elles exigent de force la clé de l’église, excitent les hommes contre les autorités, et les portent à arrêter 2 commissaires du district de Bar-sur-Aube, envoyés pour faire respecter la loi. A Landreville, les femmes et les filles s’opposent à l’enlèvement des cloches. Elles rentrent par la force dans l’église, d’où on les a tirées. Une femme s’assied sur la plus grosse cloche, en disant : « elle a sonné pour ma naissance, elle sonnera pour ma mort, et elle ajoute au maire que si on l’enlève, elle passera sur mon corps ».

 

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