La Révolution



Procès des auteurs du crime de Claude Huez


 

Les mesures de justice réclamées par l’indignation publique contre les auteurs des crimes du 9 septembre, ne tardèrent pas à être prises. Des étrangers, signalés pour avoir excité le désordre, s’échappèrent. La commission de Champagne se contenta de « déplorer un assassinat accompagné de circonstances qui ajoutent à un crime dont il n’y a pas d’exemple, chez les anthropophages, et qu’elle était sans pouvoirs et sans moyens pour remédier à tant de maux ». Parent, avocat du Roi à Troyes,   après avoir recueilli toutes les informations nécessaires, se rendit à Versailles, obtint une audience immédiate du roi et des ministres, et leur remit une lettre du président du comité, relatant les faits qui avaient eu lieu. Le roi et les ministres en furent indignés. Le comte de Saint-Priest, ministre d’état, écrivit le 12 au président du comité pour lui exprimer, de la part du roi, l’horreur dont ils avaient été saisis « au récit de l’assassinat commis sur la personne d’un vieillard et d’un magistrat respectable ». Il ne doutait pas que « MM. du comité n’employassent tous les moyens en leur pouvoir pour poursuivre les principaux auteurs de ces désordres affreux suivant la rigueur des ordonnances ». « Le même jour, le garde des sceaux écrivait aux officiers du bailliage dans les mêmes termes, en leur annonçant que des moyens efficaces allaient être pris pour assurer le cours de la justice ». Les arrestations commencèrent, et furent opérées avec une telle énergie par les compagnies d’élite et la maréchaussée, que le 14 il y avait 60 séditieux dans les prisons, et que le 16, le nombre des incarcérés montait à 93. Il y avait alors plus de 120 personnes dans les prisons. La loi, confirmée par les délibérations de l’Assemblée nationale, ordonnait l’exhumation du corps de la victime dans les procès criminels. Parent se fit ouvrir les portes de l’église Saint-Jean, et se rendit à une chapelle dédiée à la Vierge, où se trouvaient les fonds baptismaux. Claude Huez y avait été inhumé dans un caveau. Le procès-verbal du médecin Thiesset constate le spectacle lamentable qu’offrit la victime. Elle avait encore une corde au cou, la bouche remplie de foin, la tête et le corps couverts de contusions. Ce fut seulement en 1864 que, par les soins d’un des hommes les plus honorables de Troyes, M. Corrard de Breban, une inscription fut placée dans l’église Saint-Jean, au-dessus de la tombe de l’infortuné magistrat qui y repose. Les arrestations continuaient, surtout dans les environs de Troyes, par le soin des milices citoyennes. Augustin Picard, l’un des plus coupables, fut saisi à Piney le 15, d’autres à Dampierre, à Pont, à Thieffrain, à Vendeuvre. Le 21, les 2 frères Chaperon furent arrêtés à Troyes, comme inculpés d’avoir pris part aux troubles du mois d’août. Un monitoire de l’officialité est placardé relatant les événements qui s’étaient passés : « Tous ceux et celles, qui connaissent les quidams ou quidames qui ont pris part à ces crimes, sont tenus à révélation, sous peine d’excommunication ».  Les échevins et les notables rentrèrent le 30 en fonctions. Au commencement de la séance de ce jour, Comparot de Longsols, remplissant les fonctions de maire, prononça l’éloge de l’infortuné Claude Huez, et se fit l’organe des regrets qu’il inspirait. L’échevinage prit le même jour deux mesures efficaces : l’une qui donnait une prime de 300 l. au cultivateur qui apporterait le plus de grains au marché, l’autre, qui chargeait la garde citoyenne et les troupes de prêter main-forte aux percepteurs pour le paiement des impôts.

 

Quelques jours après la chute du comité, le procès des auteurs des crimes du 9 septembre est commencé sous la direction de prévôt général de la maréchaussée de Champagne. Le bailliage de Chaumont se transporte le 2 octobre à Troyes pour procéder à l’instruction et au jugement.

 

145 témoins sont interrogés. Les prisons étaient remplies d’accusés. Elles étaient établies dans les bâtiments subsistants de l’ancien château des comtes de Champagne, situé entre le couvent des Cordeliers et les remparts. Les criminels, les déserteurs et les mendiants étaient entassés, le jour, dans une grande salle appelée la calamité. La nuit, on les enfermait, au nombre de 5 ou 6, dans des cachots noirs.

 

L’agglomération de 200 prisonniers enfermés dans des salles trop étroites, mal nourris, mangés par la vermine, infectés par les immondices, amena une épidémie. Plusieurs d’entre eux en moururent, et le geôlier lui-même fut parmi les victimes.

 

Des plaintes furent adressées à l’Assemblée nationale. Le président, dans la séance du 24 octobre 1789, se préoccupa de « la malheureuse affaire de Troyes ». La municipalité nomma, parmi les citoyens de probité reconnue, âgés de 25 ans, 16 adjoints pour assister les magistrats chargés de l’instruction. Les mesures de police les plus rigoureuses avaient été prises pour maintenir l’ordre pendant le cours du procès.

 

Le 30 octobre, dès le matin, des perquisitions furent faites dans les maisons pour connaître le nombre, l’état et les ressources des personnes qui les habitaient, et s’assurer des armes qui se trouvaient entre des mains suspectes. Elles avaient aussi pour but de reprendre les fusils et les sabres appartenant au bataillon de la milice provinciale dont le peuple s’était emparé le 27 août. A partir du 1er novembre, la retraite des bourgeois fut sonnée à 10 heures du soir, elle était suivie de la fermeture immédiate des cabarets et des billards. Enfin, la tranquillité publique paraissant en péril, la municipalité, en conformité du décret de l’Assemblée nationale du 21 octobre, fit proclamer la loi martiale le 8 novembre, et procéder à la bénédiction du drapeau rouge. La loi martiale fut publiée sur les principales places et carrefours de Troyes, par des huissiers du bailliage accompagnés des sergents de l’échevinage, et escortés d’un détachement des différentes compagnies de la garde nationale. Le drapeau rouge, après avoir été promené dans toutes les rues, fut arboré à l’hôtel de ville. Dès lors, tous les attroupements avec ou sans armes devenaient criminels et devaient être dissipés par la force.

 

Ces mesures paraissaient nécessaires au moment où toute la ville était divisée par l’émotion causée par le procès. Des mémoires imprimés étaient publiés journellement, répandant la médisance, l’invective et le scandale. 

 

« On ne se parlait plus entre amis lorsqu’on se trouvait 3 ou 4 personnes ensemble, on n’osait dire son sentiment, on craignait de déplaire aux uns en soutenant les autres, et l’on était forcé de se taire pour ne point se faire d’ennemis, et pour éviter les délations des espions dont la ville, croyait-on, était remplie ». Les crimes commis avaient été si grands, qu’on voulait croire qu’ils avaient été excités par des émissaires étrangers.

 

Le public se pressait dans la grande salle de l’hôtel de ville, pour entendre les plaidoiries. « La fermentation » produite par ces plaidoiries, par les débats qui durèrent plusieurs jours et par la résistance des membres de l’ancien comité, s’accrut par le bruit du prochain départ de la garnison. Le commandant du régiment était allé en effet trouver le ministre de la guerre, La Tour du Pin, pour demander l’ordre de se rendre à Toul, avec ses troupes. La principale raison qu’il faisait valoir, c’était que les officiers payaient « 3 livres un dîner à sec ». La municipalité écrivit aux ministres pour exposer le danger que ferait courir à la ville de départ des troupes dans un moment où l’effervescence était grande, et où des placards insurrectionnels étaient chaque jour affichés. Saint-Georges s’adressa au ministre de la maison du roi : « Quoique je trouve, lui écrivit-il, qu’un dîner de 3 livres et à sec soit une chose fâcheuse pour un officier suisse, je ne crois pas que ce malheur emporte avec lui la nécessité absolue du déplacement des 800 hommes qui sont à Troyes ». Le ministre fut de cet avis. Le meurtre de Claude Huez avait fait impression. Necker écrivait le 16 novembre aux échevins que cet événement affreux leur imposait l’obligation de redoubler de vigilance pour rappeler à l’ordre et à leur devoir ceux que la passion ou les mauvais conseils continueraient encore d’égarer. Pour arriver à ce but, les troupes étaient nécessaires ; elles furent maintenues. Quelque temps après, Saint-Georges dut faire de nouvelles démarches pour empêcher le départ des Hussards, qui était demandé par leur colonel. Elles furent, comme les premières, couronnées de succès. La présence de ces troupes était plus utile que jamais au moment où le grand prévôt allait rendre son jugement. L’arrêt fut prononcé le 27 novembre. Il frappait sur des hommes obscurs, sans opinions politiques, qu’une sorte d’instinct féroce, surexcité par l’agitation des esprits, avait porté aux crimes. Il condamnait Claude-Augustin Picard à être rompu vif, et Jean Abert à être pendu pour avoir participé à l’assassinat de Claude Huez. Jacques Roussaint, Christophe Harlot et la femme Joannes à être pendus pour avoir traîné son cadavre. Trois accusés étaient envoyés aux galères à perpétuité pour avoir pillé et volé, deux autres, Haillot et Denis, étaient bannis pour 9 ans de la généralité de Champagne. Trois étaient punis de la réclusion, quatre simplement blâmés et frappés de 3 l. d’amende. Douze étaient acquittés, 33 individus étaient arrêtés. Le jugement fut imprimé à 1.200 exemplaires et affiché partout dans la ville et les environs. Comme il était sans appel, il fut exécuté dès le lendemain. Ce jour-là, 28 novembre, la ville de Troyes présenta le spectacle terrible d’exécutions multiples. Les rues et les carrefours étaient occupés par des gardes suisses. Les hussards parcouraient la ville à cheval, le sabre à la main. Aucun mouvement, aucun cri ne se produisirent. Un échafaud et un gibet s’élevaient sur la place du Palais, deux gibets au marché à blé, un gibet à l’hôtel de ville. Picard, après avoir été faire amende honorable devant la porte de la cathédrale au palais et à l’hôtel de ville, fut rompu et étranglé secrètement sur la roue, devant le palais. Albert fut pendu sur la même place. La femme Joannes fut pendue devant l’hôtel de ville, Toussaint et Harlot furent pendus au marché à blé. D’autres condamnés furent exposés sur des échafauds, attachés au carcan, avec des écriteaux sur la poitrine. L’un d’eux fut marqué au fer rouge sur les deux épaules, après avoir été conduit au marché à blé, pour assister à l’exécution de Toussaint.

 

Après le châtiment des coupables, il était juste qu’un hommage public fût rendu à la victime. Il avait été décidé, dès le 30 septembre qu’un service solennel pour le repos de l’âme de Claude Huez serait célébré à Saint-Jean. La cérémonie eut lieu le 3 décembre à la cathédrale. Les officiers du bailliage et de la municipalité, la garde nationale en grande tenue y assistèrent. Les arquebusiers dont le maire était capitaine, entourèrent le catafalque qui avait été dressé en son honneur au milieu de la nef.

 

L’instruction fut reprise dan la deuxième quinzaine de janvier 1790, et 272 nouveaux témoins furent interrogés. Un jugement du 9 février condamna un des accusés, Bouchot, à être rompu, et un autre, Cossard, à être pendu.

 

Le temps de la rigueur étant passé, l’influence du bailliage et de ses partisans diminuait de jour en jour. Un certain nombre d’accusés furent rendus  à la liberté. Dans la transformation des institutions qui s’opérait alors, ce long procès, commencé au milieu de si vives émotions, s’est terminé sans bruit. On réhabilita les coupables, en les indemnisant, ainsi que les parents des condamnés. Le fils de la femme Joannes, les 3 enfants de Jobert, la veuve de Harlot, la mère d’Abert reçurent chacun de 10 à 200 l.. Etienne Raucourt, condamné aux galères, fut relâché en avril 1792 et eu 235 l. d’indemnité. On alloua aux autres, délivrés des fers et des galères, de 205 à 25 l.. Enfin, plus de 50 personnes, qui avaient été arrêtées préventivement ou retenues en prison pendant un espace de temps inférieur à 1 an, reçurent proportionnellement de 30 à 50 l.

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