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Jean Nesmy


Jean Nesmy n’est pas pour moi un nom inconnu. Il était le père de l’un de mes camarades de collège, José Surchamp, qui est aujourd’hui moine à l’abbaye bénédictine de La Pierre qui Vire, sous le nom de Dom Angelico Surchamp, et dont j’aurai prochainement l’occasion de lui consacrer aussi un chapitre sur mon site.

 

         Bien qu’il soit né à Marc-la-Tour au pays limousin le 11 juillet 1876, et qu’il ait fait ses études secondaires au Collège de Brive et au Lycée de Moulins, Henry Surchamp, frais émoulu de l’Institut national agronomique prolongea son stage dans l’Aube en un séjour définitif.

 

         Garde général des Eaux et Forêts, il épouse le 23 septembre 1902 Mlle Lucie de La Boullaye, de vieille famille troyenne. Fixé à Troyes, il a la chance de ne pas sacrifier pour autant son avancement : il est nommé sur place inspecteur-adjoint à trois galons. Pour en ajouter un quatrième, il devient inspecteur à Bar-sur-Aube. Le poste d’inspecteur principal étant vacant, il lui faudra bien résider quelque temps à Bar-le-Duc. Il revient terminer à Troyes sa carrière.

 

La sœur d’Henry Surchanp et son mari étaient instituteurs (comme son père) à St Ferreol en Corrèze.

 

La littérature prend alors une part importante de son activité. Son éditeur est le célèbre Bernard Grasset qui a lancé Mauriac, Montherlant, Maurois… Les succès de Jean Nesmy sont croissants : « Jean le Loup » en 1914, « L’Ame de la Victoire » en 1918, « Pour marier Colette » en 1919. Après « L’Arc-en-Ciel », vient « Le Roman de la Forêt », grand succès de librairie pour l’époque, « Les quatre saisons de la Forêt » en 1922, « La Féérie des bois » en 1927, « L’Arbre et la Forêt » en 1930, un « Alphabet de la Forêt », « Au cœur secret des bois » en 1951.

 

Parallèlement, il donne des romans d’analyse psychologique et morale : « L’Amour dans le brouillard » en 1923, « Un cœur en tutelle » en 1925 et surtout « Le Miroir en éclats » en 1929. Dans « Les Egarés », Jean Nesmy aborde la question vitale de la formation de l’enfance. Nous transportant dans le milieu des instituteurs, il nous montre l’école « enjeu de nos luttes, source de la nation, puisqu’en ses murs se forme, se développe, prend de l’aile et se prépare à l’essor l’âme nationale. Souillez l’eau de la source, tout le fleuve est souillé. Aussi s’agit-il de maintenir la conscience de l’enfant, délicate comme un papillon, dans la tradition chevaleresque qui est celle de la France… Ne laissons pas pratiquer le déboisement moral de la France, ni certains égarés, prétendus serviteurs du progrès, enlever à la légère des cœurs d’enfants ce qui est vert, ce qui est éternel, ce qui chante ! ».  

 

Paraissent aussi des recueils de nouvelles aux titres caractéristiques : « Les Contes limousins » en 1925, « A l’ombre des châtaigniers » en 1930.

 

L’œuvre maîtresse de Jean Nesmy, la plus originale, celle où il est le plus complètement dans son élément et en même temps la plus intéressante pour nous au point de vue régional est donc « Le Roman de la Forêt ». La forêt dont il s’agit est ce pays d’Othe, cette région située entre Sens et Troyes, en grande partie boisée, avec ses hameaux noyés dans la verdure, ses clairières, ses vergers riches en pommiers à cidre. Lui, qui a si souvent parcouru la forêt, est un familier de ce royaume des hêtres, des charmes, des bouleaux, des cerisiers, des saules, des chênes dont certains élèvent leur ramure centenaire jusqu’à 18 mètres. Quel contraste entre cet épais boccage et le paysage aride et crayeux des alentours. Dans cette contrée isolée, la forêt fut bienfaisante aux premiers hommes, leur procurant fruits, gibier, logement, outils, chauffage, cuisson, tout ce qui leur assurait à la fois nourriture et sécurité. Petit à petit, avec la civilisation, l’arbre est devenu l’ennemi par l’abri trop généreusement offert à toutes sortes de dévastateurs de récoltes. Aussi, ce fut la grande œuvre des moines du moyen âge, Cisterciens et Prémontrés, d’avoir été les premiers défricheurs de la région, permettant culture et élevage. Il faut arriver à la fin du XIX° siècle, avec la crise agricole et le dépeuplement des campagnes, pour arriver à la revanche de l’arbre. Jean Nesmy aime les humbles et les évoque avec vérité et sympathie. C’est le cadre de la forêt d’Othe qui fait la grandeur de ce roman. On y entend sonner les cloches de Jeugny, tandis que les gars boivent un coup de cidre du pays. Il est souvent question de Maray-en-Othe. C’est la petite gare d’Auxon avec son train pour Troyes. Ce sont les oiseaux : « Ecoutez le pinson, la gorge rousse au vent, la pointe de l’aile frémissante sur la broderie blanche, il proclame avec fierté son insouciance à tout venant… ». La description s’enrichit d’éléments précis, par exemple, d’une étude des bourgeons : « Ceux du hêtre, allongés comme des grains d’avoine, sont couleur d’écureuil, ceux du chêne, au cœur desquels sommeille tant de force et de vie, ont la teinte des cendres, sous lesquelles un feu couve, ceux du charme sont d’élégants fuseaux d’un brun doré, dont la pointe émoussée s’est éclairée de vert, ceux de l’érable champêtre vont 2 par 2 sur la tige terreuse et côtelée… ».

 

Il y a ces vers de Jean Nesmy sur les pins de Champagne pouilleuse : « Voici la plus mauvaise terre de France, pâle, anémique. Le premier soleil de l’été la fait défaillir et tomber en poussière. Rien ne veut y venir qu’un peu de rhinante crête de coq, quelques laiterons pour ces lapins qui abondent et achèvent de la ruiner, et 2 ou 3 graminées des plus maigres. Une terre de misère s’il en fut… Mais notre généreux Pin Noir s’en accommode… C’est ainsi qu’à nous vouer de tout cœur à ces tâches ingrates, nous transformons en terres laborieuses et fertiles les vieilles terres paresseuses, fatiguées, usées et leur redonnons jeunesse et verdeur. En moins d’un demi-siècle voilà des régions transformées, presque méconnaissables… Là-bas en Champagne, pas sitôt la terre amendée, enrichie de nos dépouilles, fertilisée au prix de quel labeur, à d’autre que nous cet humus gras, opulent, savoureux que nous pensions léguer à nos enfants pour leur faire une existence moins pénible. Nous, avons été les pionniers de la première heure, de véritables serfs ne besognant que pour le seigneur ».

 

Dans « La Lumière de la Maison », si la ville industrielle dans laquelle se déroule l’action n’est pas nommée, comment ne pas reconnaître les quartiers ouvriers et pittoresques du vieux Troyes, appelés à disparaître chaque jour devant les exigences du confort et de l’hygiène ? Le logement, centre du récit, est une de ces maisons branlantes « petites vieilles tassées à croupetons, couturées, lézardées, demi-borgnes, demi-boiteuses… ».

 

« Arts, Lettres, Histoire », tel est le titre du n° 109, juillet 1976, de la revue trimestrielle « Zodiaque ». Jean Nesmy étant mort en 1959, « Zodiaque » prend donc occasion de ce centième anniversaire de sa naissance pour lui rendre, et à l’homme qu’il fut, « un modeste et chaleureux hommage ». Chacun des deux des fils de Jean Nesmy, moines bénédictins à la Pierre-qui-Vire, a signé un texte de présentation, aussi remarquable qu’émouvant : « Jean Nesmy 1876-1959, l’homme » de Dom Angelico Surchamp (José Surchamp a été au collège avec moi), et « Un cœur qui écoute… » de Dom Claude Jean-Nesmy. Suivent 18 pages de textes de Jean Nesmy, extraits de « Les quatre saisons de la Forêt et de La féérie des bois », avec 18 très belles photographies.

 

C’est en observant, au cours de ses tournées dans les bois, les animaux de tous genres, les bûcherons couverts de ramée et les seigneurs en chasse qu’il a appris à bien connaître les hommes.

 

En conclusion, l’œuvre de Jean Nesmy « déborde de santé morale, de la sève la plus riche au plus profond du sol natal. Ce qu’elle nous enseigne ce n’est pas le culte aveugle de la tradition, c’est le respect de tout ce qui vit, condition absolue de tout progrès… Ami des humbles, il s’attache à l’étude de leurs âmes, de leurs inévitables défaillances, mais aussi de leurs relèvements, jusqu’au fond des chaumières villageoises, des taudis de la ville et des huttes de bûcherons. Il sait, en restant vrai, illuminer son œuvre par la radieuse vision du devoir » (Henry Brongniart, Président de Tribunal civil de Bar-sur-Seine, membre de la Société Académique de l’Aube, en 1933).

 

Le 10 avril 1959, Henry Surchamp décède : « Le sens de la vie, c’est préparer l’autre », avait-il coutume de dire. Ses funérailles eurent lieu le 15 avril en l’église Cathédrale de Troyes.

 

Il participa à la Grande Guerre, servant d’abord comme officier au Fort de Gironville, puis termine chef de Bataillon de réserve, pour fournir  du bois aux tranchées.

 

De son mariage il eut 6 enfants. Tous ont fait une belle carrière. Deux ont été directeurs de banque, un a suivi les cours de l’Institut Agronomique et de l’Ecole Forestière, les deux derniers sont entrés dans les ordres : Dom Angelico et Dom Claude Surchamp, moines à La Pierre-qui-Vire. Sa fille avait épousé un avocat de la Cour d’Appel de Toulouse.

 

Henry Surchamp voyageait beaucoup, surtout dans les dernières années de sa vie. Fréquemment il prenait l’avion pour rendre visite à ses enfants, ses petits enfants et son arrière petit fils.

 

Bien qu’il ait pris sa retraite en 1936, il n’en oubliait pas moins son beau métier et à plus de 82 ans, on pouvait le voir encore effectuer une opération forestière en Haute-Marne dans la forêt de l’Herbue.

 

Jean Nesmy a obtenu en 1906 le prix Montion, en 1914 le prix Bordin, en 1926 le prix Kastner-Boursault, en 1952 le prix Georges Dupau.

 

Il était Chevalier de la Légion d’Honneur et titulaire de divers ordres français et étrangers.

 

Le 30 octobre 1964, je vote avec le Conseil municipal de Troyes, pour que le nom de Jean Nesmy soit donné à la rue qui longe la caserne des pompiers.  

 



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