Métiers anciens




Graveurs


On comprend qu’une cité comme Troyes, avec toute la richesse : picturale de ses palais, de ses maisons à pans de bois, ornées de consoles à figures sculptées, de ses églises, de ses monuments… a de tout temps été un paradis pour les graveurs, non seulement Troyens, mais aussi étrangers.

Faire connaître, et sauver de l’oubli total les noms de nos graveurs est un des buts que je poursuis, comme dans tous les domaines.

Troyes, renfermant tant de beautés artistiques ne pouvait que donner naissance à de nombreux talents qui, pour un grand nombre, avides d’aventures, de changements exaltants, quittèrent notre ville pour Rome, Paris, Venise ou quelques autres capitales. De ces grandes villes, leur renommée se répandait et parvenait aux oreilles de leurs compatriotes champenois. Parfois, ils revenaient exécuter une commande dans leur ville natale. 

En novembre 1956, le magasin « Arts, Sciences, Lettres », rue de la Cité, expose une très belle collection d’un très grand nombre de documents gravés concernant Troyes, l’Aube et la Champagne, dans les domaines du burin, de l’eau forte et de la lithographie : Estampes du XVII° et du XVIII° siècle, Plans et Vues d’ensemble de Troyes, Troyes au fil de ses vieilles rues, nos vieilles Eglises, Célébrités et Illustrations locales, Gravures champenoises, Gravures en couleurs, Autographes et Manuscrits divers…

Mentionnons d’abord la plus naïve par la gaucherie de son tracé et le primitivisme de ses couleurs posées à la main, une « Vue d’ensemble de Troyes », de Merian, datée de 1556, très précise dans sa concision. 

Cette abondante collection présente plusieurs cartes de la Champagne. La plus représentative est celle de Guillaume de l’Isle, datée de 1713, aux couleurs fraîches, mais aussi des cartes qui intéressent notre région, extraites de l’œuvre monumentale de Cassini de Thury, ensemble de 217 cartes très détaillées et exactes. Parmi les différents plans de Troyes, il faut citer en premier lieu, le plus ancien. C’est le rare exemplaire établi par Jouvin de Rochefort en 1679. L’échelle y est indiquée en pas et en « thoises », mais il y a aussi celui de Parisot de Nîmes, daté de 1697, puis en 1727 et 1747 et 1868 par Paule Clausel.

Les vues de villes, très en honneur aux XVI° et XVII° siècles, servaient d’illustrations à des recueils historiques ou géographiques. En 1638, Gottfried gravait à son tour une vue de notre ville, mais la plus curieuse est bien celle du « Recueil » de Mesmer, œuvre d’un artiste allemand, très bien décrit par Albert Babeau dans l’Annuaire de l’Aube de 1892. Il s’agit d’une vue de Troyes, prise du Sud-ouest, avec au premier plan un renard qui tourne la tête vers une main sortant d’un nuage et tendant un anneau. Au-dessus de la gravure on lit : « Nulla fides dilectio nulla », c’est-à-dire : « Sans loyauté, pas d’estime », commentés par 2 vers latins : « Celui qui fait trop confiance est vite abusé, car, en notre temps, la loyauté est un mot vide de sens ». Le XVII° siècle est représenté par un très beau portrait de Pierre Pithou, gravé par Léonard Gaultier, Allemand d’origine. Un burin de Van Shuppen représente François Pithou, fondateur du Collège. Il y a un portrait de Bossuet gravé par Pierre-Imbert Drevet. Du grand artiste Robert Nanteuil, maître incontesté du burin, dont le nom domine toute la deuxième moitié du XVII° siècle, on admire une estampe de 1660, un remarquable portrait de  Loménie de Brienne, Conseiller d’Etat. Il y a aussi des gravures de Gérard Edelinck, protégé par Colbert et Le Brun. Ce Belge naturalisé Français en 1675 laisse 2 portraits des Colbert de Villacerf, 2 des Berbier de Metz, un beau François Pithou, et un Mignard dans son atelier. Ils furent légion les graveurs qui ont traité, en même temps que le portrait toujours en vogue, quantité de scènes de genre et de mœurs, comme une estampe originale, anonyme : l’« Enlèvement de Mme de Mesgrigny ». Il y a aussi des paysages : les vues du Château de Pont-sur-Seine, et du Paraclet, refuge d’Abélard et d’Héloïse. Les célébrités locales sont représentées : Pierre Herluison, bibliothécaire, Charles-Henri de Montmorency, duc de Luxembourg et de Piney, Pierre Mayeur abbé de Clairvaux, Pierre-Riel de Beurnonville. Il y a Raffet, universellement connu par ses lithographies de la Révolution et de l’Empire. On voit également le « procès de Danton » sur papier de Chine. A partir des dernières années du XVIII° siècle, on peut citer de grands noms parmi les artistes dont les lithographies concernant notre région : Adrien Dauzats (1804-1868) et Charles Fichot (1817-1903). Dauzats a parcouru l’Europe et l’Asie Mineure, on lui doit l’illustration des « Voyages pittoresques du baron Taylor et de Charles Nodier ». Venu à Troyes en 1843, il a excellé dans les reproductions de nos vieilles rues : « Rue du Mortier d’Or », l’ « Hôtel de Marisy », l’« Hôtel de Ville », « l’Eglise Saint-Jean » et l’entrée de la « Rue Champeaux ». Charles Fichot a parcouru le département, de long en large pour aller dessiner sur place les monuments qu’il voulait reproduire. Après un séjour de quelques années à Paris où les archéologues apprécient la qualité de son talent, il revient se fixer à Troyes de 1848 à 1852, époque où il prépare les lithographies de l’« Album pittoresque et monumental de l’Aube ». Nos archives départementales possèdent plus de 1.000 dessins et aquarelles que Fichot a exécutés d’après nature. Il s’est intéressé à tout ce qui fait la valeur architecturale des églises : Saint-Urbain au soleil de midi, Saint-Remi à l’heure où les ombres s’allongent, Saint-Jean-au-Marché, avec une foule de personnages, le « Jubé de Sainte-Madeleine », le « Pavillon et la Tour de la Planche-Clément », le « Portail de l’église de Saint-André-les-Vergers », plusieurs châteaux, « Rosières et les dîners sur l’herbe », le « Château de Villemereuil »… Il faut faire une place à part à Gaussen, peu connu parce que mort à l’âge de 39 ans. Ce magicien du dessin et de la couleur a accompli une œuvre de bénédictin : le « Portefeuille archéologique », édité à Bar-sur-Aube en 1861. Il contient 91 planches en couleurs représentant des vitraux, des objets du culte et des peintures. Gaussen est aussi l’auteur des dessins de reconstitutions de « Saint-Jacques au beau portail » et du « Petit portail polychromé de Saint-Jean », sur la rue des Chaudronniers, de 1857. Mais, le véritable artiste, reconnu par ses contemporains pour un maître incontesté, est Gustave Lheutre, auteur de plus de 200 eaux-fortes, pointes sèches et lithographies. Né à Troyes en 1861, ses études de peinture le conduisent à Paris, où il participe aux expositions, dont celle du Salon des Artistes Français de 1889. Mais, il abandonne très vite le pinceau pour le burin du graveur. Troyes l’attire et il consacre son art au pittoresque des vieilles rues et des monuments de son pays natal.   

 D’où vient l’antique industrie troyenne des graveurs ? Est-ce le nombre invraisemblable des moulins spécialisés dans la fabrication du papier, autour de Troyes, dès le XV° siècle ? Est-ce la reconversion des nombreux enlumineurs que la création de l’imprimerie privait de leur travail ? Est-ce la demande massive de nos clercs, de nos cloîtres près desquels bien des travaux manuels étaient à l’honneur, depuis des générations : reliure, enluminure, calligraphie, sculpture sur bois ? Est-ce l’exemple contagieux dans une ville depuis toujours ingénieuse, d’un habile praticien vite débordé de commandes ? Est-ce au vrai toutes ces circonstances, auxquelles s’ajoute la présence accélérée de nombreux ouvriers paupeleurs, parcheminiers, typographes cartiers, qui amenèrent dans notre Champagne méridionale ce pullulement de spécialistes  de la taille du bois ?

Pendant 3 siècles, les « Maîtres cartiers, papetiers, faiseurs de cartes, tarots, feuillets et cartons » répandent dans tout le royaume les cartes à jouer gravées par nos tailleurs en bois. Plusieurs dynasties d’imprimeurs troyens ont commencé leur carrière par l’industrie du domino. Ils fabriquaient des images, des papiers peints, des papiers colorés à la main, l’habillage des coffrets avec de naïves gravures sur bois en couleur. En Champagne méridionale, le mot de dominotier est pris comme synonyme de graveur.

Notre dernier graveur mondialement connu était Charles Favet (voir  le chapitre «  Ne les oublions pas »).   

 

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