Pendant les Guerres



1919, fin de la guerre à Troyes


Portant un regard rétrospectif sur cette année 1919, je lis dans la presse troyenne de janvier 1920 : « Entretenons en notre cœur la reconnaissance que nous devons à tous les bons citoyens dont la tâche accomplie pour la Patrie prépare la vie des générations futures. Un événement considérable domine et commande l’année 1919 : le retour des mobilisés. Lente, incohérente souvent, la démobilisation s’est néanmoins achevée, rendant à l’usine, au magasin, à leurs affaires et à leur clientèle, rendant à leur terre surtout, les bons concitoyens qui avaient depuis 5 ans, tout abandonné pour la défense du pays. Malgré les déceptions éprouvées par beaucoup et les amertumes qui leur ont quelquefois été réservées, les démobilisés se sont remis courageusement au travail, le travail duquel seul nous pouvons attendre le salut de la Nation.

 

          A l’hommage individuel qui fut rendu à chacun, s’ajouta, le 2 août 1919, l’hommage collectif d’une vaste manifestation de toutes les communes de France, où l’Aube se classa au tout premier rang. La joie que causait le retour des soldats fut malheureusement assombrie par la constatation des vides irréparables creusés dans les rangs des enfants du pays, et souvent, parmi les plus jeunes. Aussi, le jour des Morts fournit-il cette année là, l’occasion d’un témoignage spontané et éclatant de la reconnaissance éternelle qui devait leur être conservée. D’autres grandes manifestations de solidarité ou de reconnaissance eurent également lieu : telle la cérémonie organisée, le 22 novembre 1919, à l’Hôtel de Ville de Troyes, en l’honneur des membres de l’enseignement public tombés pour la France, les fêtes de la Victoire du 14 juillet, dont les cinémas locaux projetèrent le soir même les principaux épisodes, enfin, la réunion spontanée donnée au vélodrome au profit de la ville dévastée de Dun-sur-Meuse, filleule de la ville de Troyes.

 

          Nos vignerons ont eu la satisfaction de voir, le 6 mai 1919, leurs revendications aboutir  au vote d’une loi sur les délimitations, qui nous réintègrent enfin dans la Champagne viticole, et que nous devons à l’ardent Checq qui peut être heureux et fier de l’œuvre commune dont il fut l’organisateur. Mais, pour le vin ordinaire, il faut faire appel aux vins du midi qui sont livrés chers. C’est la vie chère pour tout. La crise a atteint un état aigu, telles les grèves dans l’industrie textile. Commencées à Romilly, elles s’étendirent, par la suite, à Troyes, et devinrent un moment très inquiétantes, en raison de la menace de lock-out par laquelle les chefs d’industrie répondirent à la grève (un lock-out est généralement utilisé lorsqu'une grève est partielle pour faire pression sur les grévistes, les salariés non-grévistes n'étant alors plus rémunérés. Le lock-out permet notamment de contrer une grève de quelques employés stratégiques bloquant l'entreprise, ces salariés étant soutenus financièrement par les non-grévistes). Fort heureusement, à la suite d’une entrevue avec le Ministre du travail, un accord survint, et mit fin au chômage. Bénéficiaires un jour des résultats d’une grève, les ouvriers du textile connurent le lendemain les inconvénients d’une autre, celle des usines à gaz et d’électricité de Troyes, qui prit naissance le 1er juillet. Bien que de courte durée, elle jeta une extrême perturbation dans la ville, où la plupart des citadins peu fortunés n’ont d’autre ressource pour leur cuisine que le fourneau à gaz. C’est donc avec un vif contentement que toute la population vit accueillir les revendications des grévistes, qui rendirent aussitôt la chaleur et la lumière. Le mouvement ouvrier s’affirma encore le 1er mai par le chômage traditionnel : les marchands de vin eux-mêmes fermèrent. Enfin l’augmentation de la vie détermina de sensationnelles interventions des syndicats ouvriers dans les rapports entre vendeurs et consommateurs. Le marché central devint le théâtre de scènes tumultueuses qui débordèrent bientôt leurs cadres primitifs. Un chapelier socialiste ayant cru devoir, par habitude professionnelle, sans doute mettre en vente un matin, contre le gré de leurs propriétaires, des « melons » à vil prix, l’après-midi même, les vendeuses de la halle lui rendirent la  politesse en faisant irruption dans son magasin et en chapeautant au meilleur compte les têtes des personnes présentes avec les derniers modèles de l’étalage. La création des comités de vigilance, inspirée des plus louables sentiments se révéla cependant impuissante à conjurer une hausse dont les causes étaient trop profondes pour pouvoir être atteintes par les procédés simplistes de l’action directe. L’établissement de magasins municipaux, l’ouverture plus récente d’un magasin à la Bourse du Travail représentent, à coup sûr, un mode d’action autrement efficace. Mais le mouvement ouvrier n’eut point que des véhémences. Il eut ses accalmies et ses repos : c’en fut un que les fêtes de la Bonneterie qu’organisèrent les syndicats ouvriers sans collaborations extérieures et qui obtinrent un plein succès.

 

          Ce fut un grand soulagement, le rétablissement, dans leurs bâtiments respectifs du Lycée de garçons et du Collège de filles de Troyes, ainsi que diverses écoles.

 

          L’été a été très chaud et sec après un hiver pluvieux qui provoqua d’abondantes crues dans l’Aube.

 

          La sirène de l’Hôtel de Ville n’est toujours pas démobilisée et, rabâcheuse comme les vieux militaires, elle persiste chaque jour à nous hurler qu’il est midi. Au début, elle soulevait des protestations, maintenant on n’y fait plus attention. Pour les chasseurs, pénurie de munitions et de gibier. Les pêcheurs, devant les rivières dévastées, n’ont guère été mieux partagés que leurs confrères de Saint-Hubert. La plupart des Troyens n’ont pas d’autos et, s’ils veulent prendre le tramway, son tarif est doublé et il en coûte désormais 4 sous au lieu de 2.

 

          L’Etat, lui, a augmenté son tabac, et se refuse à en vendre ! Il a donné des cartes ! Il en faut d’ailleurs pour tout : pour du charbon, du sucre…

 

Anastasie (synonyme de censure dans la presse) est morte : « que le diable ait la vilaine âme de cette funeste mégère »…

 

Après ce regard rétrospectif, sur 1919, entretenons en notre cœur la reconnaissance que nous devons à tous les bons citoyens dont la tâche accomplie prépare la vie des générations futures, et, retenant du passé les exemples dont nous avons besoin pour guider nos pas, fixons maintenant avec courage et fermeté les yeux sur un avenir qu’il dépend de nous, de notre volonté et de notre sagesse, de rendre brillant ou misérable ».

 

 

 

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