Guerres et occupations...



Troyes du 21 au 29 août 1944


  "Telle la célèbre Troie des rivages asiatiques, Troyes en Champagne a été prise, 32 siècles plus tard, au milieux de furieux combats. Mais, contrairement à l’antique Ilion, ce n’est pas l’ennemi, Pyrrhus, qui est entré dans ses murs à l’aide du cheval de bois, mais les colonnes blindées de la délivrance, les chars américains du général Patton ".

 

Ces journées historiques des 25 et 26 août 1944 et celles qui ont précédé et suivi notre libération, doivent être à jamais gravées dans la mémoire des Troyens.

 

Le lundi 21, des hôpitaux s’installent à la caserne Beurnonville, rue Jeanne d’Arc, et à l’école Achille prieur de Sainte-Savine. On entend le canon dans le lointain. Radio Londres annonce que des éléments avancés américains s’approchent de Montargis.

 

Le mardi 22, l’agglomération troyenne prend son atmosphère de bataille. Les Américains sont à Villeneuve-l’Archevêque, et seraient le 25 à Troyes. A 11 h 30, de violentes explosions (Brienne-le-Château, où les allemands font sauter les dépôts de munitions avant leur départ) secouent la ville, faisant se briser les glaces des Magasins Réunis, et toujours le roulement du canon dans le lointain. Les rues commencent à se remplir d’une foule joyeuse, mais un peu inquiète. Tous les boulevards sont couverts de voitures automobiles allemandes. Les magasins ferment, des volets de fortune sont improvisés. Les boulangers ne pouvant suffire à la demande des clients, voient s’étendre devant leur boutique une file imposante de consommateurs. La gestapo déménage. A 21 h 30, des gens circulent avec des sacs de farine, car après le départ du Service allemand de l’Intendance, la population s’empare des stocks de farine de la boulangerie située à la coopérative de Preize.

 

Mercredi 23, dès 7 h, la foule fait la queue devant les boulangeries. De très nombreux magasins sont fermés. La population est dans la rue, et les commentaires vont bon train à la vue des préparatifs de défense des Allemands. Tout semble indiquer que l’occupant est décidé à défendre la ville avec acharnement. De chaque côté de la rue Voltaire sont rangées des autos légères allemandes remorquant des canons antichars prêts à être mis en batterie. La place du Marché est occupée par des camions de toutes sortes, les SS ont transformé la halle en garage. A 12 h 30, une vibrante Marseillaise emplit les rues silencieuses, c’est la radio de Londres qui annonce la Libération de Paris par les FFI, les alliés progressent au delà de Sens, ce qui laisse espérer la prochaine délivrance de notre ville. Dans la soirée, deux affiches signées du maire de Troyes " invitent la population au calme et annoncent des sanctions contre les pillards ". D’autre part, les stocks de réserves vont être mis en place. Les magasins doivent être fermés, sauf ceux d’alimentation. Une autre affiche émanant du commandant allemand, défend " en cas de combats de sortir dans les rues, les fenêtres et les portes doivent être fermées, tout contrevenant sera fusillé ". Dès 21 h 30, la sentinelle placée au coin des rues Claude Huez et de la République tire à tout instant, en hurlant " Licht aus " (éteignez les lumières).

 

Jeudi 24 août : l’atmosphère de la ville est complètement modifiée. Les magasins sont fermés, les rues sont peu fréquentées, les maisons d’alimentation, distribuent 500 gr de sucre à valoir sur les tickets de décembre, et 250 gr de pâtes alimentaires par personne. La foule assiège toujours les boulangeries, dont quelques unes sont fermées. La Kommandantur a délaissé l’Hôtel Terminus. A 11 h, les boulevards sont déserts. Le matin, une affiche placardée sur les murs de la ville, fixe le couvre-feu de 20 h à 7 h du matin. A 13 h, on entend des coups de canon et des rafales de fusil-mitrailleur. A 13 h 30, la radio annonce " que les chars du général Patton sont aux alentours de Troyes ". A 14 h, les coups de canons cessent. On sent nettement que la situation devient très mauvaise pour les allemands. A 18 h, Sainte-Savine est littéralement en ébullition, les Allemands font partir les habitants de la route de Sens jusqu’à la rue du Chapeau-Rouge, et pensent évacuer l’avenue Gallieni jusqu’au pont de la gare. C’est un défilé ininterrompu et lamentable de pauvres gens déménageant leurs objets les plus précieux, sur un vélo, sur une remorque, une voiture d’enfant… Vers 18 h 45, une escadrille d’avions alliés survole la ville à faible altitude. Les passants apeurés, se dispersent rapidement, se précipitent dans les abris ou les corridors des maisons… La rue Emile Zola, la place Maréchal Foch sont désertes…Vers 21 h 15, 2 explosions très fortes ébranlent la ville : les ponts du canal, Passerat, de Châlons sautent. J’habite avec mes parents au 1er étage de la maison à l’angle du Quai des Comtes de Champagne et de la rue Hennequin : nos volets, nos vitres partent en morceaux !

 

Vendredi 25 : les ménagères s’empressent de faire leurs achats, s’approvisionnent en fromage sans tickets. Chacun court au boulanger, des fournées supplémentaires sont nécessaires pour donner satisfaction à la clientèle. Si le siège se prolongeait, le pain, bien que noir et peu appétissant, serait en effet le mets presque unique, le marché n’ayant plus rien. A 9 h 45, deux vagues d’avions alliés passent au-dessus de la ville en direction de l’est nord-est. Vers 10 h, une violente explosion ébranle la ville : c’est le pont de la Préfecture qui saute. Le boulevard Danton est couvert de camions allemands qui s’abritent sous les arbres. Les immeubles du boulevard Gambetta occupés par les services de propagande et de la Gestapo, sont abandonnés. A 11 h 50, le Pont de la Pielle saute. A 12 h 45, une explosion très forte secoue Troyes, le Pont Vert saute. Les glaces des magasins de la rue de la République sont en morceaux. A 13 h 25, les explosions se succèdent. A 13 h 55, ce sont des bruits de canon des batteries allemandes de Pont-Sainte-Marie qui, pardessus la ville, tirent sur les Américains, dont 3 colonnes de blindés descendent de Montgueux, se dirigeant sur Troyes, à travers champs. Derrière les tanks, suivent des voitures pleines de soldats et des ambulances. A 14 h 40, une grosse explosion ébranle les maisons, le Pont Largentier saute. Les Troyens préparent un sac de ravitaillement et une valise. A 16 h 10, l’aviation américaine passe à basse altitude, et en plus des coups de mitrailleuses allemandes, c’est la chute de nombreuses bombes. A 18 h, on entend les combats qui se déroulent dans les rues, puis les Allemands disparaissent. A 19 h, un grand bruit de moteurs se fait entendre du côté de la rue Thiers, des cris, des acclamations, des " Les voilà ", des vivats, ce sont les Américains ! La foule sort de toute part, joyeuse, émue ! Le ciel est noir de fumée, c’est l’Hôtel Terminus qui brûle. Les pompiers combattent partout les incendies (le Crédit du Nord est en flammes…). Des soldats allemands réfugiés au Lycée tirent encore quelques coups de feu et se rendent. Les chars américains patrouillent rue Thiers, rue Claude Huez, rue Charbonnet, rue Paillot de Montabert. Au passage des tanks américains, les drapeaux des Etats-Unis, de la France combattante, de l’Angleterre sortent aux fenêtres. Les exclamations, les " Vive l’Amérique " emplissent la rue, les curieux devant leurs portes agitent de petits drapeaux étoilés. Vers 20 h 30, les FFI portant le brassard tricolore parcourent les rues, aidant les Américains dans leur nettoyage. A 21 h 15, un communiqué anglais annonce que les Américains sont à Troyes.

 

Samedi 26 août : 5 h 30, la fusillade reprend avec force. A nouveau, des obus tombent sur la ville. A 7 h 20, une explosion énorme ébranle les maisons. Des tireurs allemands sont dans le clocher de la Madeleine. Un tank américain ouvre le feu sur l’église. Vers 11 h 30, des FFI vont dans la cour de l’Hôtel de Ville avec des prisonniers allemands, au milieu des cris et coups de sifflets de la population. A midi, le drapeau tricolore est hissé sur le clocheton de l’Hôtel de Ville, la foule applaudit. Des " collaboratrices " sont conduites au poste de police avec des prisonniers et des " collaborateurs ", sous les huées du public. Les Américains s’installent place du Cirque avec leurs tanks et engins blindés. Ils fraternisent avec la population. Au milieu de la place, sont parqués les prisonniers allemands. La Brasserie du Cirque est complètement détruite par un incendie, une automobile allemande carbonisée en est la cause. La rue Diderot est détruite par l’explosion de camions chargés de munitions, touchés par un tank américain situé au pied de la Madeleine. Le commandant de place américain fait placarder une affiche demandant à la population de ne pas circuler pendant 2 jours, afin de ne pas gêner les opérations, réprimant le pillage, fixant le couvre-feu. La nuit est calme, Troyes est libérée.

 

Dimanche 27 août : Toute la journée, sont conduits à l’Hôtel de Ville, collaborateurs et collaboratrices dont de nombreuses femmes sont tondues.

Lundi 28 août : des colonnes blindées américaines traversent la ville pendant 2 heures. Des tracts du Comité départemental de la libération de l’Aube, sont distribués en ville, annonçant pour le soir, la " Fête de la Libération ". Au passage, les paquets de cigarettes, de bonbons, de chewing-gum pleuvent sur la chaussée.

 

Mardi 29 août, les magasins réouvrent, les gens circulent… Des affichent "informent que toute personne donnant asile à des Allemands, sera fusillée".

          


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