J’ai mis plusieurs années avant de découvrir cet Aubois qui a tant servi la France et le département de l’Aube, et qui aurait mérité d’avoir son chapitre dans les Aubois les plus célèbres, dans les premiers ! Vous allez vivre la Révolution avec lui, et lire ce texte, comme un véritable roman, une page passionnante de notre Histoire.
Jacques-Edme Regnault de Beaucaron naît le 1er septembre 1759 à Chaource. Son père, docteur en médecine, jouissait d’une grande considération. Sa mère, née Sollagesse, appartenait aussi à une vieille famille du pays. Elevé dans les principes d’une saine et forte éducation, il fait ses classes, d’abord à Chaource, au collège fondé par Amadis Jamin, ensuite à Troyes. Il apprend l’italien, l’anglais, l’espagnol et le portugais. Il va à Paris, est reçu avocat au Parlement à l’âge de 20 ans, et revient à Troyes pour y remplir une charge de magistrature. Regnault de Beaucaron brille dans les « causeries de salon » de la société troyenne, grâce à ses bonnes manières, au charme de sa conversation, chez Mesdames Berthelin, Fromageot, de Chavaudon… Dans ces réunions, il sème des bons mots, des madrigaux, et sait rapidement se faire apprécier. Dès 1781, il adresse des épîtres en vers à 2 auteurs dramatiques très en vogue, Auguste de Piis et Barré. Il envoie un grand nombre de ses productions à de nombreux journaux : « L’Almanach des Muses », « Le Chansonnier des Grâces », « L’Almanach des Grâces », « Les Etrennes lyriques et anacréontiques », « Les Etrennes de Mnémosyne lyriques et anacréontiques », « Les Etrennes de Mnémosyne », « L’Esprit des Journaux », « Le Journal de Nancy », « Le Journal de Troyes »… Il y écrit plusieurs articles en prose sur les oeuvres de Simon de Troyes… Ses sortes de nouvelles qui paraissent en plusieurs fois, sont l’origine de nos romans-feuilletons. Chaque fois, les éloges ne lui sont pas ménagés. En 1787, il est reçu membre de la Société anacréontique de Rosati, où il a pour collègues Carnot et Robespierre. La même année, il est reçu membre de l’Académie des Arcades de Rome et de l’Académie royale des Belles-Lettres d’Arras, membre associé correspondant du Musée de Paris. Ces succès lui attirent des épigrammes de Rivarol qui l’inscrit à 2 reprises dans son « Petit almanach des Grands Hommes ».
Nommé procureur fiscal et général, Regnault de Beaucaron prononce, le 25 novembre 1787, à l’ouverture des assises du baillage de Chaource, un discours retentissant qui est reproduit dans le « Journal de Troyes et de la Champagne méridionale », où il censure énergiquement les abus qui se sont introduits dans la justice. Il harangue l’Ordre des avocats, puis il étend ses observations aux procureurs, aux huissiers et sergents, blâme leur conduite trop souvent inconsidérée, la taxe arbitraire qu’ils s’arrogent fréquemment… Les membres du bas clergé étant misérables, ceux du haut clergé, au contraire, et des communautés, étant trop riches, il demande l’augmentation du traitement des curés à portion congrue, il veut qu’on emploie les biens des ordres religieux, d’une part, à fonder des collèges, écoles et hôpitaux, d’autre part, à combler, dans une certaine mesure, le déficit du trésor public…
Pour remédier aux scandaleux abus qui accompagnaient le recrutement de la milice, soit par le sort, soit par les racoleurs, il propose que le tirage au sort se fasse sans frais, par devant le juge de paix, assisté du curé, du seigneur et du syndic…
Pour détruire les idées fausses, il défend de parcourir les campagnes à ceux qui y répandent la superstition et le charlatanisme, qui leur arrachent l’argent qu’ils doivent à la sueur de leur front…
Pour encourager l’agriculture, il veut instituer, dans chaque village, des « fêtes céréales », où le meilleur agriculteur sera couronné…
Les cahiers de la Noblesse et du Clergé sont signés le 4 avril 1789, et c’est Regnault de Beaucaron qui est chargé d’être l’interprète du Tiers-Etat auprès de la noblesse, pour la remercier de sa justice et de son patriotisme. Le 8, les 3 Ordres se réunissent pour recevoir le serment des députés aux Etats généraux. C’est encore notre aubois qui est l’organe du Tiers-Etat pour partager les sentiments d’union et d’espérance, écrivant à ce sujet, une pièce en vers dans le « Journal de Troyes ».
A l’occasion de la création du département de l’Aube, la municipalité et l’état-major de la garde nationale de Troyes provoquent une manifestation grandiose en invitant à une confédération générale les gardes nationales de tous les districts. Il y a 330 députés, dont Regnault de Beaucaron qui, le 25 avril 1790, se réunissent dans la grande salle de l’hôtel de ville. Regnault de Beaucaron est élu commissaire pour le canton de Chaource. Le lendemain, en qualité d’orateur, il proclame le comte de Dampierre président. Celui-ci prend la parole et prononce un discours chaleureux sur l’amour de la patrie et de la liberté, puis Regnault de Beaucaron lui répond magistralement, sous les applaudissements : « … qu’un serment solennel, en nous liant à la Constitution, soit le gage de notre fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi ». Les 9, 10 et 11 mai, Troyes est en fête. Le 9, une cérémonie imposante réunit dans la cathédrale les autorités constituées, les députés… Le serment est répété par tous les assistants, au son des cloches, du canon et de la musique de la garde nationale. Ensuite, ce ne sont qu’allocutions, bals, banquets, chants patriotiques, fanfares, marches militaires… Le procès-verbal de ces assemblées est signé le 11 mai par Regnault de Beaucaron. A Paris, on prépare la fête de la Fédération. Le 12 juillet, Regnault de Beaucaron arrive à Paris avec les autres députés de la garde nationale de l’Aube. Ils sont reçus avec des transports de joie. Le 14 juillet, ils se rendent au Champ-de-mars, portant la bannière que leur avait donné la ville de Paris. L’évêque d’Autun, entouré de 300 prêtres vêtus d’aubes blanches coupées de ceintures tricolores, célèbre la messe, bénit l’oriflamme et les 83 bannières des départements. La Fayette, à la tête de l’état-major et des députés prête serment. Le Roi jure de maintenir la Constitution, la reine présente le Dauphin au peuple, les cris répétés de : « Vive le Roi, vive la reine, vive le Dauphin ! » se mêlent aux décharges de 40 pièces de canon et aux chants patriotiques exécutés par 1.200 musiciens. Regnault de Beaucaron fait partie d’une députation envoyée auprès du Roi. Il rend compte de cette entrevue : « Nous avons vu rouler dans les yeux du chef de la nation ces larmes de tendresse, qu’un bon père tient en réserve pour ses enfants chéris ». Le 25 juillet, il revient à Troyes portant la bannière. On la porte à la cathédrale entre une double haie de gardes nationaux et de suisses. Après un Te Deum chanté par l’évêque, et une messe, on la porte à la maison du département où Regnault de Beaucaron prononce un discours enthousiaste. Il est nommé membre du Comité de la Féodalité, où ses connaissances juridiques lui assurent une place prépondérante. Il signale le dénuement dans lequel le ministre de la guerre persiste à laisser le bataillon de Volontaires de l’Aube, partit pour Saint-Domingue, où sa conduite fut digne de tout éloge, et actuellement à la frontière : « nous n’avons cessé de demander des armes, on nous en a refusé… Le ministre a répondu qu’il avait donné des ordres : il nous a trompés… la mort n’a rien qui nous effraie, mais la seule pensée de la recevoir sans pouvoir nous défendre nous fait frémir… ». Il est très applaudi. La question des prêtres est une de celles qui passionnent le plus l’Assemblée législative. A maintes reprises, des décrets sont présentés et votés sur ce sujet. Constamment nous voyons Regnault de Beaucaron s’interposer et soumettre des amendements pour adoucir la rigueur de ces lois et les rendre plus équitables, et il intervient chaque fois qu’il s’agit de rendre justice, à qui de droit. Il est toujours sur la brèche. A la dissolution de la Constituante, le département de l’Aube envoie Regnault de Beaucaron comme député à l’Assemblée législative. Pendant toute la durée de son mandat, il ne cesse de se tenir en rapports avec ses compatriotes. Le 1er janvier 1792, « au nom de l’humanité, de la chose publique, et des pays circonvoisins », il appuie la motion qui demande que l’on s’occupe du canal de Bourgogne, où 3.000 ouvriers sont sans travail et sans ressources ». De faux assignats avaient été fabriqués : le public s’en était ému. Le Gouvernement propose de faire juger les faussaires par un tribunal spécial. Regnault de Beaucaron combat le projet du gouvernement de faire juger les faussaires par un tribunal spécial, et démontre qu’il est contraire aux lois et à la Constitution. Il fait adopter de nombreuses lois, dans tous les domaines, et il est chaque fois acclamé, il fait voter par l’Assemblée des félicitations à la municipalité des Riceys pour avoir arrêté 2 escrocs qui excitaient les populations à la révolte. Il remet 495 livres en argent saisies sur eux à la caisse de la marine pour être employées au rachat des captifs… Louis XVI avait dû déclarer la guerre. On attendait avec anxiété des nouvelles de l’armée. Le 28 mai, c’est encore Regnault de Beaucaron qui donne à la tribune les détails de la bataille de Givet, qu’il connaît par une lettre d’un officier du 29° régiment en garnison à Philippeville. Le 20 juin il déploie une généreuse ardeur : à la séance du soir, il interrompt brusquement le rapporteur du Comité des finances qui entamait la lecture d’un décret, en s’écriant : « J’apprends que les jours du Roi sont en danger, je demande que l’Assemblée se transporte en corps auprès de lui pour sauver sa personne ». L’Assemblée décrète presque unanimement l’envoi, sur le champ, d’une députation de 24 membres aux Tuileries, dont bien entendu Regnault de Beaucaron. Le département de l’Aube partage l’opinion de son représentant, il espère encore que la monarchie peut se maintenir et écrit au Roi pour témoigner ses sentiments d’attachement à l’occasion des outrages qu’il avait subis le 20 juin. Cependant, la révolution s’affirme, les événements se pressent. Le 8 août, le peuple, qui assiégeait les abords de l’Assemblée, maltraite et insulte à leur sortie les courageux députés coupables d’avoir défendu La Fayette. Ils sont frappés ou couverts d’injures. Regnault de Beaucaron, muni de son écharpe, est bousculé, terrassé, puis enlevé par des fédérés marseillais qui veulent le pendre à un réverbère. La garde nationale arrive à temps pour le soustraire à la mort, et le reconduit sous bonne escorte à son domicile, hôtel du Grand-Louis, rue de Grenelle-Saint-Honoré. Le 10 août, Regnault de Beaucaron revient à son poste. La séance est commencée depuis minuit, l’agitation est extrême, on prévoit les sanglants événements de la journée. Le peuple attaque les Tuileries, le roi et sa famille viennent se réfugier au milieu des députés, qui continuent leurs délibérations au bruit de la mousqueterie et du canon. La Commune du 10 août ne tarde pas à devenir plus puissante que l’Assemblée législative elle-même, la Révolution triomphe, les Feuillants ou modérés sont en infime minorité (Regnault siège parmi les royalistes en tant que membre du Club des Feuillants, groupe politique, de tendance monarchiste constitutionnelle qui ne conteste pas le pouvoir du roi Louis XVI, fondé le 18 juillet 1791, et né d'une scission du club des Jacobins, en réaction à l'agitation républicaine qui a suivi la fuite du roi à Varennes en juin 1791 et la fusillade du Champ-de-Mars le 17 juillet 1791)... Regnault ne les abandonne pas et lutte courageusement avec eux. Malgré leurs efforts, le Roi et sa famille sont conduits au Temple, les biens des émigrés sont séquestrés. Le 26 août, on expulse de France les prêtres non sermentés, sous peine de déportation à la Guyane… Longwy ouvre ses portes à l’armée de Brunswick, et, le 1er septembre, Verdun est assiégé. Tout Paris se lève en armes, la générale, le tocsin, le canon d’alarme retentissent. Sur l’Hôtel de Ville, un immense drapeau noir porte en lettres rouges ces mots : « Citoyens, la Patrie est en danger ». Danton s’écrie : « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la patrie est sauvée ! ». Le 3 septembre, Regnault de Beaucaron monte à la tribune pour donner des nouvelles de la Champagne, il dépeint l’enthousiasme de la population à voler au secours de Verdun, et énumère toutes les mesures prises pour la défense du pays. Il termine au milieu des applaudissements de l’Assemblée, qui ordonne l’impression de son discours et fait mention honorable de la conduite du département de l’Aube. Le 13 septembre, il défend encore les prêtres non assermentés qui risquent d’être immolés ou déportés à la Guyane française : « Rendez donc à la loi son énergie, aux autorités constituées leurs pouvoirs, au peuple sa tranquillité, aux prêtres insermentés la sûreté de leur existence… ». Sa proposition est adoptée, mais le 20 septembre, l’Assemblée législative est dissoute. A l’époque de la Terreur, les opinions de Regnault de Beaucaron ne sont plus en rapport avec celles de la députation que ses concitoyens envoient à la Convention, il écrit : « Bientôt des nuages nombreux ont obscurci l’horizon révolutionnaire et nous ont caché le soleil de la liberté. La délation a été érigée en vertu, le vol en action civique, le crime a levé hautement la tête, et l’innocence a été traînée à l’échafaud ». Il reprend à Ervy ses fonctions de juge, et en impose pas sa droiture et sa fermeté. A la demande des habitants, il compose plusieurs couplets en style patriotique, afin de célébrer Fleurus et les Victoires des armées françaises.
Le 2 nivôse an II (22 décembre 1793), son épouse Elisabeth Chauvel, d’ Ervy, après à peine 1 an de mariage, meurt à l’âge de 17 ans, lui laissant un fils Jean.
Après la Terreur, lors de la Constitution de l’an III, Regnault de Beaucaron est nommé au tribunal criminel de Troyes. Une des affaires les plus importantes dont Regnault a alors à s’occuper, est celle des « chauffeurs », brigands qui terrorisent le pays : « L’humanité gémit des crimes que commet cette horde scélérate, héros d’expéditions nocturnes, incendiant, tuant et pillant tout sur leur passage, ils ont pour chef un des assassins de de Launay, gouverneur de la Bastille, et de la princesse de Lamballe, Pierre Grison, qui, monté sur un cheval ferré en sens contraire, dépiste toutes les recherches avec ses marches et contremarches brusques et inexplicables, sa rapidité à franchir les plus grandes distances, ses déguisements, son astuce et la crainte qu’il inspire. Cependant, à la suite de 2 assassinats et d’un incendie, Regnault de Beaucaron le dénonce le 24 pluviôse an IV (février 1796) au Jury criminel. Grison finit, à force d’habileté, à se faire rendre la liberté. Mais après de nouveaux crimes, Regnault de Beaucaron, dont la vigilance était toujours en éveil, le fait mettre une seconde fois en arrestation avec un de ses acolytes Emery, qui correspondait avec Couriole, l’assassin du courrier de Lyon. Après un réquisitoire des plus énergétique prononcé par Regnault de Beaucaron, Grison et Emery sont condamnés à la peine de mort. Ils montent sur l’échafaud dressé place de la cathédrale Saint-Pierre de Troyes. « Fais ton métier, dit Grison au bourreau, d’une voix menaçante et en proférant un blasphème, fais ton métier, entends-tu, mais… ne me manque pas ! ». Nous lisons dans le « Moniteur » de 5 pluviôse an V (24 janvier 1797), que tout le monde a applaudi à la force et à l’énergie de Beaucaron. Poursuivant toujours, avec un zèle infatigable la répression des crimes, Regnault rédige un mémoire qui est imprimé dans les « Annales troyennes », sur la propagation du brigandage et les moyens de l’arrêter : « … il faut que la loi redouble de sévérité, que les vols avec effraction domestique soient punis de mort… Qu’est la peine des fers pour celui qui ne craint que la mort, surtout quand il espère pouvoir, quand il le voudra, briser ses fers sans courir risque d’une plus grande peine ?... Il faut salarier la gendarmerie, lui accorder des récompenses en cas de capture… Comment voulez-vous que le service à cheval soit bien fait par des hommes dont le traitement par mois ne va pas à 6 livres ?... Il faut qu’aucun crime ne soit impuni, et, pour cela faire, que la responsabilité des fonctionnaires publics ne soit pas illusoire… Il faut remoraliser le peuple… Semons l’instruction, le respect de la religion, l’amour de la loi civile… que la probité soit notre régulateur moral, comme la liberté est notre idole…». Le 17 messidor an V (7 juillet 1798), Regnault de Beaucaron envoie aux ministres de la police générale et de la justice… aux juges de paix, aux officiers de gendarmerie… une adresse énergique dans laquelle il leur énumère les crimes continuels des « chauffeurs », et les exhorte de la façon la plus pressante et la plus convaincante, à s’unir pour abattre « cet hydre aux 100 têtes, et opposer une ligue sainte aux efforts combinés des assassins »… Il exerce des poursuites contre les anciens terroristes… Regnault de Beaucaron aide le parti modéré à fonder le 1er thermidor an IV, afin de combattre les tendances révolutionnaires, un journal intitulé « Les Annales Troyennes ou Décadaires du Département de l’Aube ». Il y fait paraître le mémoire « sur la propagation du brigandage et les moyens de l’arrêter », quelques pièces en vers, plusieurs articles sur l’instruction publique et l’école Centrale (qu’il crée en 1795 avec Charbonnet, ancien recteur de l’Université et Bosc, chimiste, correspondant de l’Institut national). Lors de cette installation, Regnault de Beaucaron, dans un magistral discours dit : « … les professeurs ne seront admis qu’à la suite d’un examen :… les différentes parties de l’enseignement public : la grammaire, les littératures anciennes et modernes, l’histoire, la géographie, la physique, la chimie, l’histoire naturelle, la législation, les beaux-arts… la nécessité d’étudier, en même temps que les langues anciennes, les langues vivantes, l’anglais, l’allemand, l’italien, l’espagnol et même le Portugais… ». Il termine en rappelant que la poésie ne doit pas être négligée dans un pays, qui a donné naissance au dernier des troubadours, Thibaut de Champagne… il rappelle les grands hommes auxquels Troyes a donné naissance : Mignard, Girardon, les frères Pithou, Camusat, Eustache de Mesgrigny, Grosley… Bien entendu, il suscite comme toujours les applaudissements de l’assemblée. A chaque séance, il lit une épître de sa composition. Lors de la distribution des prix, il prononce un chant patriotique. Le Conseil des Cinq Cents ayant ordonné la fermeture du club des jacobins, les Annales prennent le nom de « Journal politique et littéraire du département de l’Aube », où il est écrit en tête du 1er numéro : « que la vérité portera son flambeau sur toutes les branches de l’ordre social, et que les restes impurs de la jacobinière y seront surtout surveillés ». Mais en l’an VI, le 18 fructidor (4 septembre 1798) ramène les révolutionnaires au pouvoir. Ceux-ci ne tardent pas à supprimer la liberté de la presse, et le journal suspend définitivement sa publication. Heureusement, les révolutionnaires ne restent pas longtemps les maîtres. Les rédacteurs des journaux disparus fondent à Troyes une « Société libre d’agriculture » qui prendra le nom de « Société libre d’agriculture, du commerce et des arts, du lycée du département de l’Aube », et est à l’origine de la « Société Académique », avec un journal qui porte le même titre. Tous les discours de Regnault de Beaucaron « reçoivent les applaudissements du public, qui lui accorde son suffrage ». Il compose des chants patriotiques. Après la chute des Jacobins, Regnault de Beaucaron rentre dans la magistrature, et est nommé Président du Tribunal à Nogent-sur-Seine. Il accepte le gouvernement nouveau de Bonaparte. Le 15 août 1806, il se prépare à célébrer la fête de Napoléon le Grand empereur des Français et roi d’Italie. Mais Nogent-sur-Seine va subir l’invasion et un siège terrible : le 7 février 1814, Napoléon est dans la ville, il fait démolir des maisons, construire des barricades… Les 9, 10 et 11 février, la garnison de 1.200 hommes lutte contre une armée 540 fois plus forte. L’ennemi se livre aux plus cruels excès : «… Le signal de l’incendie a été celui du plus affreux pillage. Il a commencé le 1er jour de l’arrivée des Russes et n’a cessé que lorsque la ruine et la dévastation de toutes les maisons de la ville ont été entièrement consumées… ». La maison de Regnault de Beaucaron a elle aussi été livrée au pillage, des officiers supérieurs russes s’étant mêlés aux pillards. C’est au milieu de l’incendie et du pillage, c’est au milieu des scènes de deuil et de douleur que des crimes inouïs et des actes de la plus grande férocité ont été commis « Il n’est aucun habitant qui ait été à l’abri des insultes des soldats russes… ». A peine est-on délivré de la guerre, que la disette, causée par la mauvaise récolte de 1816, fait son apparition. Des émeutes ont lieu à Nogent et aux environs. Regnault de Beaucaron est obligé de prononcer des condamnations sévères pour rétablir l’ordre et arrêter l’origine de plus graves soulèvements. Dans ces circonstances, comme dans toutes, il continue à exercer ses fonctions avec une intégrité exempte de reproches. Le culte des grands hommes est une des choses qu’il a le plus à cœur. En 1793, les bustes en marbre des illustres troyens qui accompagnaient le médaillon de Louis XIV, par Girardon, à l’hôtel de ville, avaient été enlevés et avaient même failli être détruits. En 1797, Regnault de Beaucaron propose de réunir ces bustes à la bibliothèque de Troyes, par une épître en vers insérée dans de nombreux journaux et flétrissant les actes de vandalisme, en particulier les mutilations faites au buste du chancelier Boucherat, à cause de ses insignes. Non seulement il est fier de ses concitoyens célèbres, et demande qu’on les montre aux enfants pour leur donner le désir de les imiter, mais il affectionne passionnément son pays natal : « Est-il possible de trouver au monde un pays plus, fertile que les environs de Troyes, c’est l’Ukraine de la France ! ». Aimant par-dessus tout le bien, il s’attache toujours à prouver que c’est seulement en le pratiquant que l’on sent le véritable prix de l’existence. Bien entendu, il exprime cette pensée, qui domine toutes ses oeuvres, ses poésies. En 1819, il fonde l’« Ecole d’enseignement mutuel de Nogent », société fondée pour la propagation de l’instruction. En 1821, Regnault de Beaucaron prend sa retraite de magistrat. Le 25 septembre 1828, 10 jours après le passage de Charles X à Nogent, il meurt entre les bras de son fils, terminant sa carrière comme il l’avait commencée, sous la royauté.
Regnault de Beaucaron a composé beaucoup de chants patriotiques, mais ses compositions ne sont pas uniquement anacréoniques, elles sont souvent très gauloises, romantiques parfois, caustiques dans beaucoup d’épigrammes, presque sentimentales dans quelques épitaphes. On a retrouvé des centaines de Poésies fugitives, de Fables et Moralités, de Contes, d’Articles littéraires, de Discours, de Mémoires, de Poèmes, de Pièces, et de discours !
Dommage que depuis plus de 200 ans, aucune municipalité de l’Aube n’ait songé à donner le nom de Regnault de Beaucaron à une rue, à ce compatriote dont la seule ambition fut de se rendre utile à sa Patrie, à son département de l’Aube et d’être un « honnête homme ».
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