La vie à Troyes...



Petites histoires du Collège de Troyes


Collège Pithou
Collège Pithou

En 1882, Gustave Carré, agrégé d’Histoire, membre résidant de la Société Académique de l’Aube, rédige quelques souvenirs du Collège de Troyes.

 

         Laissons-lui la parole : " On dit : Triste comme la porte d’une prison,

 

                                                          Et je crois, le diable m’emporte,

 

                                                                        Q’on a raison.

 

         Ainsi rimait Musset, garde-national réfractaire, dans un moment d’humeur contre la discipline militaire et l’Hôtel des haricots, où il avait été consigné. Ainsi répétaient, après Musset, les lycéens de ma génération, quand ils franchissaient le seuil sombre du manoir des Pithou, qu’ils eussent pu, avec non moins de raison, appeler l’Hôtel des haricots.          L’entrée du vieux collège n’avait rien de gai, j’en réponds. C’était une lourde masse de maçonnerie, sans prétentions architecturales, dans laquelle s’ouvrait une porte cintrée, encadrée de grosses pierres de taille. Au-dessus de la porte, encastrée dans le mur, se lisait cette double inscription qui rappelait à la fois le nom du fondateur, le but de la fondation et la règle de la maison : CollegiumTrecopithoeanum. La vue de cette porte m’a toujours serré le cœur. Je n’oublierai pas non plus le petit beffroi qui surmontait le porche, et où pendait une cloche (on a toujours trop aimé à sonner à Troyes), qui nous régalait tous les jours, à 5 heures, de ses volées matinales.

 

         Franchissiez-vous la grande porte, vous trouviez à gauche la niche du concierge, bondée, du plancher au plafond, de bourriches, de paquets, de chaussons, de sabots, d’articles de papeterie et de confiserie. Car c’était un notable commerçant que notre concierge : il avait guichet sur la cour, il payait patente, avait des rentes sur l’Etat et prenait son café au lait tous les jours.

 

         A droite, et faisant face à la loge, s’allongeait un couloir à ciel ouvert, qui tenait de cour d’honneur et donnait accès à une misérable salle décorée du nom prétentieux de parloir. Cet étroit couloir n’était séparé de la cour des élèves que par une mince cloison. « Les murs, dit-on, ont des oreilles », on eût pu dire, avec autant de raison, qu’ils avaient des yeux, car était le cas de cette cloison que de mauvais garçons avaient percée à jour. Durant les récréations, pour peu que le maître eût le dos tourné, on les voyait, les yeux collés aux trous qu’ils avaient pratiqués dans les planches, se payer gratis le spectacle du diorama, et certes, celui qu’ils avaient imaginé était 100 fois plus intéressant que celui de la foire. Pas de taille, pas de toilette, pas de coiffure, pas de nez, pas de pied qui n’excitât leur verve impitoyable. Le collégien, est indiscret et moqueur. Rien ne le touche, ni les pleurnicheries sentimentales des mamans, ni les airs de gravité affectée des papas. Que de fois nous avons ri !... « Maman, disait un jour, en pleurant, un de nos codétenus de 8°, nous avons un pion qui est injuste comme tout : je l’ai appelé imbécile, et il m’a flanqué en retenue ». « Pauvre chéri ! répondait la mère, en s’essuyant les yeux ». « Tu es le 40° cette semaine, disait à son cancre d’héritier un papa fort peu commode, soit, mais, si la fois suivante tu n’es pas le premier, je ne te dis que ça… ».

 

         Les bonnes paroles, les sévères admonestations n’empêchaient pas les espiègles de commettre leurs méfaits jusque dans la cour du parloir, derrière le dos même des auteurs de leurs jours. Il arriva une fois que le concierge voulut sonner l’heure de la rentrée. Je ne sais comment se fit que la corde de la clochette s’était raccourcie. On gagna à ce miracle 10 minutes de récréation. Dans le nouveau lycée, où l’on a cru bien faire de substituer le tambour à la cloche, ce sont les baguettes qui disparaissent.

 

         De la cour du parloir, on pénétrait dans la grande cour du lycée. L’Administration avait cru prudent de la couper en 2 par une balustrade en bois. Dans la première se trouvaient parqués les élèves de la division supérieure, dans l’autre les élèves de 4° et ceux des premières classes de français. Il y avait en outre 2 autres cours beaucoup moins grandes : l’une parallèle à la ruelle Maupeignée (n’existe plus, communiquait avec la rue du Bois : rue Général de Gaulle), l’autre voisine de la rue des Bûchettes (rue Claude Huez, où se tenait le marché du menu bois ou fagots), c’était là que les élèves des divisions inférieures prenaient leurs ébats. Les cours étaient fort animées aux heures de récréation : on jouait aux billes, au biscayen, à la toupie, au palet, à la balle pourrie,  à la balle cavalière, à la balle au camp, au ballon, à la cachette, à la course, à la raie, à la barre prisonnière, à la barre coupée, à l’ours, au cheval fondu, au saut de mouton, à colin-maillard, au diable boiteux, à la main chaude, à la savate, à la galle perchée…

 

         Dans la grande cour se dressaient 2 grands corps de bâtiment à 2 étages. Les salles d’études, la salle de dessin, les cuisines, les réfectoires, les classes occupaient le rez-de-chaussée. Les dortoirs, l’infirmerie, l’économat, le cabinet de physique et de chimie, occupaient les étages supérieurs. Sur le milieu de l’aile au nord, un pavillon abritait les 2 premières études, le proviseur et sa famille, le surveillant général, le professeur de 7° et l’aumônier. Dans l’ancienne demeure de François Pithou, l’étage supérieur servait de dortoir aux élèves de 4°. Au rez-de-chaussée se trouvaient la chambre du concierge, le parloir, les classes de 4° et de 5°.

 

         Dans les réfectoires, on faisait un abus des farineux au saint temps de carême. Il y avait des repas où l’on donnait des haricots comme premier plat et des lentilles comme second.

 

         Les dortoirs étaient vastes et bien éclairés, mais faute d’espace, les lits étaient serrés le plus possible et rangés sur 3 files. Le troisième dortoir contenait 50 lits, le premier et le deuxième plus de 40. Au milieu de ces immenses pièces se dressait le classique lavabo. Le mobilier d’un lycéen se composait d’une couchette en fer, d’un sommier, d’un matelas, d’un traversin, d’une descente de lit et d’une armoire-banc qui servait à la fois de siège et de garde-meuble. La première fois que je fis connaissance avec un lit de lycée, je fus frappé à la vue de 2 claies d’osier, placées l’une à la tête et l’autre au pied de la couchette. Je me demandais quelle pouvait être l’utilité d’un pareil accessoire. Un matin, mes yeux se portèrent sur de petites taches noires qui semblaient marcher : c’étaient des punaises. Le matin, le garçon secouait les claies sur le plancher et les taches noires se mettaient à courir. Le garçon alors les écrasait du pied, puis les balayait en petits tas.

 

         Une feuille hebdomadaire « Le Cancre » était une revue, fourmilière de drôleries, de cocasseries, de couplets burlesques, de pochades, de charges et de croquis à la plume. L’un écrivait la chronique, l’autre les faits divers, un autre griffonnait le feuilleton, celui-là les variétés et la bibliographie, d’autres les dessins et leurs légendes. Il y avait une colonne réservée aux annonces : avait-on perdu son canif, son peigne à moustaches, son miroir, son papier à cigarettes, l’embouchure de son cornet à piston ? Vite, on en informait le public par la voix du « Cancre ». Les auteurs s’appelaient par des noms de guerre : Ventre-vide, Tire-bouchon…

 

         Autrefois, les longues et solennelles promenades en musique mettaient toute la population troyenne aux portes et aux fenêtres, pour regarder l’effectif du lycée, compacte, bien rangé, bien boutonné, bien brossé, bien astiqué, bien ciré, bien pomponné, crânement coiffé et blanchement ganté. Quant à notre proviseur, il rayonnait, il resplendissait, il exultait, marchant au pas.

 

         La musique du lycée a compté de 35 à 40 musiciens. Le plus simple instrumentiste avait le droit de se faire broder sur le collet une lyre au lieu de la vulgaire palme universitaire. Les musiciens comptaient parmi leurs plus beaux privilèges, de figurer aux processions à la place d’honneur, de boire de la limonade les jours de promenades solennelles, du souhaiter la bonne année au proviseur et au censeur et d’obtenir, des sortie de faveur que leurs notes hebdomadaires ne leur auraient pas values.

 

         Si le hasard met tout-à-coup en présence 2 amis après 20 années de séparation, la reconnaissance est parfois difficile. L’un est sec comme un échalas, l’autre est rond comme une futaille, celui-ci a perdu ses cheveux, celui-là les a gris, ou disparaît sous une barbe de patriarche. J’ai du mal pour retrouver l’ancienne grosse caisse dans ce sous-préfet, un trombone à coulisse dans ce notaire, un ancien triangle dans le directeur d’une grande administration financière, d’anciennes cymbales dans le docteur qui me tâte le pouls. L’ami, que je m’attendais à retrouver galonné sur toutes les coutures, fabrique pacifiquement des bas et des chaussettes, celui que je jugeais destiné à rivaliser au théâtre, rédige des polices d’assurances, cet autre, qui avait les chiffres en horreur, se trouve être aujourd’hui un financier fort habile, et moi-même qui m’étais promis de n’avoir plus rien à démêler avec le lycée, je me retrouve aujourd’hui dans ce même lycée, professeur d’histoire et de géographie.

 

         Nous voudrions fonder une association d’anciens élèves du Collège et du Lycée de Troyes. Hâtons de tous nos efforts cet heureux moment, et tâchons, en nous regroupant comme aux jours de notre jeunesse, de rendre en quelque sorte la vie à notre vieux collège ".

 


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