L’agitation produite par les événements qui suivent l’exil du Parlement, s’accroît et s’aggrave par une crise commerciale et une disette « telles qu’on n’en a point vu depuis de longues années ».
Le traité de commerce, conclu le 26 septembre 1786 avec l’Angleterre, a été particulièrement sensible à la ville de Troyes. Son industrie a, il est vrai, perdu de son importance et s’est modifiée depuis le moyen-âge. Les papeteries, si nombreuses au XVI° s., sont réduites à 2 ; les tanneries ont diminué de moitié depuis 1759, époque à laquelle on a établi un droit sur les cuirs.
Mais la principale industrie de Troyes s’est relevée en partie de sa décadence, dans le courant du XVIII° s. et surtout au commencement du règne de Louis XVI. Elle occupait 12.000 ouvriers et fournissait les plus belles et les meilleures toiles de lin et de coton que l’on put trouver dans le royaume. Les blanchisseries établies sur les bords de la Seine, avaient une réputation méritée, et concourraient à la renommée des toiles tissées dans la ville. Il y avait aussi des manufactures de serges, de draps et de ratines ; mais c’était surtout l’industrie des toiles de coton qui avait fait de grands progrès depuis 1765 ; à cette époque, elle était concentrée dans l’intérieur de la ville et ne comprenait que 900 métiers ; en 1785, elle en comptait 3.700 ! La fabrication de la bonneterie, qui devint bientôt une des sources de la prospérité de Troyes, y avait été introduite vers 1750, pour faire travailler les orphelins de l’hôpital de la Trinité, elle occupait 400 métiers.
Par le traité de commerce, conclu par le comte de Vergennes, la France fut inondée de produits étrangers, et le commerce de Troyes en reçut une profonde atteinte : « cette ville qui soutient une des plus importantes manufactures du royaume, les voit entièrement dépérir. De 2.600 métiers montés en décembre 1786, 1.500 sont détruits à la fin de novembre 1787. 30.000 infortunés qui habitent cette ville vont être dénués de toute ressource », dit le rapporteur de la commission de bien public. La caisse d’escompte envoie 2.500 livres pour les ouvriers sans ouvrage.
Il se forme à Troyes, pendant l’été de 1788, une société militaire de bienfaisance affiliée à la franc-maçonnerie.
La tranquillité de la ville est menacée par les hommes que le chômage réduit à la misère. L’échevinage établit une garde de nuit pour empêcher les vols et les incendies. Le maire Claude Huez envisage l’avenir sous de sombres couleurs, lorsqu’il voit « le commerce ruiné partout, la confiance perdue, une augmentation de dépenses en même temps qu’une diminution de recettes de droits, et une agitation dans les esprits qui peut causer bien des maux et qu’il ne paraît pas que l’on se dispose à apaiser ».
La mauvaise récolte vient mettre le comble à la triste position des classes nécessiteuses. C’est l’agriculture qui supporte tout le poids des impôts et des charges publiques. Le 6 août 1787, l’avocat général Séguier dit au roi que les impositions existantes et projetées enlèvent à chacun de ses sujets au moins le tiers de ses revenus avec une proportion bien plus forte pour l’agriculture : « la plus légère augmentation d’impôt ferait déserter les terres à tous les cultivateurs ». Il est certain que les campagnes se dépeuplent, et que l’agriculture en souffre. Il est naturel que le paysan aille chercher à la ville un travail plus lucratif et moins pénible. L’assemblée provinciale affirme alors que de 1774 à 1787, le nombre des cultivateurs a diminué en Champagne de 35.172 à 25.000.
L’industrie s’est répandue depuis quelques années dans les campagnes : la tissanderie, la bonneterie, la filature, la mécanique y trouvent de nombreux ouvriers. Il y a plus de 600 métiers aux environs de Troyes et d’Arcis. Dans certaines campagnes, on se loue de l’introduction des métiers, parce qu’ils diminuent le nombre des pauvres.
« Les esprits sont aigris. Aux maux de la pénurie s’ajoutent la défiance, la haine, l’injustice ». Cela est aggravé par un hiver exceptionnel (voir dans « La vie à Troyes » , le sous-chapitre « intempéries », 1788-1789, 2 enfants morts).
La municipalité, l’intendance et le clergé unissent leurs efforts pour remédier à de pareilles souffrances. Des ateliers de charité sont ouverts: élargir le lit de la rivière à St-Julien, agrandir les canaux, niveler les terrasses de remparts… Les ouvriers sans ouvrage sont admis à y travailler sur la production d’un certificat délivré par les curés ou les dames de charité. Mais, c’est une faible ressource pour conjurer un chômage persistant et une famine imminente.
La ville emprunte 17.800 livres et établi un bureau de charité de concert avec l’évêque, qui y verse 12.000 livres, et les chapitres qui souscrivent pour une somme égale. Les ouvriers employés aux ateliers de charité gagnent 12 sols par jour, tandis que le pain vaut 4 sols la livre !
Mais, à cette époque, les préoccupations politiques des dirigeants dominent toutes les autres. La convocation des électeurs, leurs réunions, la discussion et la rédaction de leurs vœux, l’élection des députés, font oublier les misères du moment, en ouvrant aux esprits les vastes perspectives de la réforme des abus et du perfectionnement des institutions.
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