Le 2 mai 1792, la municipalité établit à la maison commune un comité permanent de surveillance composé de 2 officiers et de 2 notables. Ils sont chargés de vérifier les passeports, de recueillir les différents avis concernant la sûreté, de recueillir les différents avis concernant la sûreté et la tranquillité publiques, de les communiquer à leurs collègues, et de décider provisoirement sur les faits qui pourraient se produire pendant la nuit.
La justice agissait de son côté contre les adversaires de la Révolution. Le commissaire du roi signalait au ministre de la justice des « manœuvres cachées, des crimes secrets », et le ministre louait la vigilance des corps judiciaires en même temps que celle de la municipalité. Ils se gardaient de poursuivre ceux qui insultaient le roi, mais ils condamnaient ceux qui proféraient des « propos incendiaires » contre l’Assemblée, l’évêque, les prêtres assermentés, la garde nationale et l’armée. Il y avait des actes de résistance courageuse contre l’opinion révolutionnaire, qui dominait de plus en plus. Trois officiers municipaux, Payn, Rondot et Bourgoin, donnèrent leur démission pour ne pas procéder, avec les commissaires du district, au séquestre des biens des émigrés. Ils témoignaient ainsi de leur répugnance à concourir à la violation de la propriété décrétée par l’Assemblée. La municipalité essayait de résister à l’ascendant chaque jour plus grand que prenait sur elle la Société des Amis de la Constitution. A la suite de la déclaration de guerre, ils lui avaient signalé la ville comme infectée de la plus violente aristocratie et du plus cruel fanatisme. Plus de 500 prêtres réfractaires, suivant eux, répandaient secrètement et quelquefois ouvertement leurs « mortels poisons ». La Société avait provoqué les mesures de surveillance prises le 2 mai. Pour attester son autorité, elle résolut d’arborer le drapeau tricolore sur le tour Saint-Pierre. La municipalité, priée d’en régler le cérémonial, objecta qu’elle ne pouvait autoriser cette manifestation sans avoir visité les lieux et sans avoir fait faire un devis. Elle ne s’y opposait pas, mais elle n’y assisterait pas en corps. La journée du 20 juin acheva la déchéance morale du roi et le triomphe de ses adversaires. Les Amis de la Constitution voulurent montrer leur force par une manifestation imposante. Ils cherchèrent à frapper le peuple par des signes extérieurs qui exaltaient leurs principes, et en attendaient le succès. La municipalité et tous les corps constitués sans exception, en assistant à cette cérémonie, lui donnèrent une signification plus grande. Le vendredi 29 juin, jour désigné pour l’inauguration du drapeau tricolore qu’on appelait le drapeau de la liberté, un cortège imposant partit de l’hôtel-de-ville pour se rendre à Saint-Pierre. La gendarmerie ouvrait la marche, avec 12 tambours et plusieurs compagnies de la garde nationale portant un drapeau sur lequel étaient inscrits ces mots : « Liberté, nous avons juré de te maintenir ! ». Des citoyens de tout âge et de tout sexe venaient ensuite, avec une bannière où l’on pouvait lire : « Fête de la Liberté ! ». D’autres Groupes, séparés par des compagnies de gardes nationaux, portaient la table des droits de l’homme et le buste de Mirabeau, le front ceint d’une couronne civique, avec ces devises : « Auguste philosophe, nous te devons ce chef-d’œuvre immortel. Le salut du peuple fut ma suprême loi ». Des jeunes gens âgés de moins de 18 ans, inscrits parmi les Amis de la Constitution, tenant à la main des branches d’arbres, précédaient 50 hommes vêtus de blanc, armés de piques, et portant cette inscription : « Nos piques sont pour repousser les ennemis de la liberté ». Enfin venait, traîné par 4 chevaux, un char décoré de verdure, sur lequel était dressé un mât au sommet duquel flottait le drapeau surmonté du bonnet de la liberté. Sur le char étaient assises 16 jeunes citoyennes toutes habillées de blanc, la tête ornée de fleurs, avec une écharpe aux 3 couleurs, et tenant chacune cette devise : « Point d’époux, s’il n’aime la liberté ». Une autre jeune fille représentait la Liberté elle-même, debout, portant une pique surmontée du bonnet rouge. La compagnie de vétérans formait un cercle autour du char. Lorsqu’il arriva sur la place Saint-Pierre, l’évêque Sibille vint bénir le drapeau, et le vicaire épiscopal prononça au milieu des applaudissements, un discours patriotique. Le drapeau fut ensuite monté sur la tour de la cathédrale, où il fut arboré à l’extrémité d’une flèche de plus de 30 pieds, élevée sur la plate-forme. Le surlendemain, le drapeau tricolore fut également placé dans l’intérieur de la salle de spectacle.
Le parti révolutionnaire sentait la nécessité d’imposer confiance au peuple et d’exciter son enthousiasme par des fêtes civiques répétées. Le serment fédératif du 14 juillet lui fournit une occasion nouvelle de faire apprécier l’imagination de ses organisateurs. Sur la place Saint-Pierre fut élevé un autel, entouré de 6 portiques de feuillages dominés par un faisceau surmonté d’une pique de 30 pieds de haut. L’autel était orné du buste de Mirabeau, devant lequel on ne cessa de brûler de l’encens. Sur chacune des 6 enceintes flottait un drapeau tricolore, portant le nom d’un des districts. A la suite de la messe, célébrée à cet autel par Sibille, les gardes nationaux de la ville et des environs, ainsi que tous les spectateurs, renouvelèrent le serment civique entre les mains du maire. Celui-ci leur adressa un discours enthousiaste. Le directoire de l’Aube écrivit au roi pour lui témoigner « les sentiments de douleur dont il avait été pénétré au récit des outrages qui lui avaient été faits, et lui manifester ses vœux les plus formels pour que les auteurs et les instigateurs de ces crimes fussent poursuivis et livrés à la sévérité des lois ». Vaines protestations ! Vœux stériles, qui devaient trop tôt être reniés par ceux qui avaient eu le courage de les faire !
L’administration départementale fut constituée en permanence par le décret qui déclara la patrie en danger. L’exécution du décret sur l’obligation de porter la cocarde nationale amena des vexations nouvelles. Des moissonneuses, qui ne les connaissaient pas, furent arrêtées aux portes de la ville, des enfants et des femmes furent insultés et molestés pour la même cause. Les royalistes prétendaient que la municipalité mettait le plus grand zèle à faire exécuter ce décret, parce qu’un de ses membres était marchand de cocardes. L’Assemblée avait proclamé que la patrie était en danger. Aux termes du décret qu’elle avait voté, tous les citoyens faisant partie de la garde nationale étaient mis en activité permanente et tenus de choisir parmi eux ceux qui marcheraient les premiers au secours de la patrie. Le directoire du département avait écrit pour stimuler l’indifférence des municipalités et chercher « à échauffer leur civisme, pour presser l’inscription des citoyens que la patrie appelle et que la gloire attend. Nous ne ferons pas cette injure aux jeunes citoyens du district de croire qu’il ne se trouvera pas parmi eux des hommes de courage qui iront partager la gloire des gardes nationaux qui volent aux frontières de tous les points du royaume. Mais, s’ils trompaient les espérances de la patrie, que les pères de famille les remplacent. Les citoyens aisés se feront sans doute un devoir d’aider leurs épouses à nourrir leurs enfants ».
Dès le 11 juillet, la municipalité adressait un appel aux armes à ses concitoyens : « Levez-vous, et préparez-vous au combat. Le temps de la vengeance est arrivé. Elle est à moi, et je la ferai éclater, dit le Seigneur, le Dieu des armées ». La loi sur le danger de la patrie fut publiée avec solennité le dimanche 12 août. Des estrades furent élevées sur le perron de l’hôtel de ville, au carrefour des Quatre-Vents et sur la place Saint-Pierre. Sur chacune d’elles fut établi un bureau tenu par un officier municipal et 2 notables, pour recevoir les engagements volontaires. Le drapeau rouge fut arboré aux fenêtres de la maison commune, avec cette inscription « La patrie est en danger ». 2 négociants promirent de donner 2 sous de haute paie quotidienne à tous ceux qui s’inscriraient dans le jour pour s’enrôler dans l’armée de ligne ou les corps volontaires nationaux. Le nombre se monta à 52.
Le manifeste de Brunswick, publié le 26 juillet, souleva le sentiment national. Il contribua à lui faire accepter l’invasion de Tuileries, qui eut lieu de 10 août, et la suspension de Louis XVI. Un courrier extraordinaire du 11 août apporta les pièces officielles contenant les décisions que l’Assemblée avait prises la veille. Le conseil général du département convoqua immédiatement le district et la municipalité, pour aviser aux mesures les plus promptes et les plus capables d’assurer le maintien de l’ordre et le respect qui devait « être porté aux droits sacrés de l’homme et des propriétés ». Une affiche sur les murs de la ville apprit aux habitants de Troyes les graves événements qui venaient de s’accomplir : « L’Assemblée nationale déclare : Que le roi est suspendu, et que lui et sa famille restent en otages. Que le ministère actuel n’a pas la confiance de la nation et que l’Assemblée nationale va procéder à le remplacer. Que la liste civile cesse d’avoir lieu ». La chute d’une monarchie séculaire, qui naguère inspirait tant de respect et d’attachement, fut accueillie avec plus d’émotion que d’enthousiasme. La statue de Louis XIV fut enlevée le 17 de la façade de l’hôtel-de-ville. Le 18, furent arrachés les bustes, écussons et autres signes qui rappelaient la féodalité ou d’anciennes distinctions placés à l’extérieur des maisons et dans les cours apparentes. Le 19, les personnes soupçonnées d’aristocratie ou d’être en rapport avec des émigrés, furent soumises à des perquisitions et forcées de remettre les armes et les munitions qu’elles avaient. Lors de visites domiciliaires qui furent faites le 20 août, on trouva chez le chanoine Fardeau, un autel orné de tous les accessoires nécessaires au culte catholique. Ce prêtre avait été suspendu de ses fonctions en 1757, pour refus de sacrement à une de ses paroissiennes jansénistes et n’avait pas prêté serment. L’autel fut renversé par les gardes nationaux, les vases sacrés enlevés. Le chanoine voulut sortir de la ville, déguisé en charretier. Malheureusement, il fut reconnu par une femme et conduit à l’hôtel-de-ville où le peuple voulut lui faire prêter serment, le menaçant de mort s’il résistait. Sur son refus, il fut conduit à la prison. La foule, les femmes surtout demandèrent à grands cris la tête du prêtre insermenté. Le geôlier eut la faiblesse de livrer son prisonnier à ceux qui demandaient sa mort. Fardeau répondit qu’on lui couperait la tête plutôt que de prononcer « Vive la Nation ». Les volontaires se précipitèrent sur lui, l’un d’eux lui trancha la tête avec une hache. Cette tête ensanglantée, après avoir été lavée dans la rivière, fut promenée dans toutes les rues et portée à l’hôtel-de-ville par un « cortège hideux », précédé de tambours. Ce crime affreux, qui rappelait les horreurs du massacre de maire Claude Huez (voir le chapitre), répandit dans toute la ville l’agitation, la terreur et la consternation. On craignait d’autres excès pendant la nuit. Les prêtres insermentés, frappés de crainte, se cachaient ou se rendaient en toute hâte à la municipalité pour prêter serment. Des bandes de volontaires, maîtres de la ville, allèrent dans tous les couvents chercher les religieuses, et, le sabre à la main, les conduisirent à l’hôtel-de-ville, où elles durent aussi prêter serment. La tête de Fardeau y était encore exposée. Le 21 août, à la cathédrale, un grand nombre d’enfants de 3 à 6 mois fut baptisé dans la journée par les prêtres constitutionnels. Le même jour, les corps administratifs prêtèrent le nouveau serment de liberté et d’égalité. La liberté, malheureusement, n’existait plus, et l’égalité ne pouvait exister sans la liberté. L’Assemblée législative avait condamné au bannissement les prêtres insermentés. Un grand nombre se dirigea vers les frontières, et passa par Troyes. Les prêtres de cette ville vinrent demander des passeports à la municipalité. On leur en accorda d’abord, puis on fit observer que leur départ aurait pour résultat de leur permettre « de se rassembler sous l’aigle germanique et de se baigner dans un sang que de lourdes manœuvres à l’intérieur n’avaient pu jusqu’ici faire répandre dans le département de l’Aube ». La municipalité troyenne ordonna de surseoir à la délivrance des passeports, et d’empêcher de sortir de la ville les prêtres qui en étaient munis. (Voir la suite, chapitre Hion).
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